Camille Laurens – Fille **

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Gallimard – août 2020 – 226 pages

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« C’est une fille ». Ce sont les premiers mots qu’elle entend à la naissance. Laurence Barraqué naît au début des années 60 et grandit à Rouen, aux côtés de sa sœur ; dans une famille qui s’attendait à un garçon, qui désirait ardemment un garçon. Pas de chance, encore une fille… Naître fille, comment y survivre ? Comment être une fille dans les années 60 ?

Enfant, Laurence se pose une foule de questions, observe et analyse ce drôle de monde où fille et garçon n’ont pas le droit au même traitement, aux mêmes attentes, aux mêmes regards.

Un roman qui commence par le tutoiement, comme pour mieux capter notre attention, nous captiver. Et puis, avec les premiers souvenirs à l’âge de 3 ans, le Je prends toute sa place et Laurence nous raconte son enfance, sa vie de fille née dans les années 60. Le regard de la société, son poids. Puis à dix ans, c’est le Elle qui s’impose et prend le relais, pour prendre de la distance, tenir à distance un souvenir lugubre. Selon les épisodes de sa vie de fille, puis de femme, d’épouse, de mère… les différents pronoms personnels alternent à travers un jeu narratif intéressant ; oscillant entre introspection et mise à distance.

Quelle force de caractère dans cette plume vive et ironique. Cette plume qui nous pique et nous capture pour mieux convoquer notre révolte. Fille est un roman qui possède une indéniable puissance mais que je n’ai pas trouvé révolutionnaire non plus.

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« Parfois, il suffit d’une phrase pour faire tomber des monuments. Donjon d’effroi, remparts de honte, la tour s’écroule dont on était à la fois la prisonnière et la geôlière, et d’un seul coup c’est plein soleil, c’en est fini des meurtrières. »

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Gabriella Zalapì – Antonia. Journal 1965-1966 ***

Le Livre de Poche – août 2020 – 160 pages

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« Il paraît qu’un jour on se réveille affamé de ne pas avoir été ce que l’on souhaite. »

Palerme, années 60. Voici le journal d’une jeune femme qui n’a même pas 30 ans. Sur près de deux ans, Antonia tient son journal et lui confie, jour après jour, ses regrets, son mal-être, l’échec de son mariage avec Franco. Cette vie d’épouse ne lui va pas, elle est pleine de mondanités, de vacuité. Elle s’ennuie. « J’ai 29 ans. Mes désirs tombent, s’enfoncent dans l’insonore. Impossible d’envisager une vie de perfect house wife pour le restant de mes jours. J’aimerais abandonner ce corset, cette posture de femme de, mère de. Je ne veux plus faire semblant. »

Franco l’ignore ; il est froid, distant. Même son Vati, son grand-père adoré ne la comprend pas. Elle a une famille, vit dans l’opulence, elle a tout pour être heureuse, comblée. Pourquoi se plaindre.

Un journal criant de vérité. La vérité toute nue de cette femme qui étouffe dans sa vie. L’écriture est tranchante, implacable. « Le temps qui passe ressemble à du mercure. »

Parallèlement, Antonia rend compte de son enquête familiale ; à la mort de sa grand-mère Nonna – qui l’a prise sous son aile à l’adolescence – la jeune femme reçoit des cartons de lettres, de papiers, de carnets qui « dégagent une odeur d’éternité. » Au fur et à mesure de ses fouilles, les souvenirs refont surface. Antonia semble chercher dans le passé un sens à ce qu’elle vit au présent. Elle éprouve le besoin d’assembler les morceaux épars de son histoire familiale.

« Mon imagination demandait à féconder la réalité. »

Gabriella Zalapì nous livre le portrait émouvant et percutant d’une femme qui cherche à s’émanciper, à s’extraire du carcan de cette société patriarcale impitoyable. Un roman implacable et magnifique. Et cette beauté, cette poésie dans l’écriture…

Colson Whitehead – Nickel Boys ***

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Albin Michel – 19 août 2020 – 272 pages

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Dans les années 2000, un cimetière clandestin et des ossements non identifiés sont découverts aux abords de la Nickel Academy, une ancienne maison de correction pour mineurs délinquants, qu’ils soient noirs ou blancs.

La Nickel Academy… Un nom qui fait froid dans le dos. Un nom dont se souviennent tous ceux qui y ont un jour mis les pieds… Un nom qui revient hanter les nuits des anciens pensionnaires.

A l’époque, Nickel promet de remettre les adolescents sur le droit chemin, d’en faire des hommes honnêtes et honorables. Mais derrière ces murs immaculés, se cachent les pires sévices… Les garçons qui s’en sortent ne sont plus jamais les mêmes. Et encore, s’ils ont de la chance de s’en sortir vivant.

Elwood Curtis se souvient…

Dans les années 60, en plein coeur d’une Floride ségrégationniste, le jeune adolescent noir adule Martin Luther King et se passionne pour l’école ; abandonné par ses parents très tôt, il est élevé par sa grand-mère Harriet. Intelligent et très travailleur, il rêve de poursuivre ses études à l’université. A la suite d’une mauvaise rencontre, il est envoyé à Nickel.

Elwood va devoir affronter le pire visage de l’âme humaine. Dans cet environnement hostile, il se lie d’amitié avec Turner, qui devient très vite un allié précieux pour survivre.

Si la Nickel Academy n’a jamais existé, Colson Whitehead s’inspire cependant de faits réels, et d’un établissement qui a vraiment existé.

Un roman sur le racisme qui démarre fort et qui m’a immédiatement prise aux tripes – l’horreur nous saisi, le sentiment de révolte gronde en nous face à la cruauté, aux injustices et à la sourde violence qui imprègne les pages. Nickel Boys fait partie de ces romans qui m’ont touché et dont j’ai du mal à parler… Je l’ai trouvé captivant mais il m’a quand même manqué quelque chose pour que je m’attache vraiment aux personnages, et je l’ai trouvé bien trop court pour saisir vraiment l’ampleur du thème abordé.

Romain Puértolas – La Police des fleurs, des arbres et des forêts ****

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Le Livre de Poche – juin 2020 – 320 pages

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Été 1961. Il fait une chaleur à crever dans le petit village perdu de P.. On a retrouvé le corps du jeune Joël, seize ans, égorgé et découpé en petits morceaux à l’aide d’une scie à métaux. Les morceaux ont été placés dans huit grands sacs des Galeries Lafayette et remisés dans une des cuves de l’usine de confiture. Dans ce village de rase campagne où il ne se passe jamais rien, c’est le branle-bas de combat ! Un des flics les plus brillants de la grande ville est dépêché rapidement sur place pour résoudre l’affaire.

Le jeune inspecteur citadin rencontre le garde champêtre, un drôle de personnage aux allures de gendarme de Guignol… Et il découvre un maire qui ne parle que de ses pots de confiture et des villageois apathiques et étrangement peu affectés par ce drame sanglant. Tous s’accordent pour dire que Joël était un brave gars très gentil. Très vite, les complications pleuvent : un orage a coupé toute liaison téléphonique, l’autopsie a été réalisée par le vétérinaire du coin et le cadavre est déjà enterré.

Dès les premières pages, le ton est donné. C’est cocasse et absurde. Le mystère imbibe les pages. Comme je me suis régalée de bout en bout à la lecture de ce drôle de polar sous forme de missives envoyées par l’officier de police à la Procureur de la République. S’y ajoute la retranscription de ses enregistrements audio ainsi que ses notes personnelles prises sur n’importe quel bout de papier.

Ça se déguste avec un plaisir incontestable. Humour exquis et intrigue bluffante. Je n’ai absolument pas vu venir la fin ! Je me suis faite complètement berner par l’auteur. La police des fleurs, des arbres et des forêts est un polar épistolaire original et truculent que j’ai lu d’une traite.

Audur Ava Ólafsdóttir – Miss Islande ***

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Zulma – 2019 – 261 pages

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Hekla doit son prénom à son père, fasciné par les volcans depuis toujours. Alors qu’elle n’a que quatre ans, le volcan dont elle porte le prénom entre en éruption et son père l’embarque pour le voir d’un peu plus près… L’enfant reviendra de cette excursion métamorphosée, prenant l’habitude de disparaître pour aller contempler le ciel, les nuages, les étoiles.

En 1963, Hekla a 21 ans lorsqu’elle quitte la ferme de ses parents dans les Dalir et débarque à Rekjavik. A peine arrivée, on lui propose déjà de participer à Miss Islande… De façon agaçante, tout le monde ne semble voir en elle qu’une future reine de beauté – Miss Islande doit savoir coudre, cuisiner comme un cordon bleu, être impeccable. Mais Hekla n’est venue dans la capitale que pour une seule chose : accomplir son destin et devenir écrivaine.

Elle retrouve son amie d’enfance Ísey si bavarde, qui accumule les mots comme des trésors et se cache pour les inscrire dans son journal, fabrique des histoires sur tout et rien – comme pour oublier qu’elle a 22 ans et déjà 2 enfants et qu’elle ne bougera jamais. Elle retrouve aussi Jón John, son premier amant et meilleur ami, qui rêve de devenir costumier au Théâtre National, et se cache pour aimer des hommes.

Les années 60 à Rekjavik ne sont pas idylliques… Les homosexuels sont presque des criminels, le patriarcat est écrasant et le sexisme omniprésent.

Quel plaisir de retrouver la plume rafraîchissante de l’autrice de Rosa Candida. Audur Ava Ólafsdóttir possède une écriture insolite empreinte d’une douce malice – un humour discret mais efficace – et nous offre un roman féministe sur la création, l’écriture, la liberté« Arrange toi pour qu’arrive ce qui n’arrive pas. Fais que les mots deviennent chair. »

C’est poétique et profondément mélancolique. Avec des personnages qui rêvent, beaucoup. C’est aussi un touchant portrait de femme qui se dessine sous nos yeux – Hekla et son tempérament farouche, fougueux, qui devra choisir entre l’amour et la création. J’ai tout aimé de ce roman islandais, sauf la fin qui m’a laissé le coeur pincé et surpris.

Et vous, qu’en avez-vous pensé ?

Élise Fontenaille – Alcatraz Indian Land ****

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Oskar Jeunesse – 2018 – 80 pages

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Un matin, Marylin alias Little bird, reçoit une lettre de la mairie de San Francisco, lui soumettant une bien intrigante demande… Venir réaliser à nouveau les graffitis qu’elle a réalisés à la fin des années 60 sur le château d’eau de l’île d’Alcatraz.

Cette lettre plonge la vieille femme dans ses souvenirs. Elle se retrouve en 1969. Elle a seize ans. Le charismatique Richard Oakes vient la sortir de sa réserve et l’emmène à San Francisco. Elle se souvient de Richard, Yvonne, No Name… L’exaltation de cette époque l’envahit, sa fougue, leurs espoirs et leur sentiment de liberté… Le récit de Marylin prend la forme d’une lettre à sa petite-fille Eden, qui a l’âge qu’elle avait en 1969 ; elle lui raconte ce qu’elle a vécu sur l’île.

À la fin des années 60, un groupe de jeunes activistes amérindiens, mené par Richard Oakes, rêve de transformer Alcatraz, la célèbre prison abandonnée depuis quelques années, en un territoire indien – un Indian Land – et d’y créer une université pour toutes les tribus indiennes. Ils choisissent la date symbolique de Thanksgiving pour envahir l’île. Une centaine d’étudiants amérindiens se retrouvent ainsi sur l’île et célèbrent un Unthanksgiving.

Dévoré en une soirée, ce récit très court (peut-être un peu trop) m’a fascinée et emportée. Un roman fulgurant et émouvant ; on y ressent toute la fougue de cette époque et l’espoir qui anime cette jeunesse amérindienne. Un combat qui mènera à la naissance de l’Indian Pride.

Annelise Heurtier – La fille d’avril ***

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Casterman – 2018 – 300 pages

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En montant au grenier avec Izia sa petite-fille – à la recherche de cette incroyable mini-robe argentée qu’elle portait sur une photo de sa jeunesse – Catherine tombe sur une boîte autrefois blanche. Une boîte portant l’inscription « La fille d’avril » et qui fait resurgir le passé, loin du grenier et de son odeur de fleur d’oranger et de poussière. Cette fille d’avril, c’est Catherine, à la fin des années 60. Grand-mère et petite-fille s’apprêtent à voyager dans le temps, et plus précisément en septembre 1966.

En 1966, Johnny Hallyday a fait une tentative de suicide et Polnareff fait polémique avec son tube L’amour avec toi. Les jeunes filles lisent en cachette des bonnes sœurs Mademoiselle Âge Tendre et Salut les copains. En 1966, les filles convenables ne courent pas à travers champs pour rentrer chez elles. Elles surveillent leur tenue vestimentaire – une jupe à bonne hauteur de genoux et des bas immaculés.

En 1966, Catherine a 15 ans, elle grandit dans une famille nombreuse, catholique et ouvrière ; elle a été admise dans un collège de jeunes filles bourgeoises et catholiques grâce à une bourse. Un soir, en rentrant chez elle, Catherine se met à courir. Et y découvre un plaisir fou et une sensation de liberté incroyable. Elle a enfin l’impression de décider de quelque chose. « Je me sentais habiter mon corps. Je me sentais vivante. Puissante. »

Catherine se pose beaucoup de questions et elle va ouvrir petit à petit les yeux sur cette société patriarcale dans laquelle les femmes sont reléguées au rang de ménagères, épouses, mères. Courir est dangereux pour une femme. Porter des pantalons : impensable! Il se dit même que courir pourrait être fatal pour leur utérus, qui risquerait de se décrocher ; comble de l’horreur, une barbe se mettrait à surgir ainsi qu’une abondante pilosité.

Avec Catherine, la révolte gronde en nous, on ressent son choc face à la découverte d’une telle société et son envie d’en découdre. Catherine se sent de plus en plus enfermée, prisonnière d’un rôle à tenir, qui n’est pas le sien. Un roman jeunesse intelligent et marquant – une lecture nécessaire pour tous, filles comme garçons.

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« J’avais l’impression d’être un chat caché dans une petite souris : c’était très inconfortable, un peu étouffant et il fallait rentrer ses griffes. Mais cela me permettait de ne pas me faire remarquer et de rester dans l’illusion que le présent durerait pour l’éternité. »

Richard Wagamese – Jeu blanc ****

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Éditions Zoé – 2017 – 156 pages

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Saul Indian Horse fait partie des Indiens Ojibwés. Enfant dans les années 60, il grandit avec les siens dans la peur et la méfiance des blancs. Son frère et sa sœur se font enlever par les blancs – les Zhaunagush. Sa mère dépérit a vue d’œil et son père éponge son chagrin dans le whisky. Après la mort de sa grand-mère, Saul est envoyé à l’âge de huit ans à St. Jerome’s, un internat où on fait tout pour ôter toute « indianité » en lui, pour museler sa langue et ses racines.

« Quand on t’arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d’où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C’est l’enfer sur terre, cette impression d’être indigne. C’était ce qu’ils nous infligeaient. »

Menaces, insultes, coups, abus sexuels nocturnes, la violence est constante et quotidienne. Certains enfants meurent sous leurs yeux.

« St. Jerm’s nous décapait, laissant des trous dans nos êtres. Je ne parvins jamais à comprendre comment le dieu qui, d’après eux, nous protégeait, pouvait ainsi détourner la tête et ignorer pareilles cruauté et souffrance. »

Pour survivre à cet enfer sur terre, Saul se jette à corps perdu dans le hockey sur glace. Il s’entraîne en cachette avant d’avoir l’âge requis pour jouer. L’adolescent a un don pour ce jeu : il anticipe toutes les actions. Quand il file sur la glace, Saul oublie tout : l’horreur de son quotidien s’efface. « Je croyais bien avoir trouvé une communauté, un abri et un refuge, loin de toute la noirceur et la laideur du monde. »

Dès les premières pages, l’immersion dans la nature est totale ; avec les forêts habitées par les tribus indiennes, la description de leurs rites ancestraux, les légendes qu’ils se transmettent de générations en générations.

« Le feu faisait monter jusqu’à moi des parfums de cèdre, de sauge et de viande grillée, et j’avais grand-faim. La lune était pleine. Alors que le rythme du tambour et du chant ralentissait, tout le monde se joignit à la danse et j’entendis des rires aussi distincts que l’appel des oiseaux de nuit. »

L’écriture de Richard Wagamese possède une puissance d’évocation unique. Jeu blanc est un roman touché par la grâce, qui évoque le racisme envers les Indiens. C’est une lecture sans concession, très dure -l’histoire d’un Indien lacéré dans son identité qui cherche le salut.

Celle qui s’enfuyait – Philippe Lafitte ***

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Éditeur : Grasset – Date de parution : mars 2018 – 224 pages

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Phyllis est une femme de soixante ans, afro-américaine, qui a choisi de vivre dans un petit hameau du sud de la France, où vivent à peine une centaine d’âmes. Éloignée volontairement de toute civilisation, elle y vit paisiblement avec sa chienne Douze. Quand elle ne court pas dans les bois, elle écrit des polars sous pseudonymes.

Un matin dans les bois, Phyllis se fait tirer dessus. C’est Douze qui meurt sous les balles. Qui est cet homme qui roule en clinquante Mercedes de location et qui en a après elle ? Pour le savoir, nous plongeons par intermittence dans le passé empreint d’ombres de ces deux personnages – Phyllis et Corso -, tous deux originaires de New York. Se dessinent en toile de fond les émeutes des années 60 aux Etats-Unis, le conflit racial, les violences policières…

Celle qui s’enfuyait est un roman qui se révèle peu à peu passionnant, et plus profond qu’il n’y paraît au premier abord. L’écriture de Philippe Lafitte, fine et ciselée, nous plonge dans le passé de Phyllis et Corso, tous deux orphelins de père, tous deux ayant grandi dans la rage et le désir de se venger, de s’en sortir et de se battre pour ça. Il s’agit d’obtenir réparation.

La fuite dans ce roman est à double tranchant : c’est une fuite dans l’imagination et une fuite d’un pays à l’autre. Un beau roman énigmatique qui prend les traits d’un thriller psychologique prenant qui m’a agréablement surprise.

« Elle continua de courir, oubliant la douleur du corps et de l’exil, fourmi obstinée perdue dans un paysage de sauvagerie et d’harmonie féroce. Un espace qui l’envahissait et la protégeait de tout. »

Valentine Goby – Un paquebot dans les arbres ***

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Editeur : Actes Sud – Date de parution : août 2016 – 272 pages

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Mathilde Blanc erre en lisière de l’ancien sanatorium où son père fut interné il y a une cinquantaine d’années. Lentement, elle remonte le fil du passé, se souvient de son enfance à La Roche Guyon, avec ses parents, sa sœur Annie, et son frère Jacques. Nous sommes dans les années 50, Mathilde a neuf ans ; ses parents tiennent un bar, Le Balto, où chaque samedi soir son père organise un bal qui fait sensation dans toute la ville. Au milieu de la foule, Paulot fait danser et chanter, son harmonica rivé aux lèvres. Tout prend fin le jour où il se retrouve atteint de pleurésie. Dès lors, les mauvaises langues se délient et tout le monde évite la famille Blanc, par peur de la contagion. Les dettes s’accumulent, les séjours au sanatorium et les soins coûtent cher lorsqu’on n’a pas la sécurité sociale… La famille quitte le Balto, puis La Roche. Paulot devient méconnaissable. Lorsque les deux parents sont diagnostiqués tuberculeux, Mathilde et son frère se retrouvent placés en famille d’accueil.

Mathilde est une héroïne terriblement attachante, au caractère fougueux. C’est un vrai garçon manqué ; elle n’en loupe pas une pour impressionner son père. Elle est « la fille en short jaune prête à se rompre le cou pour arracher un regard à Paulot, qui marche en funambule sur les murs du donjon, fait craquer la glace de la Seine, peut mourir pour lui. » Inlassablement, à travers les risques qu’elle prend, Mathilde cherche l’amour de ce père qui aurait tant désiré un fils. Envers et contre tout, elle aime ce père qui l’appelle « mon p’tit gars ».

Ce roman m’a rappelé par moments Profession du père de Chalandon, pour l’époque – guerre d’Algérie – et l’amour sans concession d’un enfant pour son père. Un roman terriblement marquant et émouvant, dominé par le spectre de la tuberculose et par une figure paternelle que je ne suis pas prête d’oublier.

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« Elle accompagne le mouvement du soleil de minute en minute, une invisible migration vers l’ouest. C’est le plus grand amour, cet amour-là, elle se répète. Oui, le plus grand amour. »