Camille Laurens – Fille **

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Gallimard – août 2020 – 226 pages

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« C’est une fille ». Ce sont les premiers mots qu’elle entend à la naissance. Laurence Barraqué naît au début des années 60 et grandit à Rouen, aux côtés de sa sœur ; dans une famille qui s’attendait à un garçon, qui désirait ardemment un garçon. Pas de chance, encore une fille… Naître fille, comment y survivre ? Comment être une fille dans les années 60 ?

Enfant, Laurence se pose une foule de questions, observe et analyse ce drôle de monde où fille et garçon n’ont pas le droit au même traitement, aux mêmes attentes, aux mêmes regards.

Un roman qui commence par le tutoiement, comme pour mieux capter notre attention, nous captiver. Et puis, avec les premiers souvenirs à l’âge de 3 ans, le Je prends toute sa place et Laurence nous raconte son enfance, sa vie de fille née dans les années 60. Le regard de la société, son poids. Puis à dix ans, c’est le Elle qui s’impose et prend le relais, pour prendre de la distance, tenir à distance un souvenir lugubre. Selon les épisodes de sa vie de fille, puis de femme, d’épouse, de mère… les différents pronoms personnels alternent à travers un jeu narratif intéressant ; oscillant entre introspection et mise à distance.

Quelle force de caractère dans cette plume vive et ironique. Cette plume qui nous pique et nous capture pour mieux convoquer notre révolte. Fille est un roman qui possède une indéniable puissance mais que je n’ai pas trouvé révolutionnaire non plus.

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« Parfois, il suffit d’une phrase pour faire tomber des monuments. Donjon d’effroi, remparts de honte, la tour s’écroule dont on était à la fois la prisonnière et la geôlière, et d’un seul coup c’est plein soleil, c’en est fini des meurtrières. »

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Elsa Flageul – À nous regarder, ils s’habitueront **

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Julliard – 2019 – 192 pages

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Alice accouche d’un petit César, alors qu’elle n’est qu’à 33SA. C’est un minuscule petit être auquel elle donne naissance ; dont les organes ne sont pas encore mûrs. Qui va devoir s’accrocher à la vie. En l’espace de quelques heures, Alice se retrouve mère. Mère d’un prématuré. Aucune valise n’était prête, ils n’avaient encore rien acheté.

C’est derrière la vitre d’une couveuse qu’Alice apprend à faire connaissance avec son enfant. Le combat ne fait que commencer et les émotions submergent la jeune femme qui a du mal à se sentir mère, qui a du mal à reconnaître cet être minuscule comme son fils. Elle culpabilise et lentement, la solitude l’étreint malgré le soutien de son homme.

« Il est minuscule. Encore plus minuscule que tout à l’heure. C’est à peine si je le reconnais. Il ressemble à un petit vieux, la peau fine, ridée de n’être pas assez pleine, le visage fatigué de celui qui a déjà vécu plusieurs vies. La sienne ne fait pourtant que commencer. »

La narration alterne le point de vue d’Alice – grâce au journal qu’elle tient – et le point de vue externe. Si l’écriture d’Elsa Flageul m’a immédiatement séduite et interpellée – tout en finesse, ciselée et poétique – l’histoire en elle-même ne m’a pas apporté l’émotion que j’attendais. Malgré la fulgurance des mots, cette lecture sera vite oubliée.

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« Nous qui ne serons jamais plus des êtres tranquilles. »

« Il y a des personnes comme ça qui semblent ne pas vouloir grandir, comme si grandir, c’était se résoudre, c’était se commettre, c’était se trahir. Comme si grandir, c’était un peu commencer à mourir. »

Brad Watson – Miss Jane **

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Éditeur : Grasset – Date de parution : septembre 2018 – 384 pages

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(Je n’ai pas pu m’empêcher d’afficher la couverture de la version originale du roman, tellement je la trouve sublime…)

Jane Chisolm vient au monde en 1915, dans une petite ferme du Mississippi. Le docteur Thompson, qui assiste à sa naissance, se rend compte qu’elle a une malformation. Malgré tout, cette belle enfant blonde aux yeux bleus, d’un caractère enjoué et insouciant, va survivre et grandir, toujours dans les jupes de sa sœur Grace, sa mère ayant besoin de temps pour souffler.

C’est vers l’âge de six ans que Jane se rend compte qu’elle est différente des autres. Elle a besoin de couches, et ne peut se retenir quand une envie pressante survient. L’enfant vagabonde et crapahute dans les bois et les pâturages alentours, suit les cours d’eau, aux côtés de son chien Manitou. Elle s’évade ainsi et semble oublier sa différence, pour un temps. Envers et contre tous, elle désire aller à l’école.

Un roman étrange et beau. Profondément triste aussi. Je ne saurais en fait pas comment le définir… J’ai aimé cette lecture, même si au fond, il ne s’y passe pas grand chose. Jane est cet oiseau, inaccessible, insaisissable, pour qui l’amour n’est pas possible et qui se résigne à la solitude.

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« À la fin du printemps, l’année de ses six ans, une conscience plus complexe d’être différente des autres avait commencé à se former dans son esprit, telle la racine d’une plante étrange au plus profond des bois. À certains moments, elle avait l’impression d’être une créature étrange et silencieuse m, un être invisible, davantage un fantôme qu’une personne, un enfant, une petite fille. »

Angélique Villeneuve – Maria ***

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Éditeur : Grasset – Date de parution : février 2018 – 180 pages

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Maria aime s’occuper de son petit-fils de trois ans, Marcus, qu’elle aime comme son propre enfant. Leur relation est très fusionnelle. Ensemble ils observent les oiseaux, réinventent le monde… C’est décidé, plus tard Marcus volera.

Marcus n’est pas élevé comme tous les enfants. Un jour il porte une robe à volants, le jour suivant ses ongles sont peints en rouge. Pour leur deuxième enfant, la fille de Maria a fait un choix radical : nul ne connaîtra le sexe de l’enfant. C’est un bébé. Un bébé qui s’appelle Noun. Libre à Noun de choisir son genre comme on choisit un pays.

Maria est une grand-mère touchante et singulière ; elle perçoit le monde de façon synesthésique ; les personnes qui l’entourent, les sons, les événements ont une couleur. « Maria sait la couleur des gens, la couleur des sons et celle des odeurs. Les couleurs invisibles sont son secret et son privilège. »

La naissance de Noun cause une petite révolution – si ce n’est un raz-de-marée – dans sa vie : elle perd son emploi de coiffeuse et William la quitte en laissant ces quelques mots sur la table « C’est trop difficile. » La naissance de cet enfant est aussi la naissance d’un chagrin pour Maria, il fait émerger « sa honte, sa rage inexprimable », tout comme sa crainte de mal faire ou mal dire.

Je découvre l’écriture d’Angélique Villeneuve, riche et sensorielle. Un roman délicat et poétique, qui évoque la question du genre et ses extrêmes, sans aucun jugement.

Sophie Adriansen – Linea Nigra ****

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Éditeur : Fleuve – Date de parution : septembre 2017 – 493 pages

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Je vous présente aujourd’hui un curieux objet littéraire : à la fois roman, enquête et essai sur la maternité, la grossesse et la condition féminine, la façon dont une femme devient une mère. Tous les changements intérieurs et extérieurs qu’une femme va connaître à partir du moment où elle apprend qu’elle est enceinte. Ce livre est aussi une belle histoire d’amour, celle de Stéphanie et de Luc, qui se rencontrent un soir. Puis, quelques mois plus tard, décident de devenir parents.

Je ne sais pas si c’est un livre qu’il faut avoir lu avant d’accoucher. En tous cas, neuf mois après avoir rencontré ma fille, il m’a profondément émue. Sophie Adriansen trouve les mots justes pour décrire cet état dans lequel on est lorsqu’on devient mère, jour après jour. Ce deuil de la femme que l’on était avant l’accouchement. Tout ce qui peut se passer dans notre petite tête et dans notre corps, irrémédiablement changé par un tel événement.

Ce livre est un trésor dans lequel je me suis plongée, dans lequel je me suis reconnue et qui m’a bouleversée. J’ai compatis, souris, pleuré – mes propres souvenirs ont refait surface… Un roman écrit avec sensibilité et justesse, qui nous livre une histoire d’amour, de naissance, une histoire de femme(s).

La grossesse vécue, mois après mois. Puis l’accouchement, la mise au monde d’un enfant, cette épreuve que vivent les femmes et que ne connaîtront jamais les hommes ; le fossé immense creusé entre eux. Donner la vie, rien que ça.

Au fil des pages, nous découvrons des anecdotes à propos de la maternité, de l’accouchement, la césarienne, l’allaitement, les conséquences physiologiques et psychologiques chez la femme. Des réflexions sur la pma, l’adoption, et les limites de ce droit à l’enfant, ce désir d’enfant. Le ton est parfois caustique, révolté – quand il s’agit de dénoncer les pratiques médicales abusives. Un livre féministe et militant, aux témoignages multiples – kaléidoscope féminin qui offre une palette de mots et de regards sur la maternité.

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« J’ignorais que le bonheur pouvait être aussi violent. Qu’il pouvait cogner aussi fort. Qu’il pouvait faire aussi mal. Je n’étais pas préparée. »

« Je partage à jamais un secret avec mon bébé, le secret de sa vie in utero, le secret de la façon dont mon corps l’a bercé, l’a porté, l’a fait grandir. Chacun a offert un cadeau à l’autre, qui n’avait rien demandé. Moi celui de le faire naître. Lui celui de me transformer. A jamais. Le secret qu’à un moment donné de l’existence, lui et moi avons fusionné. »

« Désormais je ne suis plus dans l’attente de quoi que ce soit, il me faut vivre. Embrasser la vie. La prendre à bras-le-corps. Y plonger, tout entière, en cessant de retenir mon souffle. »