Sally Rooney – Conversations entre amis ***

Editions Points – 2021 – 352 pages

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Dublin. Bobbi et Frances ont 21 ans, elles se connaissent depuis l’adolescence, elles ont été en couple. Elles sont étudiantes et se produisent sur scène pour déclamer des poèmes écrits par Frances. À une soirée, elles rencontrent Melissa, photographe et écrivain, et son mari Nick, qui est acteur ; ils ont la trentaine. Ensemble, ils refont le monde, s’invitent à dîner, à boire, se prennent en photos, s’échangent des mails, des textes, des poèmes. Les liens se créent. Bobbi tombe sous le charme de Melissa. Quant à Frances, elle tombe amoureuse de Nick. Irrémédiablement. Les échanges de mails nocturnes se transforment en rencontres clandestines.

Conversations entre amis est une histoire d’amitié et de séduction où la confusion des sentiments fait rage, ou les non-dits prennent des raccourcis. Je débute ma lecture de façon prudente – j’ai tellement aimé Normal People, le précédent roman de Sally Rooney – puis, très vite, je m’attache à la voix de Frances et je pique un plongeon vertigineux dans les méandres de ses pensées, dans son cœur chahuté, dans sa peau et ses blessures. Sally Roney excellent vraiment dans l’analyse psychologique de ses personnages qui sont toujours complexes, instables, en prise avec leurs familles défaillantes et… Juste humains.

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Tracy Chevalier – Le récital des anges ****

Folio – 2003 – 448 pages

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Londres, janvier 1901. La Reine Victoria vient de mourir. Selon la coutume, les familles se rendent au cimetière pour lui rendre hommage. À cette occasion, deux familles découvrent que leurs tombes sont voisines ; les Waterhouse et les Coleman. Si leurs filles se lient d’amitié immédiatement, les parents restent plutôt distants ; leurs différentes sautent aux yeux. Lavinia et Maude, quant à elles, vont sceller leur amitié au cimetière.

Le cimetière qui devient le lieu central du roman, le lieu de leurs jeux enfantins, mais aussi le lieu de jeux d’adultes – entre trahison, secrets et non-dits. Les fillettes se lient d’amitié avec Simon, le fils d’un fossoyeur un peu porté sur la bouteille. Simon n’est pas de leur monde et ne le sera jamais, malgré ses rêves. Maud est rationnelle comme son père quand Lavinia est romanesque à l’excès, elle voit le monde à travers le prisme de l’imagination, il y a en elle tant de candeur. Si Lavinia est élevée dans le respect des valeurs, qu’elles soient morales ou religieuses – famille traditionnaliste – Maude est quant à elle assez livrée à elle même. Sa mère aspire à une autre vie, à une certaine liberté. Elle ne semble pas faite pour la vie domestique. Elle finira pas trouver une raison de vivre grâce au combat des suffragettes.

Le Récital des anges est un roman choral, les personnages prennent la parole à tour de rôle. La multiplicité des points de vue apporte une richesse narrative exaltante. La plume de Tracy Chevalier m’a conquise et ses personnages ont trouvé une résonnance particulière en moi. Comme ses précédents romans que j’ai découvert – A l’orée du verger, La brodeuse de Winchester – j’ai trouvé celui-ci somptueux, puissant, émouvant.

Aurélie Massé – Cette nuit-là ***

Editions Slalom – 2021 – 384 pages

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Le roman d’Aurélie Massé est ma première lecture dans le cadre de la 3e édition de Mes Premières 68 ! Cette nuit-là est un roman choral qui m’a littéralement scotchée. En l’espace de quelques pages, j’ai été happée par les voix de ces adolescents qui se succèdent. Chacun a son petit secret inavouable. La belle et gracieuse Agathe, qui glisse un soupçon de vodka dans sa bouteille d’eau, pour se sentir vivante ; Jav et sa malice inaltérable, Eden aux cheveux incandescents et son mal-être, Alex le studieux, Sarah et son obsession de la maigreur… Dans six mois, ils ont le bac ; après, chacun empruntera une direction différente. Le temps d’une nuit, tout leur petit monde vole en éclats. Tout commence par la vitre étoilée, la neige, le sang sur les mains…

Cette nuit-là est une lecture qui lacère le coeur, qui noue le ventre, à coup de chapitres courts et incisifs – l’écriture, tour à tour tranchante et sensuelle, convoque les cinq sens. En une nuit, le peu d’enfance et d’innocence qui restait en eux se fait la malle. A lire !

Anna Hope – Nos espérances ***

Editions Folio – 2021 – 400 pages

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Dans les années 90, elles sont jeunes. Hannah, Cate et Lissa – trois amies insouciantes, qui jonglent entres les cours à l’université, les soirées arrosées, les virées. Elles vivent en colocation dans une grande maison. Seul le présent compte.

Quinze ans plus tard, 2010. Elles ont 35 ans. Les aléas, les soucis de la vie adulte se sont immiscés en elles, entre elles.

Hannah et son mariage avec Nathan, qui semble parfait, que tous envient… Mais il y a ce désir d’enfant qui les ronge lentement ; après une énième FIV, leur couple se met à battre de l’aile.

Cate et sa dépression post-partum. Le manque de sommeil qui devient destructeur. Cette maternité qu’elle vit mal, depuis son accouchement dont elle ne parvient à faire le deuil. Tom, son fils, qu’elle allaite, qui la réveille toutes les nuits. Son mari Sam, qu’elle ne touche plus.

Et Lissa, devenue actrice en mal de carrière. Lissa l’indépendante. Qui ne veut pas d’enfant. Qui n’a jamais vraiment guérit de ses blessures d’enfant délaissée par sa propre mère.

Elles ne pensaient pas devenir ces femmes. Où est passée leur insouciance ? Où sont passés leurs idéaux ? Leur liberté d’être ? Leurs rêves ? …

Nos Espérances est un roman à l’écriture somptueuse ; l’autrice opère de subtils allers retours dans le passé et le présent, afin de donner plus d’épaisseur et de réalisme à ses personnages féminins, violemment mises à nue, dont je me suis sentie profondément proche, auxquelles je me suis identifiée. La réalité les rattrape, sans qu’elles ne puissent rien y faire. L’atmosphère du roman, douce amère, m’a immédiatement harponnée, émue. Beaucoup de vérités sont évoquées avec une effroyable justesse. C’était mon premier roman de l’autrice, je compte bien lire tous les autres !

Colum McCann – Apeirogon ***

Editions 10-18 – 2021 – 648 pages

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Bethléem. Cisjordanie. Une amitié extra-ordinaire, entre un père palestinien et un père israélien, qui se rencontrent lors d’une réunion de Combattants pour la paix. Tous les deux ont perdu une fille dans des circonstances dramatiques : tirs en pleine rue, attentat. Amitié la plus improbable qui soit.

Un roman à la narration éclatée. Une succession de courts chapitres, parfois juste une phrase. On passe du coq à l’âne. Comme une recherche de sens infinie. Multitude d’informations qui nous assaillent comme une nuée d’oiseaux.

Delphine Pessin – Deux fleurs en hiver ***

Didier Jeunesse – 2020 – 192 pages

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C’est l’histoire d’une amitié atypique entre deux personnages aux prénoms de fleurs.

Capucine est en Terminale ; du haut de son 1m80 et avec ses perruques de différentes couleurs qu’elle change tous les jours, elle attire forcément le regard. Elle commence tout juste un stage à la maison de retraite Le Bel Air. De Capucine, on sait qu’elle a perdu sa mère il y a deux ans et qu’elle en demeure à jamais changée. Elle est souvent en colère, sa meilleure amie Margaux la surnomme le pitbull. Selon ses propres mots, elle est « une meuf compliquée » et « il faudrait un décodeur pour [la] décrypter. » Dans quelles conditions a-t-elle perdu sa mère ? Pourquoi en veut-elle autant à son père ? Et surtout, pourquoi porte-t-elle en permanence des perruques, changeant de couleurs selon l’humeur du jour ?

Violette est une petite vieille qui vient d’arriver au Bel Air et n’en est absolument pas ravie. Elle a dû abandonner son chat Crampon, dont elle n’a plus de nouvelles ; son jardin, ses petites habitudes. Pour elle, la maison de retraite est comme un mouroir.

Capucine, en débarquant au Bel Air, découvre les conditions de travail précaires, le rythme effréné, l’épuisement en fin de journée ; mais elle tisse aussi des liens avec ces petits vieux qui sont touchants, malicieux, et auxquels elle s’attache beaucoup. Et puis, il y a Violette ; qui porte un prénom de fleur, comme elle. Dont l’histoire l’émeut. Une amitié va peu à peu naître entre l’adolescente révoltée et la vieille femme courroucée.

« Alors, contrairement à la plupart des autres lycéens, je ne redoutais pas de travailler avec les ‘seniors’. Ca, c’est le terme politiquement correct pour désigner les personnes âgées. je trouve ça crétin. On dit aussi les ‘anciens’, les ‘pensionnaires’, moi je préfère les ‘vieux’. Il n’y a rien de dégradant à dire qu’ils sont vieux, c’est un fait, voilà tout. C’est même plutôt beau, quand on y pense, d’avoir déroulé le fil d’une vie et de se tenir tout au bout. »

Un court roman qui alterne deux points de vue – deux voix. Celles de Capucine et de Violette. A chaque chapitre, un petit profil différent nous indique si c’est l’une ou l’autre qui prend la parole. Un roman sensible et intelligent, qui aborde de nombreux thèmes avec tact et pudeur : la mort, la perte, la culpabilité, le pardon, la révolte, les conditions de vie en Ehpad.

Lucy Maud Montgomery – Anne de Green Gables ***

Monsieur Toussaint Louverture – 2020 – 384 pages

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C’est une enfant de onze ans qui attend sur le quai d’une gare ; deux longues tresses rousses, un visage parsemé de taches de rousseur, un petit menton pointu. Une lueur malicieuse dans des yeux gris. Et un vrai petit moulin à paroles qui a besoin de beaucoup de place pour laisser libre cours à son imagination.

Elle arrive de l’orphelinat par le train ; mais Matthew et Marilla n’y comprennent rien : c’est un garçon qu’ils attendaient. Un garçon pour les aider à Green Gables ! Que vont-ils bien pouvoir faire d’une fille ?!

Finalement, ils se prennent tant d’affection pour elle qu’ils décident de la garder. Anne et sa langue bien pendue, son imagination si débridée, son amour des arbres et de la nature, ses multiples cascades et erreurs. La fillette est si vivante et authentique – une vraie bonté d’âme ; si heureuse d’être adoptée par Marilla et Matthew. Très vite, elle se lie d’amitié avec Diana, qu’elle nomme son âme sœur.

Le roman de Lucy Maud Montgomery est tour à tour jubilatoire, enivrant, réjouissant. La beauté de l’écriture romanesque et poétique, emplie de lyrisme, m’a enchantée. C’est une lecture qui met du baume au cœur, à la fois drôle et savoureuse, émouvante sans jamais verser dans la niaiserie.

Adèle Bréau – L’odeur de la colle en pot ***

Le Livre de Poche – 2019 – 288 pages

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En 1990, Caroline a treize ans. Elle débarque dans son nouveau collège ; se lie tout de suite avec Vanessa.

Chez elle, rien ne va. Son père passe son temps à les fuir, sa mère à pleurer, sa petite sœur est une teigne qui joue encore aux poupées. Et son corps, qui change, qu’elle ne reconnaît plus. Ses humeurs, ses émotions. Et ces adultes qui ne comprennent rien à rien.

Heureusement, il y a Vanessa et le téléphone à cadran grâce auquel elles s’échangent confidences et scoops.

L’Odeur de la colle en pot est la chronique douce amère d’une ado des années 90. Adèle Bréau nous plonge dans cette époque avec brio. On s’attache à Caroline, sa vision du monde. Ses coups de blues et de coeur, ses espoirs. Sa vision du monde si ténue. Un roman au ton si juste que j’ai été happée de la première à la dernière page.

« C’est pourtant lors de l’un de ces atroces samedis matin que ma vie a réellement commencé. Disons que c’est comme ça que j’interprète ce moment, à la lueur de ce que j’ai vécu depuis, car rien de ce qui l’avait précédé n’avait la même saveur, le même parfum d’interdit. Oui, c’est sans doute à partir de ce jour-là que je me suis enfin délestée de l’enfance. »

Sylvain Pattieu – Amour Chrome ***

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école des loisirs – janvier 2021 – 180 pages

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Mohammed-Ali a la cote au collège, que ce soit auprès des profs comme des élèves – c’est un délégué dévoué qui prend sa mission au sérieux. Mais derrière ces apparences lisses se cachent deux secrets. Le premier ? Mohammed-Ali aime sortir la nuit pour taguer. Le deuxième ? Il est amoureux d’Aimée, une grande renoi aux jambes immenses qui adore le foot. Son pote Zako est le seul au courant de ces deux secrets…

Le contexte est habilement planté. Bagarres entre collégiennes, PNL en fond sonore, langage d’ado, Sylvain Pattieu nous propulse dans le monde adolescent de la banlieue. Mais réduire le roman à cela serait une erreur.

Amour Chrome est un roman que j’ai dévoré avec un vif plaisir. Les personnages sont touchants, les premiers comme les seconds rôles. L’écriture est rythmique, rythmée. L’intrigue est réaliste, loin des clichés. Très vite, je me prends d’affection pour Mohammed-Ali, je me plonge dans son quotidien et me glisse dans les émotions qui le traversent dans ce passage de l’enfance à l’adolescence – cette peur de grandir qui se mélange avec la soif de premières fois. Une tranche de vie émouvante et brute. Hésitante au début, j’en sors conquise!

Charlotte Erlih & Julien Dufresne-Lamy – Darling #Automne ***

Actes Sud junior – 2020 – 368 pages

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May et Néo sont jumeaux, mais tout les oppose. Néo, geek boutonneux, matheux et à l’embonpoint prononcé, se fout des apparences. May passe des heures à se pomponner, choisir avec soin ses tenues et son maquillage, tout comme ses fréquentations. Quand l’adolescente est élue fille la plus populaire du bahut, le fossé entre le frère et la sœur ne fait que s’accentuer.

Depuis quelques temps, May reçoit sur Instagram des messages d’un certain Y… Un Y qui a besoin de changer d’identité pour avoir le courage d’écrire à May, dont il semble fou amoureux. Fou, jusqu’à quel point ?

Un roman choral où retentissent à tour de rôles les voix des jumeaux, ainsi que celle de Y. Le temps d’une saison – l’automne. Une narration ponctuée par les mystérieux messages de Y.

Très vite, la lecture de ce roman devient addictive. Charlotte Erlih et Julien Dufresne-Lamy nous offrent une vertigineuse plongée dans l’univers adolescent ; où les réseaux sociaux sont les lieux de tous les possibles, de toutes les démesures. Où le harcèlement, les moqueries et rumeurs gagnent en ampleur et densité. Entre émotion et suspense, on dévore ce premier tome qui questionne l’identité adolescente avec acuité et intelligence.