Pauline Delabroy-Allard – Ça raconte Sarah ***

Editions de Minuit – 2020 – 192 pages

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Dès les premiers mots, j’ai senti la puissance de ce texte que j’avais très envie de lire après avoir adoré le recueil poétique Enracinées que Pauline Delabroy-Allard a écrit avec sa sœur.

La narratrice rencontre Sarah dans une soirée. Sarah aux yeux verts et tombants, Sarah si vivante et différente. Sarah dont elle tombe amoureuse.

Un roman qui raconte la passion amoureuse, en deux parties ; la première où l’amour, tel un tsunami, submerge la vie de la narratrice. La seconde, dans laquelle l’absence sature tout l’espace. C’est le temps du deuil, et de l’exil italien – à Trieste. Où elle se rend compte que la beauté du monde est toujours intacte…

Ca raconte Sarah est un texte éminemment poétique et fougueux ; les mots racontent la passion qui chavire et chamboule tout, mais aussi la douleur de la perte, de la fin. Moi qui suis plutôt frileuse quand il est question d’amour en littérature, je me laisse emporter par la plume chatoyante de l’autrice. « Mais comment est-ce possible, que la beauté perdure après la catastrophe, après l’innommable? » Ça raconte la douleur de continuer à vivre après la fin du monde.

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Sally Rooney – Conversations entre amis ***

Editions Points – 2021 – 352 pages

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Dublin. Bobbi et Frances ont 21 ans, elles se connaissent depuis l’adolescence, elles ont été en couple. Elles sont étudiantes et se produisent sur scène pour déclamer des poèmes écrits par Frances. À une soirée, elles rencontrent Melissa, photographe et écrivain, et son mari Nick, qui est acteur ; ils ont la trentaine. Ensemble, ils refont le monde, s’invitent à dîner, à boire, se prennent en photos, s’échangent des mails, des textes, des poèmes. Les liens se créent. Bobbi tombe sous le charme de Melissa. Quant à Frances, elle tombe amoureuse de Nick. Irrémédiablement. Les échanges de mails nocturnes se transforment en rencontres clandestines.

Conversations entre amis est une histoire d’amitié et de séduction où la confusion des sentiments fait rage, ou les non-dits prennent des raccourcis. Je débute ma lecture de façon prudente – j’ai tellement aimé Normal People, le précédent roman de Sally Rooney – puis, très vite, je m’attache à la voix de Frances et je pique un plongeon vertigineux dans les méandres de ses pensées, dans son cœur chahuté, dans sa peau et ses blessures. Sally Roney excellent vraiment dans l’analyse psychologique de ses personnages qui sont toujours complexes, instables, en prise avec leurs familles défaillantes et… Juste humains.

Grégoire Delacourt – Une nuit particulière **

Grasset – 1er mars 2023 – 200 pages

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Au crépuscule, une femme se retrouve seule, dans la rue, en proie au chagrin : son mari la quitte, après 30 ans ensemble. Elle décide alors de suivre le premier inconnu venu et de passer la nuit avec lui. Elle s’appelle Aurore. L’inconnu, Simeone. Ensemble, ils vont marcher dans les rues de Paris, boire du cognac, refaire le monde. Se souvenir. Se séduire.

L’amour et la mort, intimement liés au désir – les mêmes thèmes, qui semblent chers à l’auteur, reviennent à travers ce roman, à la façon d’une entêtante mélodie.

« La mort pouvait être le point d’orgue d’une histoire d’amour. »

Une nuit particulière est un roman court et vif sur la perte d’un amour, qui se lit d’une traite. La plume de Grégoire Delacourt est certes belle – les mots sont toujours habilement choisis. Mais elle est parfois si mélodramatique et grandiloquente que ça en devient agaçant. J’ai trouvé très peu vraisemblable de tomber comme ça sur un inconnu dans la rue, qui aime la poésie, et dont on n’a rien à craindre… Et puis certains passages ont des airs de déjà vu ; ils me font en effet penser à un autre de ses romans, Danser au bord de l’abîme, lu il y a peu – mêmes dialogues, mêmes thèmes – un homme malade qui ne veut pas se soigner puis qui l’accepte finalement. Une femme qui s’éprend d’un inconnu, le désire.

Et vous qu’en avez-vous pensé ?

Anne-Laure Bondoux – La Magnifique ***

Pocket – 2022 – 253 pages

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À Maussad-Vallée, au milieu des champs et de nulle part, la vie n’est qu’une suite de calamités pour Bella Rossa… Alors qu’elle a tout juste vingt ans, la jeune femme a connu des sécheresses, des inondations, des incendies, des invasions de sauterelles, des coulées de boue, des épidémies… Sa mère l’a quittée quand elle était enfant et son père est devenu un vieil infirme toujours aussi odieux et violent en paroles – mais plus en gestes heureusement.

Bella Rossa ne supporte plus sa vie dans cette bourgade remplie d’abrutis et perdue, éloignée de toute civilisation ; les hommes deviennent tous fous furieux et injurieux dès qu’ils la croisent à cause de sa beauté flamboyante et – surtout – de son opulente poitrine. Elle n’attend qu’une seule chose : partir.

La jeune femme profite de la guerre pour se carapater avec sa cariole fraichement fabriquée et tout un stock de casseroles et chandeliers amassé au fil du temps, au fil de ses déboires. Sous le soleil implacable des plaines, Bella Rossa compte colporter sa marchandise de patelin en patelin, de ville en ville, peut-être jusqu’à l’océan. Elle espère retrouver ainsi la trace de sa mère. Sauf que la pire des calamités lui tombe dessus… L’amour.

Bella Rossa est une héroïne au tempérament de feu – une femme forte et fougueuse, qui ne se laisse jamais abattre et qui a plus d’un tour dans son sac. Les personnages secondaires sont tout aussi savoureux ; l’amoureux manchot, le père alcoolique et irrascible… Anne-Laure Bondoux nous offre un trio de personnages si attachants. Quelle pépite que ce roman piquant ! Une lecture féministe qui s’est révélée drôle, émouvante et surtout terriblement juste ❤️ Un bonheur de lecture par les temps qui courent.

Sally Rooney – Normal People ****

Points – 2022 – 288 pages

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Normal People c’est deux adolescents qui vont vivre leur premier amour. Marianne, excellente élève, taiseuse et solitaire au lycée ; elle n’adresse la parole à personne, elle est sujet de moqueries auxquelles elle répond avec mépris. Connell est timide, indécis, sur la réserve, il fait partie d’un groupe d’amis populaires.

Le seul lien qui les unit à l’origine, c’est Lorraine, la jeune mère de Connell qui travaille en tant que femme de ménage chez Marianne qui vit dans un manoir, avec une mère distante et acerbe, un frère violent et harceleur, un père disparu dans d’obscures circonstances.

De fil en aiguille, les deux adolescents commencent à sortir ensemble ; mais Marianne est prévenue : cela ne doit pas se savoir au lycée, surtout pas. Très intimes lorsqu’ils sont tous les deux, ils jouent la distance et la froideur au lycée. Quand ils partent pour l’université à Dublin, les choses s’inversent ; Marianne se retrouve entourée d’amis du même milieu social et Connell peine à trouver sa place dans ce monde universitaire singulier.

Le jeu entre eux prend une nouvelle tournure. Impossible pour eux de parvenir à mettre des mots sur la relation qu’ils ont et à laquelle ils tiennent énormément – sans réussir à se l’avouer. Il existe entre eux une alchimie unique et singulière mais les non-dits, les quiproquo parsèment leur histoire.

Normal People est un roman d’une ineffable beauté, ancré dans le réel ; si au début l’écriture m’a un peu déroutée – cinématographique, descriptive, au présent – je me suis vite attachée à Connell et Marianne. Le narrateur omniscient nous offre de successives plongées dans la psyché de chacun, nous les offrant entièrement, intimement, dans leurs moindres failles. Une mise à nue psychologique dénuée de tout manichéisme qui renvoie l’image de leur vulnérabilité, de leur humanité.

Normal People, c’est l’histoire d’un amour qui grandit, de l’adolescence à l’âge adulte, dans toute sa complexité. La construction narrative et l’écriture cinématographique permettent de vraiment se glisser dans la peau des deux protagonistes et de ressentir leurs émotions ; j’ai été émue par certains passages, certaines réflexions qui résonnent avec force. Ce roman est un coup de cœur !

Pascal Ruter – Le Talent d’Achille ****

Didier Jeunesse – 2021 – 288 pages

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Achille Pâté est un vrai cancre. Il préfère passer son temps à rêver de Suzanne, plutôt que de suivre ses cours et de réviser. Il partage son temps libre entre deux matchs de foot ratés et ses visites régulières à son voisin M. Finckel, un petit vieux à qui il fait les courses et à qui il tient compagnie. Le soir, Achille regarde des films de Marilyn Monroe avec sa mère.

Puni d’une heure de colle par sa prof de français, Achille se retrouve au CDI, un lieu qu’il ne fréquente jamais. Il va y faire la rencontre d’un certain Verlaine. Et trouver ainsi un moyen de conquérir la belle Suzanne et ses libellules dans les cheveux.

Un roman absolument délicieux qui nous raconte avec justesse et humour la rencontre entre un adolescent et la poésie ; le quotidien d’Achille va être littéralement chamboulé par sa découverte de la poésie. Car, si au début la poésie n’est qu’un moyen pour Achille de séduire Suzanne, il va se retrouver complètement happé par les mots et leur magie.

Une écriture savoureuse et drôle. Achille, est un anti-héros qui se révèle très vite attachant.

Les personnages secondaires sont tout aussi réussis ; M. Finckel avec son infernal caractère et le mystère qui entoure son passé, l’équipe de foot qui se met à déclamer du Verlaine et du Baudelaire pour se redonner des forces, Suzanne et sa personnalité torturée.

Le style est vraiment cocasse : j’ai eu le sourire aux lèvres pendant toute ma lecture, quand je n’avais pas la larme à l’œil. Un roman intelligent, poétique et drôle qui aborde l’absence d’un père, l’amour, la poésie, la vieillesse de façon si juste ! Une vraie réussite, et tous ces poèmes qui ponctuent l’intrigue sont un vrai régal pour l’âme.

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Julia Kerninon – Liv Maria ****

Folio – mars 2022 – 240 pages

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Liv Maria vit une enfance insouciante sur une petite île bretonne, avec sa mère, économe des mots, et son père d’origine norvégienne qui lui apprend à aimer les livres et les mots en lui lisant chaque soir du Faulkner. Une enfance insulaire à l’abri du monde, où le temps s’écoule différemment.

À l’été 87, Liv Maria a dix-sept ans et elle fait une mauvaise rencontre. Sa mère décide de l’envoyer à Berlin chez une tante qu’elle n’a jamais vue. Arrachée à son île et à la mer qu’elle aime par-dessus tout, Liv Maria se sent littéralement déracinée. Elle prend des cours d’anglais pour s’occuper et fait la rencontre d’un homme – Fergus – qui va bouleverser sa vie.

J’ai tout de suite aimé la musique des mots de Julia Kerninon et je me suis laissée emporter par le destin de Liv Maria qui sera tour à tour amoureuse, fugitive, entrepreneuse, femme, épouse, mère… Sa vie sera jalonnée de pertes et de blessures, mais d’espoir aussi. Un roman éponyme qui m’a saisie et dont l’empreinte reste, plusieurs semaines après sa lecture. Un portrait sensible et poétique, fougueux. Liv Maria fait partie de ces personnages que l’on a du mal à oublier.

Claire Fuller – L’été des oranges amères ****

Le Livre de Poche – juin 2022 – 384 pages

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Été 1969. Frances Jellico a trente neuf ans. Sa mère, femme acariâtre et tyrannique, dont elle s’est occupée toute sa vie, est morte. Elle est missionnée pour faire l’état des lieux du domaine de Lyntons, au coeur de la campagne anglaise. Un domaine qui tombe en ruines, laissé à l’abandon depuis plusieurs années.

Frances y rencontre Cara et Peter, un couple aussi séduisant que mystérieux, qui semble tout de suite l’adopter comme amie. Mais des événements curieux surviennent au fil des jours : une souris morte sur le rebord d’une fenêtre, des bruits dans la nuit, un oreiller dans la baignoire… Et Frances découvre un judas dans le plancher de sa salle de bain, sous une latte. À travers l’œilleton, elle peut observer la salle de bain du couple…

Frances devient le réceptacle des confessions et confidences du couple. Au fur et à mesure que Cara se confie à Frances, le passé tourmenté de la jeune femme surgit, entre mensonges et vérité.

L’été des oranges amères est un roman que j’ai lu d’une traite et qui m’a littéralement bouleversée ; je l’ai terminé en larmes. Je me suis laissée happer par l’écriture de Claire Fuller et son scénario si bien ficelé. Un thriller implacable !

Nelly Alard – Moment d’un couple ***

Folio – 2015 – 416 pages

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Juliette est en couple avec Olivier, ils ont deux enfants. Juliette a la quarantaine et elle file une petite vie tranquille, jusqu’au jour où Olivier l’appelle et lui apprend qu’il a une liaison. Un petit coup de fil de cinq minutes et sa vie bascule.

A travers ce roman au rythme soutenu, Nelly Alard dissèque le couple et l’après-trahison : comment survivre à une trahison amoureuse ? Un roman implacable, écrit avec brio – à la fois dramatique et comique, voire pathétique – qui nous plonge au coeur de l’intimité d’un couple et de ses failles.

Moment d’un couple est une lecture qui se révèle addictive, mêlant féminisme et contradictions humaines et amoureuses. Pourquoi existerait-il une seule façon de réagir à une trahison ?

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« Car de même que les gens ont une idée très précise de la manière dont se comporte une femme violée, se dit-elle, les gens ont aussi une idée très précise de la manière dont doit se comporter une femme trompée, de ce qu’elle peut ou ne peut pas supporter, de ce qu’elle doit ou ne doit pas accepter… »

Anna Hope – La Salle de bal ****

Folio – 2017 – 448 pages

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Yorkshire, Hiver 1911. Ella Fay se retrouve internée brutalement à l’asile de Sharston. Le matin même elle était encore à la filature dans laquelle elle travaillait depuis l’enfance. Sur un coup de sang, un coup de tête, Ella jette une bobine vide sur la vitre opaque derrière laquelle elle travaille – qui la coupe du monde, qui l’opresse – qui se brise.

Chaque vendredi soir, dans cet asile de malheur, a lieu un bal. Dans une immense salle de bal, joue l’orchestre du docteur Fuller, qui observe ses patients valser. Seuls ceux qui se sont bien comportés durant la semaine ont le droit d’y aller. C’est durant ce bal qu’Ella rencontre John, dont elle tombe amoureuse.

A l’asile, elle se lie avec Clem, une jeune femme tourmentée et vive, qui a toujours un livre à la main et cite Emily Dickinson à tout bout de champ. Clem et ses traces sur les poignets, son histoire qu’elle finira par lui confier.

La Salle de bal est un roman qui m’a coupé le souffle et que j’ai terminé en larmes. Une histoire d’amour, mais pas que : c’est un roman qui met en lumière un épisode de l’Histoire que je méconnaissais, l’eugénisme. Ça fait froid dans le dos. Un roman bouleversant aux qualités historiques indéniables ; un hommage d’Anna Hope à son arrière-arrière grand-père.