Anna Hope – Le Rocher blanc ***

Le bruit du monde – août 2022 – 336 pages

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« Il y a un rocher blanc là-bas, dans l’océan, où les Indiens disent que le monde est né. »

Ils sont tout un petit groupe entassé dans un minibus, à sillonner les routes mexicaines, en compagnie d’un chaman. Des Mexicains, une Française, une Allemande, une Sénégalaise et sa fille, des Anglais et un Colombien. Et l’écrivaine, avec sa fille de trois ans. Et son mari, qui ne sera bientôt plus son mari mais son ex-mari.

Qui sont-ils, tous? Pourquoi sont-ils ici, alors que le coronavirus touche le monde entier. Ils font route vers un rocher blanc, situé dans la mer, lieu de culte de la tribu des Wixárikas.

L’écrivaine est au Mexique pour l’écriture de son roman, trouver des pistes, l’inspiration. Elle est au Mexique aussi pour remercier la terre d’avoir eu sa fille, après sept années d’essais, à plus de quarante ans.

Ce rocher blanc est un personnage à part entière, il est le témoin précieux et mystérieux – maudit ou béni ? – de l’Histoire et des histoires…

(1969) Comme celle de ce chanteur hippie porté sur la boisson, qui abandonne son groupe pour trouver ce fameux rocher blanc. (1907) Comme celle de cette fille et de sa sœur Yoemem, déportées sur un bateau avec pour unique destination : la mort. (1775) Ou encore celle de ce lieutenant qui assiste à la folie/prise de conscience d’e son ami d’un de ses compagnons.

Le Rocher blanc est un roman qui traverse les siècles. Ce rocher qui émerge des profondeurs maritimes intrigue et fascine ; il est le témoin des humains, de leur déchéance, de leurs péchés. Témoin de l’extermination des Indiens. Des déportations de Yoemems. Tous les personnages qui se retrouvent devant ce rocher blanc ont en commun, à travers le temps, d’être arrivés à un moment charnière de leur vie : ils ferment une porte, tournent une page, disent adieu à celui ou celle qu’ils ont été, aux croyances qu’ils ont eues.

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Joseph Boyden – Dans le grand cercle du monde ***

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Le Livre de Poche – 2015 – 687 pages

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Joseph Boyden nous offre une immersion spectaculaire dans les grands espaces sauvages du Canada au XVIIème siècle. A cette époque, les Français commencent à s’installer dans la vallée du Saint-Laurent alors que  les Iroquois et les Hurons se livrent une guerre sans fin. L’arrivée des Blancs ne va faire qu’exacerber les tensions entre eux.

Au fil des pages, trois voix se font entendre : celle du Corbeau, un jeune jésuite français, envoyé par l’Église pour convertir ceux qu’il appelle les Sauvages. On le surnomme Corbeau à cause de son ample robe noire dont les Indiens se moquent. Celle d’Oiseau, un chef de guerre huron qui désire ardemment venger la mort de sa famille, assassinée par les Iroquois. Et celle de Chutes-de-Neige, une captive iroquoise dont les parents ont été assassinés sous ses yeux par les Hurons et qu’Oiseau a décidé d’adopter, comme compensation pour la mort des siens.

Ces trois êtres sont réunis par les circonstances, mais divisés par leur appartenance. Chacun mène une guerre ; le Corbeau souhaite à tout prix convertir les Indiens – il consigne ses observations dans son journal afin de faire connaître ce Nouveau Monde aux Européens ; Oiseau ne vit que pour venger sa famille assassinée et se méfie de ces Corbeaux qui débarquent sur leurs terres, les soupçonnant d’apporter les maladies qui déciment leurs peuples. Quant à la jeune Iroquoise, elle est au début comme un animal sauvage, hargneuse et hostile…  Elle finira cependant par se laisser apprivoiser et accepter sa nouvelle famille.

Le Grand cercle du monde est un sacré pavé pour lequel j’ai pris mon temps. Je me suis plongée dans cette fresque foisonnante et fascinante sur l’histoire des Indiens… Mais aussi tragique. En effet, c’est l’histoire du début de leur fin ; la fin d’une civilisation, la fin d’un monde.

Les voix se succèdent au fil des courts chapitres, à un rythme soutenu. L’écriture de Joseph Boyden, poétique et évocatrice, nous transporte, entre émotion et frissons – je demeure captivée par les descriptions de certaines scènes de combat et de cérémonies de tortures terrifiantes. Immersion garantie dans l’immensité sauvage du Canada au XVIIème siècle ; on suit l’évolution des relations entre Christophe Corbeau, Chutes-de-Neige et Oiseau sur plusieurs années, l’évolution de leur psychologie, de leur regard sur ce monde pétri de traditions et de valeurs anciennes qui est en phase d’être métamorphosé par l’arrivée massive des Français.

Le Grand cercle du monde est un roman chorale d’une beauté féroce, à découvrir absolument.

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« Oiseau émerge du champ, comme enfanté par le maïs. Il a le visage peint, la tête rasée d’un côté, les cheveux longs de l’autre, qui brillent dans l’éclat de la lumière. Il s’avance, le pas lent et assuré, vêtu de son seul pagne. Il est plus brun que jamais après son voyage estival sous un soleil ardent et, à la suite des semaines passées à pagayer et à porter les canots, il a acquis le physique d’un dieu romain. J’ai du mal à décrire cet être dans les lettres que j’envoie en France. Il est à la fois homme et animal sauvage. »

David Grann – La Note américaine ***

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Pocket – avril 2019 – 432 pages

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Au XVIIème siècle, les Indiens Osages ont dû quitter leurs terres du Kansas pour être parqués dans une réserve de l’Oklahoma. A la fin du XIXème siècle, on découvre qu’un océan de pétrole coule sous leur réserve… l’or noir. Une véritable hystérie contamine les foules ; les vautours blancs et les colons les plus avides se mettent à affluer dans la région, attirés comme des mouches.

« Les Blancs nous ont regroupés ici dans ce coin perdu, l’endroit le plus aride des Etats-Unis, en pensant : ‘On va envoyer ces Indiens dans la rocaille et on les laissera là.’ Maintenant que ces cailloux valent des millions, tout le monde veut venir ici et repartir les poches pleines. »

Années 1920. Un matin, Anna, la sœur de Mollie, ne rentre pas à la maison. Une semaine après, son corps est découvert. Une balle dans la tête. Au même moment, le corps de Charles Withehorn est retrouvé. Anna et Charles, deux riches Osages trentenaires. L’un après l’autre, les plus riches Osages sont assassinés. Les morts suspectes se succèdent dans l’entourage de Mollie et au sein de la tribu osage, peu à peu rongée par la terreur : attentats, empoisonnements, balles dans la tête, incendies…

L’époque est tellement sanglante qu’elle sera appelée Le Règne de la terreur. Tous ceux qui enquêtent et s’approchent trop près de la vérité finissent par trouver la mort… Une seule question se retrouve sur toutes les lèvres : « Qui sera le prochain? »

C’est finalement le tout jeune FBI, qui à l’époque s’appelle encore le BOI – Bureau Of Investigation -, dirigé par Egdar Hoover, qui se charge de l’enquête. Tom White va diriger une équipe spéciale… Un ancien shérif qui se glisse dans la peau d’un vieux gardien de troupeau du Texas, un Ranger qui apparaît sous les traits d’un éleveur de bétail, un vendeur d’assurances, un Indien qui se fait passer pour un chaman à la recherche de membres de sa famille.

La Note américaine est un documentaire sur une page de l’histoire américaine souvent occultée. Un récit absolument fascinant, remarquablement écrit et mené tambour battant que j’ai dévoré à toute allure, éprouvant effroi et terreur, comme si j’étais plongée dans un thriller.

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« L’Histoire est un juge impitoyable. Elle expose au grand jour nos erreurs les plus tragiques, nos imprudences et nos secrets les plus intimes ; elle jouit de son recul sur les événements avec l’arrogance d’un détective qui détiendrait la clé du mystère depuis le début. »

Richard Wagamese – Jeu blanc ****

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Éditions Zoé – 2017 – 156 pages

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Saul Indian Horse fait partie des Indiens Ojibwés. Enfant dans les années 60, il grandit avec les siens dans la peur et la méfiance des blancs. Son frère et sa sœur se font enlever par les blancs – les Zhaunagush. Sa mère dépérit a vue d’œil et son père éponge son chagrin dans le whisky. Après la mort de sa grand-mère, Saul est envoyé à l’âge de huit ans à St. Jerome’s, un internat où on fait tout pour ôter toute « indianité » en lui, pour museler sa langue et ses racines.

« Quand on t’arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d’où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C’est l’enfer sur terre, cette impression d’être indigne. C’était ce qu’ils nous infligeaient. »

Menaces, insultes, coups, abus sexuels nocturnes, la violence est constante et quotidienne. Certains enfants meurent sous leurs yeux.

« St. Jerm’s nous décapait, laissant des trous dans nos êtres. Je ne parvins jamais à comprendre comment le dieu qui, d’après eux, nous protégeait, pouvait ainsi détourner la tête et ignorer pareilles cruauté et souffrance. »

Pour survivre à cet enfer sur terre, Saul se jette à corps perdu dans le hockey sur glace. Il s’entraîne en cachette avant d’avoir l’âge requis pour jouer. L’adolescent a un don pour ce jeu : il anticipe toutes les actions. Quand il file sur la glace, Saul oublie tout : l’horreur de son quotidien s’efface. « Je croyais bien avoir trouvé une communauté, un abri et un refuge, loin de toute la noirceur et la laideur du monde. »

Dès les premières pages, l’immersion dans la nature est totale ; avec les forêts habitées par les tribus indiennes, la description de leurs rites ancestraux, les légendes qu’ils se transmettent de générations en générations.

« Le feu faisait monter jusqu’à moi des parfums de cèdre, de sauge et de viande grillée, et j’avais grand-faim. La lune était pleine. Alors que le rythme du tambour et du chant ralentissait, tout le monde se joignit à la danse et j’entendis des rires aussi distincts que l’appel des oiseaux de nuit. »

L’écriture de Richard Wagamese possède une puissance d’évocation unique. Jeu blanc est un roman touché par la grâce, qui évoque le racisme envers les Indiens. C’est une lecture sans concession, très dure -l’histoire d’un Indien lacéré dans son identité qui cherche le salut.

Juliana Léveillé-Trudel – Nirliit ***

Nirliit

La Peuplade – octobre 2015 – 184 pages

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Québec. La narratrice divague en s’adressant à Eva, la disparue – l’absente qui hante ces lignes. La narratrice nous décrit la toundra qui émeut et donne envie de brailler. Elle nous raconte ce besoin qu’elle a de se donner aux autres et de venir en aide aux plus démunis du Nord. Chaque été, elle fait le voyage vers le Nord et ses peuples inuits. Irrésistiblement attirée par ces terres et leurs aurores boréales. Chaque été elle répond à son irrésistible besoin de réparer les injustices du monde. Elle n’en a jamais assez, malgré, la fatigue, malgré le manque d’un mari et d’enfants, le manque d’une famille à elle. Elle se confronte ainsi au froid du Nord, et à son extrême pauvreté, son alcoolisme, son délitement.

Ce Nord qui brise des cœurs, ce Nord où il fait 5 degrés en plein mois de juillet… L’Arctique canadien où les caribous envahissent les pistes d’atterrissage. La narratrice cette année y cherche désespérément son amie Eva, portée disparue. Que personne ne cherche.

Nirliit est un récit plutôt court, écrit dans une langue poétique et rugueuse, mêlant québécois et français. Une langue qui m’a dépaysée et happée.

Paulette Jiles – Des nouvelles du monde ****

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Collection Quai Voltaire – La Table Ronde – mai 2018 – 240 pages

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Hiver 1970, Texas. Le capitaine Kidd voyage en solitaire de ville en ville pour lire à voix haute les actualités – de préférence des nouvelles lointaines du monde – devant des assemblées dans des églises et salles de réunion.

Après une de ses lectures à Wichita Falls, le capitaine est chargé de ramener Johanna Leonberger à sa famille, près de San Antonio. Il fait la connaissance de cette enfant de dix ans, chétive et farouche, aux cheveux couleur caramel et aux étranges yeux bleus, vêtue comme une Indienne. Enlevée par des indiens Kiowas à l’âge de six ans, la fillette au regard de poupée de porcelaine se prend pour une indienne ; elle a appris leurs façons d’être, de vivre et leur langage… Le vieil homme et l’enfant vont apprendre à se connaître et à s’apprivoiser tout au long de leur périple qui sera semé d’embûches…

Un roman sublime qui nous propulse dans le temps ; nous parcourons avec Cho-Ena et Kepten les plaines plus ou moins sauvages du Texas à la fin du XIXème siècle, en proie aux conflits avec les tribus indiennes. Un western au rythme palpitant et aux personnages forts et attachants. Coup de ❤ !