Kate Atkinson – La Souris Bleue ***

Le livre de Poche – 2006 – 414 pages

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Cambridge, 1970. Ce sont les grandes vacances, la canicule bat son plein. Rosemary est mariée à Victor, de presque 20 ans son aîné. Mathématicien taciturne, il passe ses journées enfermé dans l’obscurité de son bureau. Rosemary, enceinte jusqu’aux yeux, survit, entre les frasques de ses filles – Sylvia, Amelia et Julia – et ses maux de grossesse. Il n’y a que la petite dernière, Olivia, qu’elle aime – confusément – plus que les autres, elle ne lui cause jamais de soucis. Une nuit, Amelia est autorisée à dormir sous la tente dans le jardin avec Olivia et son doudou, une souris bleue. Mais au matin, Olivia a disparu.

Mais quel est le lien de cette histoire avec Théo, un père obèse et anxieux, 24 ans plus tard? Ou encore avec Michelle, une toute jeune femme qui s’est mariée trop jeune et est devenue maman… Mais le regrette. Ce sont toutes des affaires non résolues… Que le détective privé Jackson, père divorcé malheureux, va devoir résoudre…

Je découvre Kate Atkinson avec ce fameux roman, que je lis après tout le monde. Non mais quelle écriture, quel style! Ironique et furieusement mordant. Ça se déguste. La souris bleue est un roman truculent et intelligent au suspense savoureux.

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Delphine Bertholon – Celle qui marche la nuit ****

Albin Michel – 2019 – 236 pages

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Malo vient d’emménager dans une vieille petite bicoque, en pleine campagne, entourée de forêts, quelque part près de Nîmes. Son père et sa belle-mère sont aux anges, leur rêve se réalise. Mais Malo a dû quitter son meilleur ami Pop’ et ses virées en skate dans les rues parisiennes, ses weekend au cinéma ; Paris et les Buttes Chaumont lui manquent.

En plus, depuis qu’ils sont arrivés, malgré la canicule, une sueur glacée lui colle au dos… Cette maison, il ne la sent pas du tout. Tout ces bruits, ces craquements, ce silence trop dense. Sa petite sœur de cinq ans se met à hurler la nuit et il ne la reconnaît plus – elle parle toute seule et son regard n’est plus le même. Elle semble s’être liée d’amitié avec une fille qu’elle est la seule à voir. Mais le pire dans tout ça, c’est que ses parents ne se rendent compte de rien.

Pour passer le temps, Malo explore la maison, de la cave au grenier, bien décidé à en percer le mystère. Il enfourche son vélo chaque jour et parcourt les forêts à la façon du petit poucet, pour ne pas se perdre. C’est comme ça qu’il tombe sur une maison en ruines, aux airs inquiétants… Dans laquelle il va découvrir une cassette audio et exhumer une histoire vieille de 30 ans.

Le roman de Delphine Bertholon est terriblement bien écrit et l’intrigue, sous la forme du journal intime de Malo, est bien ficelée et accrocheuse ; tous les ingrédients sont réunis pour faire frissonner et ménager le suspense. L’atmosphère est gluante et angoissante. Ça se dévore, le cœur battant !

Monica Sabolo – Summer ***

Le Livre de Poche – 2019 – 288 pages

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Un jour d’été. Un pique-nique au bord du lac Léman. Une partie de cache-cache. Summer Wassner disparaît. Elle a dix-neuf ans. Des cheveux blonds comme le soleil. Tout pour réussir – son avenir est tout tracé. La dernière image d’elle que Benjamin, son frère mutique et taiseux, gardera figée sur sa rétine sont ses longues jambes et son short en jean qui disparaissent dans les bois…

Summer est un roman énigmatique, à l’atmosphère à la fois glauque et magnétique – un savant mélange de thriller et de roman psychologique.

Monica Sabolo nous offre une plongée dans la psyché de cet homme qui, vingt cinq ans après la disparition de sa sœur, se souvient. L’écriture, aussi sublime que glaçante, nous saisit par la main et nous entraîne dans les méandres de sa mémoire, ses pensées et souvenirs tortueux.

Grâce aux séances chez son psychiatre, Benjamin parvient à extraire des bribes de souvenirs. L’on réalise bien vite que les secrets de cette famille sont aussi lourds que des cadavres s’enfonçant dans les profondeurs du lac… L’image du lac revient tout au long du roman – comme une entêtante ritournelle – un personnage à part entière qui ne cesse de fasciner Benjamin – il imagine les créatures qui s’y cachent, métaphores des pires secrets de famille. Je dévore les dernières pages en apnée.

« Qui s’évapore, dans ce monde? Cela n’arrive pas, ou seulement dans ces familles maudites, dont le membre le plus inoffensif (et insignifiant), à force d’imaginer le pire, et de projeter sur autrui l’ombre dont il est fait, finit par provoquer ce qu’il redoutait le plus au monde. Il a le pouvoir de créer les drames qui naissent dans son cerveau dérangé, ils s’échappent de lui de la même façon que le sang s’écoule du corps de sa sœur, sombre, intarissable. »

Sandrine Collette – Des noeuds d’acier **

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Le Livre de Poche – 2014 – 264 pages

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L’Affaire Théo Béranger a défrayé la chronique au cours de l’été 2002. Théo n’avait rien d’un ange. Un homme qui avait la violence chevillée au corps. Qui juste avant les faits, venait de sortir de prison pour avoir massacré son frère.

La narratrice, dont on ne connaît pas l’identité nous livre le journal de Théo, qu’elle a eu entre les mains. L’homme y raconte sa fuite dans un petit village de campagne, ses longues balades dans la nature, conseillée par sa logeuse Mme Mignon. L’éclat dans ses yeux ce matin là quand elle lui recommande d’emprunter ce petit sentier pour accéder à une vue incroyable… Et puis la façon dont il tombe sur une vieille bâtisse éloignée de tout et sur deux vieillards. La façon dont il se retrouve assommé et enchaîné dans leur cave.

Un roman glauque qui me pétrifie de plus en plus au fur et à mesure que j’avance dans ma lecture. Arrivé au milieu, j’hésite même à abandonner. C’est lent et sordide à souhait et le sentiment de malaise qui s’installe en moi s’épaissit. Je n’ai qu’une envie, finir cette lecture au plus vite. La tension grimpe dans les dernières pages. L’angoisse aussi. Un captivity thriller très bien ficelé et efficace, à lire quand on a le moral !

Claire Fuller – Un mariage anglais ***

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Le Livre de Poche – 2019 – 432 pages

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Londres, fin des années 70. Ingrid tombe amoureuse de Gil, son professeur d’écriture à l’université. Après 15 ans et 2 enfants, Ingrid disparaît sans laisser de traces, sinon une série de lettres cachées une à une dans la collection de livres de son mari.

Depuis toujours, Gil n’est pas tant fasciné par l’auteur que par le lecteur, la vie du lecteur. « Un livre ne prend vie que lorsqu’il entre en interaction avec un lecteur. » Il collectionne les traces de vie du lecteur dans les livres qu’il achète d’occasion, se passionne pour les notes griffonnées dans la marge, les papiers et tickets glissés entre les pages…

Les premières lettres débutent un mois avant la disparition d’Ingrid et racontent leur rencontre, l’histoire de leur couple se dessine et la vérité émerge peu à peu. Le vernis s’écaille, les mensonges et les trahisons sont mis en lumière.

Le roman alterne le présent – dix ans après la disparition d’Ingrid, lorsque Gil fait une chute dans les rochers après avoir cru apercevoir sa femme – et le passé grâce aux lettres.

Une lecture hypnotique, à la prose efficace et évocatrice, dont on a du mal à se défaire et qui nous délivre sans fard l’histoire du lent naufrage d’un couple, décrivant et analysant avec acuité et finesse la complexité des émotions et la façon dont une femme se retrouve emprisonnée dans sa vie de mère et d’épouse. Un mariage anglais est un roman fascinant dont j’ai beaucoup aimé la construction narrative.

Au fil des pages, si on comprend les raisons qui poussent Ingrid à disparaître, le mystère ne fait que s’épaissir malgré tout. Ingrid s’est-elle noyée ? Ou bien s’est-elle enfuie délibérément, quittant cette vie de famille oppressante et ce mari toujours absent ?

Nathalie Bernard – Sept jours pour survivre ***

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Thierry Magnier – 2017 – 272 pages

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A Montréal, Nita Rivière se fait enlever le jour de son 13ème anniversaire, alors qu’elle chemine vers son collège. La jeune amérindienne se réveille quelques heures plus tard dans une cabane perdue au coeur de la forêt canadienne enneigée… Seule face à son agresseur au regard empreint de folie.

Nous suivons en alternance l’enquête qui s’ouvre sur l’enlèvement de l’adolescente, menée par les agents Gautier Saint-James et Valérie Lavigne. Au début, les enquêteurs pensent à une fugue ; Nita en a tout à fait le profil : son père est en prison, elle s’habille de façon gothique, est accro à une célèbre série de zombies et adore photographier les édifices et lieux désaffectés, les plaques d’égouts.

7 chapitres comme 7 leçons de survie – leçons qui vont aider l’adolescente à garder espoir et à se battre au sein de cette nature dépeuplée et hostile pendant 7 jours. Forcément je pense à mes précédentes lectures, Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, Terres fauvesLe thème de la nature et de la survie ne cesse de m’attirer dans ses filets ces derniers temps.

Très vite l’intrigue m’a captivée. Sept jours pour survivre est un thriller jeunesse d’une qualité rare, impossible à lâcher, dont le rythme est soutenu – on tourne les pages en frissonnant, la boule au ventre. C’est angoissant, haletant et très bien écrit. Sur fond de thriller, Nathalie Bernard évoque la problématique des disparitions de jeunes filles amérindiennes qui demeurent inexpliquées au Canada et dont les enquêtes sont trop souvent négligées et demeurent sans suite.

Emily Ruskovich – Idaho ***

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Gallmeister – juin 2019 – 384 pages

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Idaho, 1995. Wade est mariée à Jenny ; ils ont deux filles, June et May, âgées de 6 et 9 ans. Par une belle journée d’été, la petite famille se rend dans une clairière de montagne pour ramasser du bois – le soleil tape, les bourdons taquinent. Brusquement, l’impensable se produit. Ils ne rentreront pas indemnes…

Neuf ans plus tard, Wade a refait sa vie avec Ann – ils mènent une vie paisible. Mais depuis quelques temps, il perd la tête. Sa mémoire vacille et ses vieux démons le hantent, il a des accès de violence. Et Ann devient davantage obsédée par la tragédie qui a touché son mari, par son passé si obscur à ses yeux. Au point qu’elle ne peut s’empêcher de romancer la tragédie, d’imaginer, de combler les zones d’ombre avec les indices qu’elle découvre.

Un roman intriguant, encensé par certains, détesté par d’autres

La narration effectue des allers-retours dans le temps ; on fait des bonds dans le passé et le futur. Des années 2000 aux années 90 – puis aux années 2020. Du passé d’Ann à celui de Wade, celui de Jenny en prison… Des fantasmes d’Ann à la réalité.

Idaho possède une écriture ciselée. Emily Ruskovich nous offre des personnages dotés d’une belle épaisseur psychologique – une plongée vertigineuse dans les tréfonds de leur âme.

J’ai eu du mal à quitter cet étrange et dérageant roman sur la mémoire et le traumatisme… Certains s’attendaient sans doute à un vrai thriller, avec une mise en lumière finale. Ce n’est pourtant pas ce qu’il faut retenir. Le roman d’Emily Ruskovich est avant tout une belle et lancinante mélopée qui nous entraîne dans les méandres d’un drame familial, avec pour toile de fond les montagnes de l’Idaho, abruptes et sauvages. On termine cette lecture une pointe d’amertume et des questions qui demeureront sans réponse.

Joyce Carol Oates – Carthage ***

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Editions Points – 2016 – 608 pages

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Été 2005. Au Nord-Est de l’Etat de New-York, une jeune femme de dix-neuf ans disparaît en pleine nuit. Il s’agit de la fille de l’ancien maire de Carthage, Zeno Mayfield, un homme d’influence. Cressida Mayfield a été vue pour la dernière fois le soir du 9 juillet dans la réserve forestière du Nautauga – au cœur des Adirondacks – en compagnie de l’ex-fiancé de sa sœur Juliet, le caporal Brett Kincaid, qui est rentré meurtri et hanté par la guerre d’Irak.

Des cheveux et des traces de sang sont retrouvés dans sa jeep. Malgré le passage aux aveux du caporal plusieurs semaines après la disparition de Cressida, le mystère reste entier car aucun corps n’a été retrouvé. Chez les Mayfield, seul le père refuse de croire à la mort de sa fille.

Cressida est un personnage singulier, pour lequel on ne ressent ni empathie, ni rejet mais qui nous marque, indéniablement ; une jeune femme toute menue, qui ne fait pas son âge et possède un caractère ombrageux ; qui s’habille comme un garçon et n’aime pas son prénom. « Une fille menue aux yeux sombres, avec une coiffure presque afro, des cheveux sombres couleur d’encre, tout frisés […] et un visage sans expression qui ne laissait rien voir de ce qu’elle pensait. » Que lui est-il réellement arrivé ?

Ce petit pavé nous offre une lecture âpre et dense qui nous tient en haleine et nous offre le point de vue des différents personnages, fouillant leur passé, leur psychisme. Certains passages sont profondément dérangeants. Grâce à l’écriture magnétique de Joyce Carol Oates, je me suis vite retrouvée happée par le texte.

Carthage est un roman sombre et puissant qui dénonce avec virtuosité les violences de la guerre – mais aussi celles des prisons – les dégâts sur les survivants – les meurtrissures à jamais inscrites dans leur chair et leur esprit.

Aylin Manço – Ogresse ****

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Sarbacane – février 2020 – 278 pages

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L’héroïne de ce curieux roman s’appelle Hippolyte. Mais l’adolescente préfère qu’on l’appelle « H ». Son coeur fait dix fois trop de bruit dans sa cage thoracique ; elle n’entend que lui – bam bam bam. Son coeur fait des basse de techno, son coeur martèle et rythme chacun de ses gestes. Depuis que ses parents se sont séparés, H a tout le temps peur.

Elle vit seule avec sa mère, en bordure de la forêt. Sa mère, qui est infirmière. Sa mère, qui a un drôle de comportement ces derniers temps. En effet, chaque nuit, la mère d’Hippolyte descend à la cave et s’y enferme soigneusement. Elle achète de la viande en grande quantité qu’elle fait manger à sa fille tout en refusant de manger devant elle. Et puis, un soir, elle lui saute dessus pour la mordre.

Dans le même temps, leur vieille petite voisine, Madame Muños, disparaît sans laisser de trace.

Ogresse est un roman qui se dévore sans en laisser un seul mot, que l’on ne peut s’empêcher de lire jusqu’à découvrir le fin mot de l’histoire – Aylin Manço nous tient habilement en haleine jusqu’au point final.

Ce pourrait être un roman adolescent tout ce qu’il y a de plus banal – un divorce mal digéré, une histoire d’amour, le quotidien d’une bande de potes… Mais son basculement presque immédiat dans le fantastique en fait un petit ovni littéraire prodigieusement fascinant dans lequel il est question de relation mère-fille, de famille, d’amour dévorant, qu’il soit maternel ou adolescent, de découverte du désir. À quelle sauce ta mère te mangera ? J’ai beaucoup aimé le jeu avec les chapitres ; tous ont pour titre un aliment, quelque chose qui se boit, se mange, se consomme.

Gros coup de ❤ pour ce roman délicieusement sanglant, à la plume alerte et acérée, qui ne pourra vous laisser indifférent – vous serez tour à tour fasciné, dérangé, hilare, ému – et qui vous poursuivra longtemps

Mathieu Menegaux – Disparaître ***

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Grasset – 8 janvier 2020 – 216 pages

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Une jeune femme se jette par la fenêtre de son appartement parisien du quartier des Abbesses.

Un sportif matinal découvre le cadavre d’un homme, rejeté par les vagues, à Nice. Ce pourrait être un noyé comme les autres, sauf qu’il n’a aucun poil sur le corps et que l’extrémité de ses dix doigts a été brûlée. Son séjour prolongé en mer l’a bien entendu défiguré. Grondin, le flic chargé d’enquêter, se retrouve face à un énigmatique cadavre. « Qu’est ce qui peut bien pousser quelqu’un à souhaiter disparaître de la surface de la terre? » Cet homme qui apparemment a tout fait pour disparaître l’obsède.

Étienne Sorbier est le grand patron français de Richter & Co, une banque multinationale. Les employés de son entreprise sont poussés à se dépasser toujours plus, supportant jour après jour un rythme infernal et des horaires de travail inimaginables ; tous obsédés par une quête d’excellence qui justifie les exigences les plus déraisonnables.

Quel lien uni ces différentes intrigues ? Aucune date ne nous est donnée, juste quelques indices géographiques : Paris, Nice. C’est la canicule.

Mathieu Menegaux nous livre une fois encore un roman terriblement prenant et efficace, porté par une écriture chirurgicale et incisive, dans lequel il questionne la disparition et ce désir impérieux de disparaître mais aussi l’impossibilité d’un amour. La construction narrative, toujours très habile, nous tient en haleine, du premier au dernier mot, même si le dénouement se laisse entrapercevoir avant la fin.

Que restera-t-il de nous après notre mort ? Les mots de la fin me laissent pantoise – l’estomac noué, les larmes aux yeux.