Gabriella Zalapì – Antonia. Journal 1965-1966 ***

Le Livre de Poche – août 2020 – 160 pages

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« Il paraît qu’un jour on se réveille affamé de ne pas avoir été ce que l’on souhaite. »

Palerme, années 60. Voici le journal d’une jeune femme qui n’a même pas 30 ans. Sur près de deux ans, Antonia tient son journal et lui confie, jour après jour, ses regrets, son mal-être, l’échec de son mariage avec Franco. Cette vie d’épouse ne lui va pas, elle est pleine de mondanités, de vacuité. Elle s’ennuie. « J’ai 29 ans. Mes désirs tombent, s’enfoncent dans l’insonore. Impossible d’envisager une vie de perfect house wife pour le restant de mes jours. J’aimerais abandonner ce corset, cette posture de femme de, mère de. Je ne veux plus faire semblant. »

Franco l’ignore ; il est froid, distant. Même son Vati, son grand-père adoré ne la comprend pas. Elle a une famille, vit dans l’opulence, elle a tout pour être heureuse, comblée. Pourquoi se plaindre.

Un journal criant de vérité. La vérité toute nue de cette femme qui étouffe dans sa vie. L’écriture est tranchante, implacable. « Le temps qui passe ressemble à du mercure. »

Parallèlement, Antonia rend compte de son enquête familiale ; à la mort de sa grand-mère Nonna – qui l’a prise sous son aile à l’adolescence – la jeune femme reçoit des cartons de lettres, de papiers, de carnets qui « dégagent une odeur d’éternité. » Au fur et à mesure de ses fouilles, les souvenirs refont surface. Antonia semble chercher dans le passé un sens à ce qu’elle vit au présent. Elle éprouve le besoin d’assembler les morceaux épars de son histoire familiale.

« Mon imagination demandait à féconder la réalité. »

Gabriella Zalapì nous livre le portrait émouvant et percutant d’une femme qui cherche à s’émanciper, à s’extraire du carcan de cette société patriarcale impitoyable. Un roman implacable et magnifique. Et cette beauté, cette poésie dans l’écriture…

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Sophie Adriansen – Linea Nigra ****

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Éditeur : Fleuve – Date de parution : septembre 2017 – 493 pages

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Je vous présente aujourd’hui un curieux objet littéraire : à la fois roman, enquête et essai sur la maternité, la grossesse et la condition féminine, la façon dont une femme devient une mère. Tous les changements intérieurs et extérieurs qu’une femme va connaître à partir du moment où elle apprend qu’elle est enceinte. Ce livre est aussi une belle histoire d’amour, celle de Stéphanie et de Luc, qui se rencontrent un soir. Puis, quelques mois plus tard, décident de devenir parents.

Je ne sais pas si c’est un livre qu’il faut avoir lu avant d’accoucher. En tous cas, neuf mois après avoir rencontré ma fille, il m’a profondément émue. Sophie Adriansen trouve les mots justes pour décrire cet état dans lequel on est lorsqu’on devient mère, jour après jour. Ce deuil de la femme que l’on était avant l’accouchement. Tout ce qui peut se passer dans notre petite tête et dans notre corps, irrémédiablement changé par un tel événement.

Ce livre est un trésor dans lequel je me suis plongée, dans lequel je me suis reconnue et qui m’a bouleversée. J’ai compatis, souris, pleuré – mes propres souvenirs ont refait surface… Un roman écrit avec sensibilité et justesse, qui nous livre une histoire d’amour, de naissance, une histoire de femme(s).

La grossesse vécue, mois après mois. Puis l’accouchement, la mise au monde d’un enfant, cette épreuve que vivent les femmes et que ne connaîtront jamais les hommes ; le fossé immense creusé entre eux. Donner la vie, rien que ça.

Au fil des pages, nous découvrons des anecdotes à propos de la maternité, de l’accouchement, la césarienne, l’allaitement, les conséquences physiologiques et psychologiques chez la femme. Des réflexions sur la pma, l’adoption, et les limites de ce droit à l’enfant, ce désir d’enfant. Le ton est parfois caustique, révolté – quand il s’agit de dénoncer les pratiques médicales abusives. Un livre féministe et militant, aux témoignages multiples – kaléidoscope féminin qui offre une palette de mots et de regards sur la maternité.

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« J’ignorais que le bonheur pouvait être aussi violent. Qu’il pouvait cogner aussi fort. Qu’il pouvait faire aussi mal. Je n’étais pas préparée. »

« Je partage à jamais un secret avec mon bébé, le secret de sa vie in utero, le secret de la façon dont mon corps l’a bercé, l’a porté, l’a fait grandir. Chacun a offert un cadeau à l’autre, qui n’avait rien demandé. Moi celui de le faire naître. Lui celui de me transformer. A jamais. Le secret qu’à un moment donné de l’existence, lui et moi avons fusionné. »

« Désormais je ne suis plus dans l’attente de quoi que ce soit, il me faut vivre. Embrasser la vie. La prendre à bras-le-corps. Y plonger, tout entière, en cessant de retenir mon souffle. »

Marie-Aude Murail – Miss Charity ****

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Éditeur : l’école des loisirs – Date de parution : 2008 – pages

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Nous sommes à la fin du XIXème siècle en Angleterre. Charity est une enfant débordante de curiosité envers le monde, assoiffée de paroles et d’échanges. Sa personnalité se heurte bien souvent aux carcans de la société anglaise des années 1880, tirée à quatre épingles, dans laquelle une petite fille ça doit se taire et ne pas trop se montrer. Sa mère la vouvoie et lui parle rarement sauf pour l’interroger sur sa connaissance du Guide spirituel du jeune enfant et lui demander de l’accompagner à l’église ; elle n’a jamais regardé son père dans les yeux ; quant à sa bonne Tabitha, qui ne cesse de lui dire qu’elle est mauvaise et possédée par le démon, elle lui raconte des histoires d’horreur juste avant de dormir…

Charity est drôle et attachante. Malgré son univers morose et sa solitude, elle garde sa joie de vivre. A l’âge de cinq ans, elle se découvre une passion pour les animaux : elle les recueille, les soigne, s’essaye à quelques expérimentations scientifiques, reconstituent des squelettes de loir… Rats, escargots, lapins, oisillons, poussins, souris… Charity recueille la moindre petite bête en détresse.

Elle apprend à lire en volant des livres dans la bibliothèque de son père ; se met à apprendre par coeur Hamlet, à en déclamer des passages entiers devant son rat Julius et son lapin Peter, à qui elle apprend des tours. Son corbeau Petruchio se mettra à réciter certaines répliques de Shakespeare.

Avec Mademoiselle Blanche sa gouvernante, Charity apprend l’aquarelle ; une véritable révélation de couleurs. Elle se met à peindre ses animaux, puis à inventer des histoires les mettant en scène.

Avec cette biographie romancée de Beatrix Potter, Marie-Aude Murail nous offre un roman savoureux, au ton éminemment caustique, avec des dialogues mis en scène comme au théatre ; un roman qui dépeint à merveille la condition féminine de l’époque. On y croise Oscar Wilde et Bernard Shaw. C’est délicieusement drôle, plein d’esprit et attachant. Bref, une petite merveille, un coup de ❤ !

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