Pascal Ruter – Le Talent d’Achille ****

Didier Jeunesse – 2021 – 288 pages

*

Achille Pâté est un vrai cancre. Il préfère passer son temps à rêver de Suzanne, plutôt que de suivre ses cours et de réviser. Il partage son temps libre entre deux matchs de foot ratés et ses visites régulières à son voisin M. Finckel, un petit vieux à qui il fait les courses et à qui il tient compagnie. Le soir, Achille regarde des films de Marilyn Monroe avec sa mère.

Puni d’une heure de colle par sa prof de français, Achille se retrouve au CDI, un lieu qu’il ne fréquente jamais. Il va y faire la rencontre d’un certain Verlaine. Et trouver ainsi un moyen de conquérir la belle Suzanne et ses libellules dans les cheveux.

Un roman absolument délicieux qui nous raconte avec justesse et humour la rencontre entre un adolescent et la poésie ; le quotidien d’Achille va être littéralement chamboulé par sa découverte de la poésie. Car, si au début la poésie n’est qu’un moyen pour Achille de séduire Suzanne, il va se retrouver complètement happé par les mots et leur magie.

Une écriture savoureuse et drôle. Achille, est un anti-héros qui se révèle très vite attachant.

Les personnages secondaires sont tout aussi réussis ; M. Finckel avec son infernal caractère et le mystère qui entoure son passé, l’équipe de foot qui se met à déclamer du Verlaine et du Baudelaire pour se redonner des forces, Suzanne et sa personnalité torturée.

Le style est vraiment cocasse : j’ai eu le sourire aux lèvres pendant toute ma lecture, quand je n’avais pas la larme à l’œil. Un roman intelligent, poétique et drôle qui aborde l’absence d’un père, l’amour, la poésie, la vieillesse de façon si juste ! Une vraie réussite, et tous ces poèmes qui ponctuent l’intrigue sont un vrai régal pour l’âme.

❤ ❤ ❤ ❤

Publicité

Catherine Verlaguet – Le processus ***

Le Rouergue DoAdo – 2021 – 64 pages

*

Claire et Fabien l’ont fait pour la première fois, il y a quinze jours. Depuis, Claire ne fait qu’y penser. Ça lui file des papillons dans le ventre. Mais de drôles de nœuds aussi ; car depuis hier, ses règles ont du retard…

Un court texte, lu d’une traite. Pièce de théâtre ou roman ? Nouvelle ? Le Processus est un texte émouvant et percutant qui nous glisse dans la peau et les pensées de cette adolescente qui va devoir faire un choix. Les mots de Catherine Verlaguet m’ont pris à la gorge – quelle justesse – les larmes n’étaient pas loin – un vrai coup de poing.

Élodie Chan – Et dans nos coeurs, un incendie ****

Editions Sarbacane – 2021 – 244 pages

*

Isadora est nouvelle au lycée. Depuis la mort de son père, sa mère ne tient pas en place, les obligeant à déménager fréquemment. Elle change également souvent de mec. Quant à Tristan, grand solitaire et lecteur des Fleurs du mal, « son cœur porte un scaphandre, ses tympans sont des parois étanches ». Les autres se moquent de lui à longueur de jours.

Les deux adolescents se rencontrent dans les toilettes des garçons du lycée. Isadora est en train de fumer, à deux doigts de foutre le feu aux toilettes ; Tristan tente de se pendre avec la collection de cravates de son père. Et puis, leurs regards se croisent. Le feu s’éteint, les ciseaux d’Isadora sectionnent la corde.

Et dans nos cœurs, un incendie est un roman qui sort de l’ordinaire. Sa composition farfelue interpelle, agace ou séduit : hashtag, bulles de sms, jeux avec la typographie. L’écriture est joueuse, poétique ; les mots dérapent façon Apollinaire. La vie s’immisce dans les mots qui prennent vie, se mettent en scène.

Ce roman est un concentré d’émotions. De fureur – fureur de vivre. C’est l’adolescence et les premières fois. Le soulèvent du cœur. Les envies d’en finir alors que tout commence. Une lecture sensuelle et musicale – la playlist m’a beaucoup plu. Les cinq sens sont convoqués pour brosser le portrait de ces deux adolescents que tout semble opposer et qui pourtant s’attirent.

J’ai aimé Tristan, un personnage à la Martin Page, qui passe son temps libre à lire Baudelaire et à penser à comment se foutre en l’air. Avaler de la lessive, se couper les veines, sauter dans la Marne… Jusqu’à ce qu’il tombe amoureux d’Isadora, une jeune fille impulsive et explosive qui n’a pas sa langue dans sa poche.

Coup de cœur pour ce roman abrasif, incisif! Tourneboule le cœur, pique les yeux et donne la chair de poule. ❤️

Aurélie Massé – Cette nuit-là ***

Editions Slalom – 2021 – 384 pages

*

Le roman d’Aurélie Massé est ma première lecture dans le cadre de la 3e édition de Mes Premières 68 ! Cette nuit-là est un roman choral qui m’a littéralement scotchée. En l’espace de quelques pages, j’ai été happée par les voix de ces adolescents qui se succèdent. Chacun a son petit secret inavouable. La belle et gracieuse Agathe, qui glisse un soupçon de vodka dans sa bouteille d’eau, pour se sentir vivante ; Jav et sa malice inaltérable, Eden aux cheveux incandescents et son mal-être, Alex le studieux, Sarah et son obsession de la maigreur… Dans six mois, ils ont le bac ; après, chacun empruntera une direction différente. Le temps d’une nuit, tout leur petit monde vole en éclats. Tout commence par la vitre étoilée, la neige, le sang sur les mains…

Cette nuit-là est une lecture qui lacère le coeur, qui noue le ventre, à coup de chapitres courts et incisifs – l’écriture, tour à tour tranchante et sensuelle, convoque les cinq sens. En une nuit, le peu d’enfance et d’innocence qui restait en eux se fait la malle. A lire !

Isabelle Pandazopoulos – Demandez-leur la lune ***

Gallimard Jeunesse – 2020 – 352 pages

*

Ils sont quatre. Quatre lycéens décrocheurs. Élèves en lycée pro, on leur propose un cours de soutien, deux fois par semaine avec Agathe Fortin, une prof de Français pas comme les autres qui va leur faire travailler l’oral et les inscrire à un concours d’éloquence

À travers les mots, Lilou, Bastien, Samantha et Farouk vont peu à peu se révéler, faire tomber le voile. Se révéler aux autres mais surtout à eux-mêmes – leurs blessures, leurs doutes. Lilou et le secret qui entoure la disparition de son frère Kylian. Samantha et le secret douloureux de sa mère, différente – leur vie miséreuse dans un mobil home.

Les masques tombent. Les adolescents découvrent le pouvoir des mots. Des mots qui ont le pouvoir de détruire ou de panser les blessures. Bastien et la pression de ses parents, qui veulent qu’il intègre l’entreprise familiale et quitte le lycée où tout le monde le juge mauvais de toute façon. Et Farouk, l’étranger, originaire de Turquie, qui semble en permanence vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Demandez-leur la lune est un roman qui prend aux tripes, qui secoue ; c’est émouvant et authentique. L’écriture est poétique et fascinante. L’autrice décrit avec talent les émotions qui agitent les entrailles de l’adolescence.

Delphine Pessin – Deux fleurs en hiver ***

Didier Jeunesse – 2020 – 192 pages

*

C’est l’histoire d’une amitié atypique entre deux personnages aux prénoms de fleurs.

Capucine est en Terminale ; du haut de son 1m80 et avec ses perruques de différentes couleurs qu’elle change tous les jours, elle attire forcément le regard. Elle commence tout juste un stage à la maison de retraite Le Bel Air. De Capucine, on sait qu’elle a perdu sa mère il y a deux ans et qu’elle en demeure à jamais changée. Elle est souvent en colère, sa meilleure amie Margaux la surnomme le pitbull. Selon ses propres mots, elle est « une meuf compliquée » et « il faudrait un décodeur pour [la] décrypter. » Dans quelles conditions a-t-elle perdu sa mère ? Pourquoi en veut-elle autant à son père ? Et surtout, pourquoi porte-t-elle en permanence des perruques, changeant de couleurs selon l’humeur du jour ?

Violette est une petite vieille qui vient d’arriver au Bel Air et n’en est absolument pas ravie. Elle a dû abandonner son chat Crampon, dont elle n’a plus de nouvelles ; son jardin, ses petites habitudes. Pour elle, la maison de retraite est comme un mouroir.

Capucine, en débarquant au Bel Air, découvre les conditions de travail précaires, le rythme effréné, l’épuisement en fin de journée ; mais elle tisse aussi des liens avec ces petits vieux qui sont touchants, malicieux, et auxquels elle s’attache beaucoup. Et puis, il y a Violette ; qui porte un prénom de fleur, comme elle. Dont l’histoire l’émeut. Une amitié va peu à peu naître entre l’adolescente révoltée et la vieille femme courroucée.

« Alors, contrairement à la plupart des autres lycéens, je ne redoutais pas de travailler avec les ‘seniors’. Ca, c’est le terme politiquement correct pour désigner les personnes âgées. je trouve ça crétin. On dit aussi les ‘anciens’, les ‘pensionnaires’, moi je préfère les ‘vieux’. Il n’y a rien de dégradant à dire qu’ils sont vieux, c’est un fait, voilà tout. C’est même plutôt beau, quand on y pense, d’avoir déroulé le fil d’une vie et de se tenir tout au bout. »

Un court roman qui alterne deux points de vue – deux voix. Celles de Capucine et de Violette. A chaque chapitre, un petit profil différent nous indique si c’est l’une ou l’autre qui prend la parole. Un roman sensible et intelligent, qui aborde de nombreux thèmes avec tact et pudeur : la mort, la perte, la culpabilité, le pardon, la révolte, les conditions de vie en Ehpad.

Nastasia Rugani – Je serai vivante ***

« Je suis morte sous le cerisier. »

Un dimanche d’avril, tout bascule. Trois mois après, la narratrice sent encore l’écorce du cerisier sur la peau de son dos. Ses racines qui lui écorchaient le dos pendant qu’il la violait.

« Vous ne me croyez pas puisque je respire. Seulement j’ai appris à faire semblant d’être en vie. J’ai appris cela lors de cet après-midi livide. »

Aujourd’hui, elle est face à un officier de police. Elle porte plainte, enfin. Elle revit, mot après mot, le supplice. Un supplice qui se joue du temps et de la chronologie. Les mots s’étranglent en elle face au mépris de l’homme.

Tout au long de ce court roman, elle s’adresse à l’officier. Le vous est percutant, cinglant.

La mort, elle la porte en elle depuis ce maudit dimanche d’avril. Le viol a agit depuis comme une affreuse métamorphose – de son corps, de sa vie. Une métamorphose de la nature aussi, complice du crime – cette Nature qui portera l’empreinte éternelle de sa mort. « La nature n’a rien fait. Le monde n’a rien modifié de sa beauté au-dehors. Et cette immobilité m’a tuée une nouvelle fois. » Enfin, une métamorphose du Temps, qui s’est vicieusement figé depuis ce matin d’avril – un Temps qui ne s’écoule plus normalement.

Dans une langue à la fois poétique et incisive, Nastasia Rugani nous offre un texte d’une puissance folle – des mots d’une puissance rare. La douleur éclate. L’étrangeté et le sauvage s’empare des mots ; laideur et sublime s’entremêlent dans un corps à corps qui nous saisit à la gorge et nous bouscule.

« Je ne suis plus frileuse. Je suis l’hiver. »

Adèle Bréau – L’odeur de la colle en pot ***

Le Livre de Poche – 2019 – 288 pages

*

En 1990, Caroline a treize ans. Elle débarque dans son nouveau collège ; se lie tout de suite avec Vanessa.

Chez elle, rien ne va. Son père passe son temps à les fuir, sa mère à pleurer, sa petite sœur est une teigne qui joue encore aux poupées. Et son corps, qui change, qu’elle ne reconnaît plus. Ses humeurs, ses émotions. Et ces adultes qui ne comprennent rien à rien.

Heureusement, il y a Vanessa et le téléphone à cadran grâce auquel elles s’échangent confidences et scoops.

L’Odeur de la colle en pot est la chronique douce amère d’une ado des années 90. Adèle Bréau nous plonge dans cette époque avec brio. On s’attache à Caroline, sa vision du monde. Ses coups de blues et de coeur, ses espoirs. Sa vision du monde si ténue. Un roman au ton si juste que j’ai été happée de la première à la dernière page.

« C’est pourtant lors de l’un de ces atroces samedis matin que ma vie a réellement commencé. Disons que c’est comme ça que j’interprète ce moment, à la lueur de ce que j’ai vécu depuis, car rien de ce qui l’avait précédé n’avait la même saveur, le même parfum d’interdit. Oui, c’est sans doute à partir de ce jour-là que je me suis enfin délestée de l’enfance. »

Rémi Giordano – Malamour ***

Éditions Thierry Magnier – 2020 – 240 pages

*

Dans la voiture qui l’éloigne de sa vie jusqu’à présent, Oscar fait défiler le film de la soirée qui a fait voler en éclat son monde. Du sang, une piscine, une fuite dans la forêt. Il lui en reste une odeur de sang dans les narines et un oeil tuméfié. Ses parents le déposent chez sa tante Penelope pour l’été.

Il se rend compte que sa tante est plus malade que ce qu’il pensait. Il fait connaissance avec les voisins, Margot et son sourire de manga, Jonas et ses tatouages. Il se plonge dans Le Parfum, découvre le destin de Jean-Baptiste Grenouille.

Au psy qu’il est obligé de voir tous les 2 jours, il raconte son histoire. À ses voisins, il raconte une autre version… Où est le mensonge? La vérité? Que s’est-il vraiment passé ce soir-là?

Et qui est vraiment Oscar? Ce garçon hypersensible aux odeurs. « Les parfums sont aussi puissants que les souvenirs. Ils sont des souvenirs. » Qui voit le monde sous le prisme de son odorat ; qui traduit le monde et les autres en effluves. Et lui, quelle odeur a-t-il? Celle du mensonge?

Un roman qui possède une belle âme. Beauté de ce roman qui m’a prise par surprise. C’est puissant, triste mais gorgé d’espoir.

Sylvain Pattieu – Amour Chrome ***

pattieuamourchrome1

école des loisirs – janvier 2021 – 180 pages

*

Mohammed-Ali a la cote au collège, que ce soit auprès des profs comme des élèves – c’est un délégué dévoué qui prend sa mission au sérieux. Mais derrière ces apparences lisses se cachent deux secrets. Le premier ? Mohammed-Ali aime sortir la nuit pour taguer. Le deuxième ? Il est amoureux d’Aimée, une grande renoi aux jambes immenses qui adore le foot. Son pote Zako est le seul au courant de ces deux secrets…

Le contexte est habilement planté. Bagarres entre collégiennes, PNL en fond sonore, langage d’ado, Sylvain Pattieu nous propulse dans le monde adolescent de la banlieue. Mais réduire le roman à cela serait une erreur.

Amour Chrome est un roman que j’ai dévoré avec un vif plaisir. Les personnages sont touchants, les premiers comme les seconds rôles. L’écriture est rythmique, rythmée. L’intrigue est réaliste, loin des clichés. Très vite, je me prends d’affection pour Mohammed-Ali, je me plonge dans son quotidien et me glisse dans les émotions qui le traversent dans ce passage de l’enfance à l’adolescence – cette peur de grandir qui se mélange avec la soif de premières fois. Une tranche de vie émouvante et brute. Hésitante au début, j’en sors conquise!