Rabih Alameddine – Les Vies de papier ***

Éditions 10-18 – 2017 – 360 pages

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Aaliya Saleh a 72 ans et les cheveux bleus après un accident capillaire… Elle vit a Beyrouth et a toujours refusé de se conformer à la société libanaise et ses étroits carcans.

Comme j’ai aimé cette héroïne qui supporte mal la vie en société et chérit la solitude, qui préfère la fiction à la réalité, les êtres de papier aux êtres en chair et en os. La ville est en feu et Aaliya se réfugie au creux de ses livres, avec ses amis de papier. Son temps, elle le passe à traduire en arabe ses romanciers fétiches – Kafka, Pessoa, Nabokov. Entre elle et le monde, le pouvoir merveilleux des mots et le parfum des livres.

Le sommeil a peu à peu déserté ses nuits, alors Aaliya se souvient…

De son mari qui l’a répudiée, de sa décision de rester seule dans l’appartement ; seule, envers et contre tous.

Du siège de Beyrouth, pendant lequel elle dormait avec un AK-47 dans son lit en guise de mari.

De son amie Hannah.

De la librairie dans laquelle elle travaillait…

Le passé d’Aaliya émerge par couches successives et le portrait sensible et farouche d’une femme au singulier caractère se dessine.

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Alexandra Koszelyk – L’Archiviste ***

Aux Forges de Vulcain – 2022 – 272 pages

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Dans une ville détruite par la guerre, en Ukraine, les œuvres d’art et la mémoire culturelle du passé ont été mises à l’abri des bombes et du chaos, dans les sous-sols de la bibliothèque… Une jeune femme, archiviste, est chargée de veiller sur elles. Elle semble être la dernière encore en vie pour les protéger. Chaque nuit, ne trouvant le sommeil, K se réfugie auprès de ces œuvres et se plonge dans la lecture de manuscrits.

Une nuit, l’archiviste reçoit la visite d’un des envahisseurs, qui lui demande d’aider les vainqueurs à détruire ce qu’il reste de son pays : ses tableaux, ses poèmes, ses chansons… Son patrimoine culturel. L’homme au chapeau lui demande de falsifier les œuvres. Si elle refuse, il s’en prendra à sa sœur Mila, retenue captive, ou encore à sa mère, mourante.

Nuit après nuit, K s’attelle donc à cette tache de falsification créatrice. Heureusement, des ombres semblent veiller sur elle. De curieuses scènes surgissent devant ses yeux, tout droit venues du passé – de troublants voyages à travers les époques et les arts. A la fin de chacune des visions, un objet lui reste entre les mains – une fleur, une partition… Un passé qui n’est pas prêt à disparaître.

K se sent profondément coupable de devoir ainsi falsifier ces œuvres qui représentent son pays ; mais elle va parvenir à se jouer de l’envahisseur et à glisser des messages cachés dans chacune des œuvres falsifiées. Au fil de ses re-créations, ses propres souvenirs émergent – petite et grande histoire s’entremêlent.

J’ai été déroutée au début par ce côté surnaturel auquel je ne m’attendais absolument pas. Et puis finalement, j’ai trouvé ce procédé très beau et subtile. Ce roman est un magnifique chant d’amour à la culture ukrainienne, à la littérature, aux arts, tout simplement. Un roman qui m’a surprise et conquise.

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« La joie et le jeu colonisaient les œuvres depuis des lustres, les artistes étaient ces êtres qui déjouaient les exigences de leurs commanditaires, trouvant toujours assez de liberté entre les mailles des contraintes pour leur faire un pied de nez sans qu’ils le sachent. »

« Les textes sont ces tissus que les êtres portent, même quand ils sont nus. »

Maria Primatchenko

Antoine Wauters – Mahmoud ou la montée des eaux ***

« Je suis de l’autre côté. Dans le monde du souvenir. »

Syrie. Mahmoud est un vieil homme à présent. Il a pris l’habitude de sortir seul et de naviguer sur sa barque en bois de pin, sur le lac artificiel el-Assad qui a englouti sa ville natale il y a de cela plusieurs années, en 1973. Lorsqu’il plonge, il se retrouve à palmer et nager au-dessus des ruelles de son passé, il survole sa mémoire. Il rame au-dessus de ses souvenirs – sa maison d’enfance, ses parents, l’enfant qu’il a été, son premier amour.

« Chaque jour je nage jusqu’à me revoir enfant. »

La guerre gronde. Le sang coule. Et le vieil homme égrène ses souvenirs au fil de ses escapades sous-marines. Sa femme Sarah, éprise de poésie russe. Son séjour en prison. Sa première femme, Leila. Ses enfants. Ses poèmes.

Un roman-poème qui se déroule, vers après vers, mélancolique, où l’écriture, à l’image de la nage, ravive la douleur tout en apaisant le cœur. Un texte hanté par l’absence qui ne se laisse pas qualifier aisément : poésie ? théâtre ? Une certaine mise en scène poétique, pleine de grâce. C’est la voix d’un homme au seuil de la fin de sa vie, un poète, qui parle de la perte d’êtres chers, de la guerre qui ravit tout.

Ocean Vuong – Un bref instant de splendeur ***

Folio – 2022 – 336 pages

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« Si la vie d’un individu, comparée à l’histoire de notre planète, est infiniment courte, un battement de cils, comme on dit, alors être magnifique, même du jour de votre naissance au jour de votre mort, c’est ne connaître qu’un bref instant de splendeur. »

Un fils écrit à sa mère une lettre qu’elle ne lira jamais. Une longue lettre, dont il nous livre sa dernière version. Sa mère, ce personnage si singulier et cruel, qui est née d’un soldat américain et d’une paysanne vietnamienne, analphabète ; elle n’a jamais voulu apprendre à lire et parle très peu anglais. Elle travaille dans un salon de manucure, aux États-Unis.

« Ce que je te raconte n’est pas tant une histoire qu’un naufrage – des fragments qui flottent, enfin déchiffrables. »

L’auteur dépeint une mère aussi tendre que monstrueuse. Les souvenirs s’égrènent au fil des mots ; les coups qu’elle faisait pleuvoir, sa rage. Les dimanches passés au salon de manucure dans les vapeurs d’acétone. Au fil des mots, le fils retisse l’histoire de sa famille, meurtrie par la guerre du Vietnam. Cette lettre est aussi pour lui un moyen de revenir sur son passé, ses blessures, la découverte de son homosexualité, les deuils successifs.

« Je cours en me disant que je vais prendre tout ça de vitesse, puisque la volonté de changer est plus forte que ma peur de vivre. »

Dans une langue somptueuse, poétique, le narrateur se questionne sur la disparition, l’appartenance, l’identité, la famille, la guerre, la beauté… Un récit douloureux qui met en relief l’écriture comme moyen de garder en vie les disparus, de rendre présent l’absence, de nommer tout ce qui n’a pu être dit.

« Qu’étions-nous avant d’être nous? On devait être debout sur le bas-côté d’une route pendant que la ville brûlait. On devait être en train de disparaître, comme c’est le cas aujourd’hui. »

Rachel Corenblit – Les enfants du Lutetia ***

Editions du Mercredi – 2021 – 136 pages

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Cela fait 3 ans que Léopold vit chez Juliette, la meilleure amie de sa mère. Il y a 3 ans, ses parents sont partis, laissant un enfant de neuf ans bouillonnant de rage. « C’est là que je me suis dit que ne pleurerai plus jamais. » Du jour au lendemain, Léopold est devenu le neveu de Juliette.

Aujourd’hui, nous sommes en mai 1945 et la guerre est finie. Le Général de Gaulle arrive. L’humeur est à la fête. Juliette et Léopold attendent le retour des parents ; leur réapparition. Ils font leur valise et sautent dans le premier train pour Paris. Ils ont entendu dire que les rescapés des camps de concentration atterrissaient tous à l’hôtel Lutetia.

Ils se mettent donc à passer leurs journées au Lutetia. Léopold reste sans voix devant les murs recouvert de photos des disparus ; puis ils en voit revenir, par vagues : les rescapés – les survivants, les fantômes, livides, hagards. Léopold semble jusqu’à présent avoir été protégé de l’abominable vérité. Il va la découvrir, petit à petit, notamment à travers ses échanges avec d’autres enfants qui attendent eux aussi des membres de leur famille : Marie-Antoinette, fille de magiciens, André, l’américain qui dit toujours « merde » et qui a des doigts d’or… Et Michel, dont la mère fut arrêtée en pleine rue. Ces enfants de disparus vont passer leurs journées ensemble au Lutetia, entre attente interminable, angoisse et confidences. Ils se partagent leur histoire, leur espoir et leur désespoir.

Les Enfants du Lutetia est un roman court et percutant, écrit à la première personne ; c’est le Je de Léopold, le Je d’un enfant qui prend conscience d’une des pires atrocités du monde. L’écriture de Rachel Corenblit est implacable. L’autrice nous offre un roman profondément humain, entre espoir et noirceur, qui se lit d’une traite, le cœur battant.

Tracy Chevalier – La Brodeuse de Winchester ***

Folio – novembre 2021 – 400 pages

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Winchester, 1932. Violet Speedwell a 38 ans ; elle fait partie de ces millions de femmes restées célibataires après la fin de la Grande guerre – ces « femmes excédentaires ». Grande guerre qui lui a arraché son frère aîné George et son fiancé Laurence.

À la mort de son père, Violet fuit sa mère acariâtre et s’installe seule à Winchester. Mais être une femme seule en 1932 n’est pas bien vu. Les hommes la regardent avec curiosité ; les femmes avec mépris. Elle découvre par hasard le cercle des brodeuses de la cathédrale de Winchester. Elle y trouvera amitié et soutien, auprès notamment de Gilda Hill, qui lui fait connaître Arthur, le sonneur de cloches, dont elle s’éprend.

La Brodeuse de Winchester est un roman puissant et émouvant, à l’humour subtil ; je me suis laissée emportée par l’écriture délicate de Tracy Chevalier et j’ai fait connaissance avec Violet, une femme qui s’affirme contre cette société patriarcale oppressante qui veut qu’une femme ne soit rien sans un homme. Un vrai bonheur de lecture.

Elizabeth Jane Howard – Étés anglais ***

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La Table Ronde – mars 2020 – 576 pages

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Après en avoir entendu parler pendant des mois, j’ai enfin succombé au charme des chroniques de la famille Cazalet

Nous sommes en 1937, c’est l’été au coeur du Sussex en Angleterre. Toute la famille Cazalet et les pièces rapportées s’apprêtent à se rassembler à Home Place, la maison familiale au bord de la mer. Trois frères et leurs femmes et enfants respectifs. Leur sœur, Tante Rachel, célibataire. Et toute la clique de domestiques.

On découvre les membres de cette famille, des personnages tous aussi bien croqués les uns que les autres ; certains m’ont interpellée, m’ont touchée plus que d’autres.

Comme la jeune Louise, quatorze ans, qui se sent à la fois encore enfant et déjà profondément vieille. Qui peut citer du Shakespeare pour n’importe quelle situation et rêve de devenir comédienne. Son père Edward qui se délecte d’avoir une double vie, dont personne ne soupçonne l’existence. Sa mère Villy qui cherche en vain un sens à sa vie conjugale à laquelle elle prend si peu goût au fond ; pour laquelle elle a dû abandonner sa passion pour la danse.

L’oncle Hugh qui est revenu meurtri par la guerre et appréhende celle qui semble se profiler… Sa femme Sybil, enceinte jusqu’aux yeux. Leur fille Polly, inséparable avec sa cousine Louise. La pauvre Clary, mal dans sa peau, dont la mère est morte en donnant naissance à Neville son frère. Leur père Rupert qui s’est remarié, avec Zoé, une jeune femme aussi séduisante que décérébrée, que personne ne semble apprécier.

Je me suis délectée de ces chroniques d’une famille de l’aristocratie anglaise de la fin des années 30, entre journées à la plage, dîners, parties de tennis, commérages et mensonges. Drames chuchotés derrière les portes. Et le spectre de la guerre qui plane insidieusement.

Etés anglais est un roman absolument savoureux, qui fourmille, qui jongle entre subtile ironie et drame, dont j’ai aimé l’écriture légère et truculente, imagée et évocatrice. Un roman qui se déguste avec une tasse de thé brûlante.

Elizabeth Jane Howard nous livre une analyse fouillée de l’âme humaine, entre légèreté et profondeur. L’autrice révèle un certain génie pour nous livrer le portrait aiguisé de ces personnages, leurs désarrois, leurs atermoiements, leurs excès et leurs joies. Dès les premiers mots, on plonge vertigineusement entre ces pages. Etés anglais est le premier tome d’une saga qui s’annonce mémorable.

Stephen Markley – Ohio ***

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Albin Michel – Terres d’Amérique – août 2020 – 560 pages

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« Il est difficile de dire où cela s’achève et même où cela a commencé, car on finit fatalement par se rendre compte que la linéarité n’existe pas. Tout ce qui existe, c’est ce lance-flammes délirant, ce rêve collectif dans lequel nous naissons, voyageons et mourons. »

Été 2013. Six ans après l’enterrement du caporal Rick Blinklan, un des membres de leur bande, quatre anciens camarades de lycée se retrouvent par hasard dans leur petite ville natale, New Canaan, en plein coeur de l’Ohio. Ils sont trentenaires. Le temps les a plus ou moins épargnés, plus ou moins marqués. En débarquant à New Canaan, ils se souviennent de ce qu’ils étaient, de leurs années lycée. Ils se confrontent, souvent malgré eux, au passé. Leurs amours, leurs folies, leurs échecs. Chaque partie se concentre sur un des personnages…

Il y a Bill Ashcraft, ancien activiste humanitaire à la Nouvelle-Orléans, devenu toxicomane. Il débarque à New Canaan pour y livrer un mystérieux paquet…

Quant à Stacey Moore, elle revient pour revoir la mère de son ex petite-amie et régler ses comptes… Elle repense à son frère aîné Patrick, qui n’a jamais accepté son homosexualité.

Danny Eaton, hanté par ses souvenirs de la guerre, a besoin de revoir Hailey, la fille avec qui il a perdu sa virginité au lycée et dont il était fou.

Enfin, Tina Ross est bien décidée à revoir le mec qui a brisé sa vie.

A travers cet épais roman, Stephen Markley dresse le portrait d’une jeunesse américaine désabusée et meurtrie par le 11 septembre, la guerre… Une jeunesse tiraillée, entravée, dont les blessures peinent à se refermer. Un pavé dense, pour lequel j’ai pris mon temps, dans lequel je me suis immergée. Ohio est un roman noir de chez noir, sans concession, qui m’a tour à tour secouée, révoltée, émue.

« La littérature, c’est une immense conversation qui transgresse toutes les limites définissant notre pensée : les frontières, notre durée de vie, les continents, les millénaires. »

Joseph Boyden – Dans le grand cercle du monde ***

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Le Livre de Poche – 2015 – 687 pages

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Joseph Boyden nous offre une immersion spectaculaire dans les grands espaces sauvages du Canada au XVIIème siècle. A cette époque, les Français commencent à s’installer dans la vallée du Saint-Laurent alors que  les Iroquois et les Hurons se livrent une guerre sans fin. L’arrivée des Blancs ne va faire qu’exacerber les tensions entre eux.

Au fil des pages, trois voix se font entendre : celle du Corbeau, un jeune jésuite français, envoyé par l’Église pour convertir ceux qu’il appelle les Sauvages. On le surnomme Corbeau à cause de son ample robe noire dont les Indiens se moquent. Celle d’Oiseau, un chef de guerre huron qui désire ardemment venger la mort de sa famille, assassinée par les Iroquois. Et celle de Chutes-de-Neige, une captive iroquoise dont les parents ont été assassinés sous ses yeux par les Hurons et qu’Oiseau a décidé d’adopter, comme compensation pour la mort des siens.

Ces trois êtres sont réunis par les circonstances, mais divisés par leur appartenance. Chacun mène une guerre ; le Corbeau souhaite à tout prix convertir les Indiens – il consigne ses observations dans son journal afin de faire connaître ce Nouveau Monde aux Européens ; Oiseau ne vit que pour venger sa famille assassinée et se méfie de ces Corbeaux qui débarquent sur leurs terres, les soupçonnant d’apporter les maladies qui déciment leurs peuples. Quant à la jeune Iroquoise, elle est au début comme un animal sauvage, hargneuse et hostile…  Elle finira cependant par se laisser apprivoiser et accepter sa nouvelle famille.

Le Grand cercle du monde est un sacré pavé pour lequel j’ai pris mon temps. Je me suis plongée dans cette fresque foisonnante et fascinante sur l’histoire des Indiens… Mais aussi tragique. En effet, c’est l’histoire du début de leur fin ; la fin d’une civilisation, la fin d’un monde.

Les voix se succèdent au fil des courts chapitres, à un rythme soutenu. L’écriture de Joseph Boyden, poétique et évocatrice, nous transporte, entre émotion et frissons – je demeure captivée par les descriptions de certaines scènes de combat et de cérémonies de tortures terrifiantes. Immersion garantie dans l’immensité sauvage du Canada au XVIIème siècle ; on suit l’évolution des relations entre Christophe Corbeau, Chutes-de-Neige et Oiseau sur plusieurs années, l’évolution de leur psychologie, de leur regard sur ce monde pétri de traditions et de valeurs anciennes qui est en phase d’être métamorphosé par l’arrivée massive des Français.

Le Grand cercle du monde est un roman chorale d’une beauté féroce, à découvrir absolument.

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« Oiseau émerge du champ, comme enfanté par le maïs. Il a le visage peint, la tête rasée d’un côté, les cheveux longs de l’autre, qui brillent dans l’éclat de la lumière. Il s’avance, le pas lent et assuré, vêtu de son seul pagne. Il est plus brun que jamais après son voyage estival sous un soleil ardent et, à la suite des semaines passées à pagayer et à porter les canots, il a acquis le physique d’un dieu romain. J’ai du mal à décrire cet être dans les lettres que j’envoie en France. Il est à la fois homme et animal sauvage. »

Joyce Carol Oates – Carthage ***

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Editions Points – 2016 – 608 pages

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Été 2005. Au Nord-Est de l’Etat de New-York, une jeune femme de dix-neuf ans disparaît en pleine nuit. Il s’agit de la fille de l’ancien maire de Carthage, Zeno Mayfield, un homme d’influence. Cressida Mayfield a été vue pour la dernière fois le soir du 9 juillet dans la réserve forestière du Nautauga – au cœur des Adirondacks – en compagnie de l’ex-fiancé de sa sœur Juliet, le caporal Brett Kincaid, qui est rentré meurtri et hanté par la guerre d’Irak.

Des cheveux et des traces de sang sont retrouvés dans sa jeep. Malgré le passage aux aveux du caporal plusieurs semaines après la disparition de Cressida, le mystère reste entier car aucun corps n’a été retrouvé. Chez les Mayfield, seul le père refuse de croire à la mort de sa fille.

Cressida est un personnage singulier, pour lequel on ne ressent ni empathie, ni rejet mais qui nous marque, indéniablement ; une jeune femme toute menue, qui ne fait pas son âge et possède un caractère ombrageux ; qui s’habille comme un garçon et n’aime pas son prénom. « Une fille menue aux yeux sombres, avec une coiffure presque afro, des cheveux sombres couleur d’encre, tout frisés […] et un visage sans expression qui ne laissait rien voir de ce qu’elle pensait. » Que lui est-il réellement arrivé ?

Ce petit pavé nous offre une lecture âpre et dense qui nous tient en haleine et nous offre le point de vue des différents personnages, fouillant leur passé, leur psychisme. Certains passages sont profondément dérangeants. Grâce à l’écriture magnétique de Joyce Carol Oates, je me suis vite retrouvée happée par le texte.

Carthage est un roman sombre et puissant qui dénonce avec virtuosité les violences de la guerre – mais aussi celles des prisons – les dégâts sur les survivants – les meurtrissures à jamais inscrites dans leur chair et leur esprit.