Brit Bennett – Le cœur battant de nos mères ***

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Nadia n’a pas encore dix-huit ans mais elle a déjà perdu sa mère et avorté sans en parler à personne… Elle s’apprête à passer un dernier été dans sa ville natale avant de tout quitter pour l’université : son père meurtri, son amant Luke qui l’a abandonné au moment où elle en avait le plus besoin, et Aubrey, sa seule amie.

Le Cœur battant de nos mères est un roman où les mères sont absentes ; celle de Nadia s’est tirée une balle en pleine tête, sans prévenir, celle d’Aubrey ne l’a pas protégée quand elle était enfant et l’a abandonnée. Un roman où l’avortement occupe toute la place ; ce bébé avorté ne va cesser de hanter Luke – l’avortement ne bouleverse pas seulement les femmes… – Nadia, elle, ne digère pas la trahison de Luke. Chacun va grandir avec ses propres blessures, ses non-dits, ses rancœurs. C’est une histoire de mères mais aussi une histoire de trahison. De chacun des trois personnages principaux – Luke, Aubrey, Nadia – on se sent intimement proche. Le roman de Brit Bennett m’a bouleversée.

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Joyce Carol Oates – Le Maître des poupées et autres histoires terrifiantes ***

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Philippe Rey – septembre 2019 – 336 pages

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Dans ce recueil, six nouvelles terrifiantes nous attendent… La première donne le ton. On y rencontre un enfant qui s’attache déraisonnablement à la poupée de sa petite cousine morte d’une leucémie. Quelques années plus tard, il commence une étrange collection à partir des poupées perdues et abandonnées par leurs propriétaires qu’il déniche dans le voisinage grâce à son Ami imaginaire. Mariska, Annie, Valerie, Evangeline… La frontière entre collection et obsession, réalité et horreur semble bien ténue. Une nouvelle horrifiante, qui m’a glacé le sang et révulsée. Sournoisement, le texte nous fait saisir l’horreur de cette collection, cachée au fond d’une remise.

Dans ce recueil, on croisera également un homme accusé d’avoir commis un meurtre raciste fanatique, une femme qui se souvient de son adolescence et d’une nuit terrifiante passée dans cette grande maison des quartiers chics appartenant à son professeur préféré. Sans oublier cette autre femme, persuadée que son mari veut la tuer pendant leur voyage en Amérique latine. Et cette adolescente délaissée par sa mère, qui trouve du réconfort auprès d’une famille vraiment spéciale… Et enfin, cet homme d’affaire qui convoite avidement une vieille librairie de livres anciens et qui est prêt à tout pour s’en emparer.

La première nouvelle, Le Maître des poupées est à mon sens la plus réussie, elle m’a laissée complètement horrifiée ; sa construction narrative est incroyablement aboutie ; quant à Big Momma, j’ai ressenti effroi et frissons à la lecture du dénouement. Oates excelle encore une fois dans l’art de la nouvelle, notamment dans l’élaboration de la chute finale et les retournements sournois de l’intrigue. Un recueil de nouvelles dont on se délecte horriblement et dont on redemande !

Laura Kasischke – Eden Springs ***

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Page à Page – août 2018

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Au printemps 1903 à Benton Harbor dans le Michigan, la secte de la Maison de David éveille la curiosité par ses maisons victoriennes, son zoo exotique, sa volière, son verger luxuriant et son parc d’attraction ouvert à tous. Benjamin Purnell, son charismatique gourou, toujours en costume blanc, barbe et cheveux long, la mine avenante, promet la vie éternelle à ses adorateurs, et particulièrement aux belles et innocentes jeunes filles.

A ces jeunes filles, il exige chasteté, robes blanches immaculées et rituels de purification… qui à l’abri des regards se transforment en rituels charnels. Ils vivent tous ensemble, comme une grande famille, toujours souriante et avenante. Ils respirent la joie de vivre. Les fidèles ne cessent d’arriver en masse, d’Europe, d’Australie…

Vingt ans plus tard, la rumeur propage une sordide histoire… En enterrant le cercueil d’une femme la communauté, qui est censée être morte à 68 ans d’une crise d’apoplexie, un fossoyeur découvre en fait qu’il s’agit d’une jeune fille d’à peine seize ans.

Pour ce nouveau roman, Laura Kasischke s’inspire d’une histoire vraie. Chaque chapitre s’ouvre sur une citation issue des archives – coupures de presse du New York Times et autres témoignages, dépositions. Un roman qui reprend les thèmes de prédilection de l’autrice : la sexualité venimeuse, la mort, l’étrangeté, l’adolescence. Une fiction historique qui certes n’égale pas la grandeur de certaines de ses autres romans – Un oiseau blanc dans le blizzard, A Suspicious River pour ne citer qu’eux – mais demeure fascinante et hypnotique, qui fait frissonner lorsque l’on songe qu’il s’agit d’une histoire vraie.

Pete Fromm – La Vie en chantier ****

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Gallmeister – Septembre 2019 – 487 pages

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Taz et Marnie sont un couple épanoui, heureux. Depuis trois ans qu’ils ont acheté leur petite maison à Missoula dans le Montana pour une bouchée de pain, ils n’ont pas beaucoup avancé les travaux… Le salon est encore en chantier lorsque Marnie annonce qu’elle est enceinte à Taz. Bouleversés, ils vont tenter de faire progresser les travaux avant l’arrivée du bébé… Tout en continuant leurs balades au cœur des forêts de pins ponderosa, sur leur petit bout de plage au bord de la Clearwater, méconnu de tous. Mais lorsque Marnie meurt d’une embolie pulmonaire juste après avoir accouché, Taz se retrouve anéanti comme jamais, avec sa fille Midge, dont il va devoir apprendre à s’occuper…

La vie en chantier, c’est celle de Taz, après la mort de l’amour de sa vie. Jour après jour, Pete Fromm nous raconte cet homme, ébéniste de métier, sa lente reconstruction malgré le chagrin qui s’agrippe à lui ; son quotidien se déroule sous nos yeux, avec sa fille qui grandit, qu’il apprend à connaître. La paternité, qu’il apprivoise. La tête, qu’il sort peu à peu de l’eau. La voix de Marnie qui résonne dans sa tête, son corps qui le hante. L’entrée d’Elmo dans leurs vies. Comment apprend-t-on à vivre sans l’autre ?

J’avais à peine lu 50 pages que je pleurais déjà… Et par moment, je me surprenais à sourire, malgré tout. Un roman profondément humain, où les épreuves de la vie tout comme la banalité du quotidien sont décrits avec beaucoup de justesse et où la question du deuil est sublimée par l’écriture, dénuée de tout pathos, de toute mièvrerie. Je l’ai dévoré à toute allure, retardant cependant le moment de me séparer de ces personnages qui au fond nous ressemblent… ❤

Andrew Ridker – Les Altruistes ***

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Rivages – 28 août 2019 – 432 pages

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Dans la famille Alter, il y a Arthur le père, qui enseigne l’ingénierie à l’Université de Danforth dans le Missouri, espérant ardemment être titularisé à la fin de chaque année scolaire, en vain. Francine la mère, thérapeute à domicile qui est morte il y a deux ans d’un cancer foudroyant. Maggie la fille, anorexique se voilant la face et s’affamant depuis la mort de sa mère, qui multiplie les petits boulots pas toujours payés, qui lutte contre le capitalisme à outrance et tente de rééquilibrer le monde avec de menus larcins par-ci par-là. Et Ethan le fils, qui avoue son homosexualité à ses parents à l’adolescence. Depuis la mort de sa mère, Ethan s’est complètement replié sur lui-même, il ne sort plus de chez lui, paye tout en ligne, se fait livrer et dépense des sommes astronomiques. Il ne supporte plus les lieux publics et le regard des autres l’angoisse.

Vivant à New York, Maggie et Ethan reçoivent tous les deux une lettre manuscrite de leur père, leur demandant de venir le voir chez lui, à Saint Louis. La lettre ne comporte pas plus d’explication. Mais depuis la mort de Francine, Maggie et Ethan semblent avoir pris leurs distances vis à vis du père de famille. On va vite comprendre pourquoi…

D’une écriture maîtrisée et acérée, maniant l’ironie et l’humour justement dosé avec brio, Andrew Ridker nous offre un premier roman très abouti et désopilant ; l’histoire d’une famille morcelée, chaque membre en proie à ses propres démons, qui portent différents noms : Remord, Culpabilité, Argent, Cupidité

L’écriture est vraiment remarquable et ma lecture est vite devenue addictive. J’ai dévoré cette tragi-comédie avec plaisir et délectation. Les Altruistes est une de ces lectures jouissives dont on redemande ! Je crois qu’Andrew Ridker est un nom à retenir pour les prochaines années en matière de littérature américaine…

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« Le feu s’acharnait contre la famille Alter. Une série d’embrasements avait ponctué tout l’automne, une de ces suites d’incidents sans lien entre eux et qui ne prennent un aspect prémonitoire qu’avec le recul. »

Henry D. Thoreau – La Succession des arbres en forêt ***

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Le mot et le reste – juin 2019 – 80 pages

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Henry David Thoreau, ce nom me fascine depuis longtemps. J’ai son journal dans ma pal. Et j’ai très envie de découvrir son fameux Walden, rédigé à partir de sa retraite dans une cabane qu’il a construite près du lac Walden. Henry David Thoreau, c’est cet homme amoureux de la nature, qui rejette le conformisme de la civilisation ; à la fois homme de science et littéraire, il est considéré comme étant à l’origine du nature writing.

Ce petit ouvrage est constitué autour du texte d’une conférence que Thoreau a tenue devant la société d’agriculture du Middlesex à Concord, en 1860 – deux ans avant sa mort, à quarante cinq ans. Il s’adresse donc à des fermiers, des agriculteurs. Il y démontre le lien entre le déplacement des graines par divers agents de la Nature – écureuils, oiseaux et autres petites bestioles – et le renouvellement des arbres en forêts. Il prouve ainsi qu’il s’agit d’un phénomène naturel alors que certains abusent encore des théories créationnistes. Un texte fort et engagé qui résonne encore aujourd’hui et demeure actuel ; Thoreau apparaît comme un précurseur en matière d’écologie. L’introduction et la postface permettent d’éclairer la pensée du naturaliste et apportent des éléments de réflexion supplémentaires.

Lu dans le cadre d’une masse critique Babelio

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Armistead Maupin – Chroniques de San Francisco ****

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 Éditions 10-18 – 2000 – 384 pages

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Dans un peu plus de deux semaines, je décolle pour l’Ouest américain… Et nous passons 3 jours à San Francisco. Alors, une petite relecture du premier tome des Chroniques de San Francisco s’imposait ! Je les ai dévorées il y a quasiment dix ans… Et c’est avec délectation que je me suis replongée dans le quotidien du 28 Barbary Lane à la fin des années 70 et de ses habitants, si attachants.

J’ai retrouvé Mary Ann, qui débarque tout juste de Cleveland, fuyant des parents envahissants et infantilisants. Elle rencontre Mme Madrigal qui lui offre un joint pour lui souhaiter la bienvenue dans sa demeure de Barbary Lane, sur Russian Hill… Le lendemain, la jeune femme se trouve un petit boulot de secrétaire dans une grande agence de publicité tenue par l’antipathique Edgar Halcyon, le père de la pulpeuse DeDe. Elle y fait la connaissance de Beauchamp, le mari volage de DeDe, qui ne la laisse pas insensible…

Barbary Lane, c’est aussi Brian, le coureur de jupons invétéré, qui drague au supermarché, à la laverie et écume tous les clubs branchés du moment.

C’est Michael Tolliver – alias Mouse – le gay le plus attachant de la littérature américaine ; qui drague sur patins à glace, se déguise en tout et n’importe quoi, et qui n’hésite pas à participer à un concours de danse du slip pour payer son loyer.

C’est Mona la sauvage, la touchante paumée.

C’est aussi Boris le chat.

Les scènes cocasses s’enchaînent subtilement ; certaines sont à mourir de rire, on se gausse, on se gondole, on se marre… Des dialogues tous plus croustillants les uns que les autres. Et entre les lignes, de l’émotion, brute. Des personnages sensibles. Et vrais. Même les seconds rôles sont bien croqués. Ajoutez-y un soupçon de mystère

La plume mordante de Maupin fait mouche, encore une fois. Cette relecture du premier tome des Chroniques fut on ne peut plus savoureuse et jouissive. Cette saga fait définitivement partie de mes indispensables. Je pense me replonger bientôt dans les suivants. ♡

Ron Rash – Un silence brutal ***

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Gallimard – 21 mars 2019 – 272 pages

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L’intrigue de ce nouveau roman de Ron Rash que j’attendais tant se déroule dans un petit coin des Appalaches, entre rivière et montagnes, une région chère à l’auteur, que l’on retrouve déjà dans Un pied au paradis.

Les est un shérif à trois semaines de la retraite. Adepte de méthodes peu orthodoxes pour régler certains conflits, il entretient une relation à la fois complexe et complice avec Becky, poétesse éprise de la nature et directrice du Locust Creek Park. Aux yeux des autres, elle apparaît bizarre, ne se déplaçant qu’à vélo, n’ayant ni télévision ni téléphone… Engagée dans la protection de la nature de façon quasi obsessionnelle, Becky demeure traumatisée par la fusillade qui eût lieu dans son école quand elle était enfant.

Les et Becky vont prendre tous les deux la défense d’un vieux paysan esseulé, Gerald Blackwelder, un vieil homme au palpitant fragile, profondément attaché à ses terres, accusé de braconner du poisson sur le domaine du relais de pêche Tucker.

Les deux personnages prennent la parole à tour de rôle dans ce roman aux accents de polar, sombre et poétique, qui dépeint avec sensibilité et justesse un monde ravagé par la misère et la meth, un monde déchiré entre la nature et ses impitoyables exploitants. Décidément, Ron Rash est un de mes auteurs américains préférés, il me tarde de le rencontrer demain chez Gallimard…

Glendon Swarthout – Bénis soient les enfants et les bêtes ***

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Éditeur : Gallmeister – Date de parution : février 2017 – 176 pages

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Le Box Canyon Boys Camps. Situé en plein coeur de l’Arizona, ce camp de vacances pour garçons se targue de transformer les gosses de riches en vrais petits cow-boys. C’est dans ce camp que se rencontrent les six adolescents de ce roman.

Cotton. Les frères Lally. Goodenow. Teft. Schecker.

On les surnommes les Inaptes, les Tarés. Délaissés par leurs parents, ils ne peuvent dormir qu’avec leur poste radio allumés au fond de leurs sacs de couchage ; ils grincent des dents la nuit, pissent encore au lit… Cumulant les phobies, ils ne sont bons qu’à remporter le traditionnel pot de chambre lors des épreuves organisées par les moniteurs du camp.

Une nuit, les adolescents décident de s’enfuir du camp, de tenter l’aventure… mais laquelle ? Ils s’échappent à la suite d’un événement dont ils ont été témoins et qui les hante. Ils volent un pick-up et se retrouvent en pleine nuit à sillonner la montagne et le désert pour accomplir la mission qu’ils se sont assignée. Quel qu’en soit le prix à payer, ils iront jusqu’au bout…

Le récit alterne le présent de la fuite et le passé de chacun des adolescents. Une très belle plume, des personnages attachants… Un roman initiatique aux allures de western, court et incisif, qui manie avec talent l’humour, l’émotion et le suspense.

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« Nous naissons les mains souillées du sanf des bisons. Dans notre préhistoire à tous apparait la presence atavique de la bete. Elle broute les plaines de notre inconscient, elle pietine notre repos, et dans nos reves nous crions notre damnation. Nous savons ce sue nous avons fait, nous qui sommes un peuple violent. »

Jim Harrison – La fille du fermier ***

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Éditeur : Folio – Date de parution : novembre 2017 – 129 pages

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La fille du fermier c’est Sarah, la fille de Peps et Franck – ils vivent dans le fin fond du Montana. Un père taciturne et une mère évangéliste qui, lorsque Sarah a quatorze ans, fuit avec le premier homme venu. Poursuivant des études par correspondance, Sarah rêve de Montgomery Clift, et de quitter sa vie pour le grand Ouest ou New York. Elle dévore les bouquins que lui prête en cachette Terry, son ami au pied bot ; Willa Cather, la poésie de Withman, Dreiser… Grâce à la lecture, elle découvre la vie, s’enrichit et apprend tout ce qui se passe en dehors de ce coin paumé où elle habite. Elle passe son temps avec sa chienne Vagabonde, son cheval Lad et Old Tim, son seul ami.

Quand l’irréparable se produit, Sarah se métamorphose ; éprise de vengeance, oscillant entre fureur et dépression, la jeune femme demande réparation… Un beau récit, âpre et vivant, servi par une écriture juste et émouvante.

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« Elle se rappela alors un rêve troublant de la nuit précédente et se dit tout à trac qu’elle devait faire grandir sa vie pour que son traumatisme devienne de plus en plus petit. »