Rachel Corenblit – Un peu plus près des étoiles ***

Bayard Jeunesse – 2019 – 248 pages

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L’adolescent qui prend la parole dans ce roman en a marre. Son père, médecin généraliste, change de poste tellement souvent qu’ils sont obligés de déménager à chaque fois. Ils bougent de ville en ville, parfois le gamin ne peut même pas terminer une année scolaire dans le même établissement. De tous ces déménagements, il n’en peut plus.

Pour cet énième déménagement, Rémi et son père se retrouvent logés dans un centre de repos pour les grands brûlés, les accidentés, les amputés, ceux qui viennent de subir une chirurgie réparatrice.

Rémi est un ado solitaire, qui trouve du réconfort en écoutant des cassettes de chansons des années 80 avec le vieux walkman que lui a donné sa grand-mère. Ces cassettes ont été enregistrées par sa mère, qui était ado à l’époque. Sa mère, dont l’absence est devenue une habitude dont il s’est accommodée.

Dans ce centre de repos, il fait la connaissance d’un groupe d’enfants et adolescents défigurés. Petit à petit, une amitié hors du commun va se nouer entre Rémi et ces gueules cassées. Il y a Sara, cynique à souhait, avec ses grands yeux bleus au milieu d’un visage dévasté ; Adonis, l’éternel gentil…

Un peu plus près des étoiles est un roman poétique, sans pathos. Si on début, je commence ce roman sur mes gardes, un peu dubitative, je suis vite rattrapée par l’émotion ; elle est brute, elle monte crescendo. Quant à l’écriture de Rachel Corenblit, que je découvre, elle est saisissante. Chaque chapitre porte le titre d’une chanson. Un roman musical sur la folie et la différence, la beauté et la laideur, qui prend aux tripes.

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Fernanda Melchor – La saison des ouragans **

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Grasset – 20 mars 2019 – 288 pages

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« Ils progressaient sous le chant du passereau recruté pour jouer les sentinelles dans les arbres, dans leur dos, sous le tintement des feuilles violemment écartées, ou le bourdonnement des pierres fendant l’air tout près d’eux, ou encore sous la brise chaude pleine d’urubus éthérés se découpant sur un ciel presque blanc, dans une puanteur plus redoutable encore qu’une poignée de sable jetée au visage, une véritable infection qui donnait envie de cracher pour éviter quelle ne s’enfonce jusque dans les tripes et qui leur ôtait l’envie d’avancer. Mais le chef montra le bord du ravin et tous les cinq, à quatre pattes sur l’herbe sèche, ne faisant ensemble qu’un seul corps, dans un nuage de mouches vertes, finirent par reconnaître ce qui émergeait au dessus de l’écume jaune de l’eau : c’était le visage putréfié d’un mort entre les joncs et les sacs en plastique que le vent ramenait de la route, un masque sombre où grouillaient une myriade de couleuvres noires, et qui souriait. »

Aux abords du village de La Matosa, dans un canal d’irrigation, des enfants font une macabre découverte : ils tombent sur le corps sans vie de celle que l’on appelait la Sorcière, depuis toujours, sans même jamais avoir connu son vrai prénom – peut être n’en avait-elle même pas, sa propre mère proclamant à qui voulait l’entendre qu’elle était née du Diable. Les hommes avaient l’habitude de se rendre chez elle pour vendre leurs corps ; les femmes pour y chercher un remède et des réponses à leurs maux.

Au fil des chapitres, nous remontons le fil des événements pour comprendre le sens de ce meurtre et découvrir la vie d’hommes et de femmes misérables : Luismi, toxico tout rachitique, dont la petite amie se retrouve aux urgences après d’importants saignements survenus après l’une de ses visites chez la Sorcière. Norma qui est abusé à l’âge de douze ans par Pepe, son beau-père. Munra qui était au volant du camion qui a transporté le cadavre de la Sorcière. Et Brando, un adolescent pervers et misogyne.

Un roman mexicain dont l’écriture très travaillée m’apparaît au début un peu hermétique – des phrases à rallonge, qui n’en finissent plus… Je finis pourtant par me laisser porter par les mots de Fernanda Melchor, envoûtants ; mais je suis effarée par la noirceur de ce roman ! C’est noir de chez noir…

L’auteure peint le portrait d’une société mexicaine qui se débat avec ses démons les plus odieux ; misère, drogue, folie et abus en tous genres sont monnaie courante dans cette région où les rumeurs et les fantômes vous guettent à chaque coin de rue. Fernanda Melchor nous plonge dans les profondeurs de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus laid. C’est cru, violent, sanglant et pervers. Certains passages m’ont révulsés, d’autres m’ont carrément donné la nausée… Les chapitres défilent et le sentiment de malaise grandit, jusqu’aux derniers mots. Un roman ambitieux et étonnant, que je referme avec soulagement. A lire, le cœur bien accroché.

Laïa Jufresa – Umami ***

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Éditeur : Folio – Date de parution : mars 2017 – 306 pages

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« C’est le cinquième goût que nos papilles peuvent percevoir, il y a le sucré, le salé, l’amer, l’acide, bien sûr, et puis il y a l’umami, ça ne fait pas longtemps que les Occidentaux le connaissent, un siècle à peine, c’est un mot japonais qui veut dire ‘délicieux’. »

Umami est un roman choral, où les voix se font entendre à rebours ; en effet, chaque chapitre remonte dans le temps, sur cinq années… Ces voix, elles proviennent de la Cour Cloche-en-terre, une cour composée de cinq maisons, toutes imaginées selon le plan d’une langue.

2004. Ana Pérez Walker, une gamine de douze ans, dont la petite sœur Luz est morte noyée. Elle vit avec ses parents et ses deux frères dans les maisons Sucrée & Salée.

2003. Marina, c’est la jeune peintre qui par moments se laisse mourir de faim et de soif et qui vit dans la maison Amère ; elle voit tout à travers les couleurs et aime en inventer de nouvelles. Elle garde les enfants Walker le weekend en échange de leçons d’anglais.

2002. Alf, un docteur en anthropologie dont la femme Noelia est morte d’un cancer ; il s’agit de la voix centrale du roman. Ayant écrit une thèse sur l’umami, ce cinquième goût, il a imaginé la cour Cloche-en-terre… Après la mort de sa femme, Alf prend une année sabbatique et se met à écrire sur Noelia, l’amour de sa vie.

2001. La voix de Luz, l’enfant de cinq ans qui s’est noyée.

2000. La cinquième et dernière voix, c’est celle de Pina, la meilleure amie d’Ana, qui vit seule avec son père Beto dans la maison Acide, depuis que sa mère les a quittés pour vivre une autre vie.

Ce roman mexicain qui file la métaphore du goût et des papilles porte à merveille son titre. J’ai découvert un joli roman sur le deuil, l’amour et la famille ; les personnages sont attachants dans leur tentatives pour gérer la douleur de la perte et du manque. Umami se dévoile page après page, et se laisse effeuiller à travers une écriture empreinte de pudeur, qui m’a émue par sa simplicité et sa force.

Merci aux éditions Folio pour la découverte !

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« Peut-être que c’est uniquement ça l’amour. Ou l’écriture. S’efforcer de mettre quelqu’un en mots tout en sachant qu’il restera pour les autres un kaléidoscope : ses mille reflets dans l’œil d’une mouche. »

« – C’est peut-être ça mourir, non ?

– Peser plus lourd ?

– Arrêter de se porter soi-même. »

« Le jaucrasse, c’est le jaune crasseux des rebords de trottoirs. L’oranjuscule, l’orangé juste avant le crépuscule. Le blansitoire, le blanc transitoire de l’écume. »

Juan Rulfo – Pedro Paramo *

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Éditeur : Folio – Date de parution : 2009 – 192 pages

4ème de couverture : « Pedro Paramo est l’une des plus grandes œuvres du XX’ siècle, un classique contemporain. Tout comme Kafka et Faulkner, Rulfo a su mettre en scène une histoire fascinante, sans âge et d’une beauté rare : la quête du père qui mène Juan Preciado à Comala et à la rencontre de son destin, un voyage vertigineux raconté par un chœur de personnages insolites qui nous donnent à entendre la voix profonde du Mexique, au-delà des frontières entre la mémoire et l’oubli, le passé et le présent, les morts et les vivants… »

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Pour répondre à la dernière faveur de sa mère qui vient de mourir, Juan Preciado se met à la recherche de son père, Pedro Paramo, et se retrouve dans le village de Comala où ce dernier vit. Sa mère souhaitait qu’il retrouve son père afin de lui faire payer ce qu’il leur doit. Mais en arrivant dans ce village étrange où les étoiles tombent du ciel chaque nuit, on lui annonce que son père est mort. Sur sa route, il croise des personnages étranges ; il ne saurait dire s’ils sont vivants ou morts, réels ou non… Il entend des voix de femmes… Des murmures, des cris… Les lieux sont comme hantés par le passé.

Le récit alterne entre passé et présent. J’avoue avoir été un peu (trop) perdue et ne pas avoir vraiment su où le récit voulait en venir. Le narrateur est également perdu et perturbé. Juan Preciado, cet homme en quête du père qu’il n’a jamais connu, se retrouve dans un village fantôme, hanté par les âmes du passé et traversé par des voix, des ombres. En fait, on a bien du mal à savoir si le héros est en pleine fièvre délirante ou si le village est réellement hanté. On perd pied avec la réalité.

Il en ressort de cette lecture une forte impression d’étrangeté… Qui m’a franchement laissée perplexe à de nombreuses reprises et je suis restée à la porte de l’intrigue, je n’ai pas été convaincue, même si l’écriture reste poétique. Dommage…

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« Il sortit et regarda le ciel. Il pleuvait des étoiles. Il le déplora car il aurait aimé voir un ciel calme. Il entendit les coqs chanter. La nuit envahissante enveloppait la terre. La terre, cette « vallée de larmes »