Sandrine Collette – On était des loups ****

JC Lattès – juillet 2022 – 208 pages

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Cela fait plusieurs année que Liam a fait le choix de vivre seul, au fond des bois. À plusieurs dizaines de kilomètres de la ville. Pas le moindre voisin aux alentours. La nature, les loups, et rien d’autre. Ava, sa compagne, l’a suivi et vit avec lui. Ils ont un garçon de cinq ans, Aru.

Un soir, en rentrant d’une journée de chasse dans la forêt, Liam découvre le corps sans vie d’Ava ; vraisemblablement attaquée par un ours. Sous elle est blotti Aru, bien vivant.

Liam décide alors de se séparer de son enfant ; il décide que la vie sauvage n’est pas faite pour lui, c’est trop dangereux. Père et fils se mettent en route, à travers la forêt, en direction de la ville… Liam a prévu de déposer Aru chez de la famille éloignée. Mais rien ne va se passer comme prévu.

On était des loups est un roman âpre, qui nous plonge dans les méandres des pensées d’un homme qui a tout quitté pour les forêts, le silence, la nature ; un homme qui ne peut se résoudre à la mort de sa femme. Qui ne peut se résoudre à être père, seul. Un homme qui a souffert enfant. Qui ne sait pas ce que c’est qu’être tendre avec un enfant. Qui n’a jamais connu ça. Un homme, enfin, empli de désespoir et de fureur.

Un roman terrible sur la nature humaine avec en toile de fond les montagnes, les forêts qui peuvent se révéler tout à la fois hostiles et enivrantes. La langue est rustre, brutale, spontanée, ce sont les mots de cet homme, sans filtre ; certains passages sont de la poésie brute – comme celui sur la peau du monde, somptueux et féroce ! Il y a tellement de rage dans le cœur de cet homme, la douleur de la perte est telle qu’il va se retrouver aux frontières de la folie. Le chemin à parcourir se révélera être en lui tout autant qu’à travers la nature… Le chemin pour devenir un père pour Aru et pour accepter la vie sans Ava.

Le roman de Sandrine Collette m’a bouleversée. C’est un récit violemment poétique, acéré – entre rage et humanité. Une lecture immersive et prenante, dont on ne sort pas indemne.

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Pauline Claviere – Les Paradis gagnés ***

Grasset – avril 2022 – 400 pages

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Quel plaisir de retrouver la plume de Pauline Claviere avec ce nouveau roman. J’ai beaucoup aimé les retrouvailles avec ses personnages, découverts dans Laissez-nous la nuit, un premier roman étonnant et puissant. Max, sorti de prison, qui cherche à retrouver une vie normale mais demeure hanté par son séjour carcéral. Ilan, toujours rongé par la quête de son frère et de son père. Marcos, son acolyte de cellule, hospitalisé pour son cancer, fidèle à lui-même. La lumineuse Laure, qui va se lancer dans un combat pour se venger de son passé.

Une galerie de personnages secondaires toujours aussi attachants, tous en quête de quelque chose, tous rattrapés par le désir de s’en sortir. Une intrigue bien ficelée et haletante. Une lecture fluide qui se dévore, savant mélange de suspense et de poésie, de tendresse et de violence. Une réussite, encore une fois, pour ce roman dont on a du mal à se défaire.

Nastasia Rugani – Je serai vivante ***

« Je suis morte sous le cerisier. »

Un dimanche d’avril, tout bascule. Trois mois après, la narratrice sent encore l’écorce du cerisier sur la peau de son dos. Ses racines qui lui écorchaient le dos pendant qu’il la violait.

« Vous ne me croyez pas puisque je respire. Seulement j’ai appris à faire semblant d’être en vie. J’ai appris cela lors de cet après-midi livide. »

Aujourd’hui, elle est face à un officier de police. Elle porte plainte, enfin. Elle revit, mot après mot, le supplice. Un supplice qui se joue du temps et de la chronologie. Les mots s’étranglent en elle face au mépris de l’homme.

Tout au long de ce court roman, elle s’adresse à l’officier. Le vous est percutant, cinglant.

La mort, elle la porte en elle depuis ce maudit dimanche d’avril. Le viol a agit depuis comme une affreuse métamorphose – de son corps, de sa vie. Une métamorphose de la nature aussi, complice du crime – cette Nature qui portera l’empreinte éternelle de sa mort. « La nature n’a rien fait. Le monde n’a rien modifié de sa beauté au-dehors. Et cette immobilité m’a tuée une nouvelle fois. » Enfin, une métamorphose du Temps, qui s’est vicieusement figé depuis ce matin d’avril – un Temps qui ne s’écoule plus normalement.

Dans une langue à la fois poétique et incisive, Nastasia Rugani nous offre un texte d’une puissance folle – des mots d’une puissance rare. La douleur éclate. L’étrangeté et le sauvage s’empare des mots ; laideur et sublime s’entremêlent dans un corps à corps qui nous saisit à la gorge et nous bouscule.

« Je ne suis plus frileuse. Je suis l’hiver. »

Fiona Mozley – Elmet ***

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Folio – avril 2021 – 321 pages

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Cathy et Daniel sont frère et sœur ; ils vivent en lisière de la forêt avec leur père, John, dans une petite maison qu’ils ont construite, pierre après pierre. John est un père souvent absent, qui gagne de l’argent en se battant. Un père géant, tout en muscles, qui en impose.

Cathy et Daniel sont élevés en marge de la société, ce sont des enfants qui passent leut vie dehors. C’est la volonté du père, les protéger du monde, leur donner une chance de vivre leur propre vie. Dans les bois, ils jouent, tirent à l’arc, chassent pour se nourrir, se cachent. Restent des enfants, le plus longtemps possible.

Et puis, Mr Price, le propriétaire terrien des environs débarque et menace de les chasser de ses terres. Sauf si John travaille à nouveau pour lui, comme par le passé…

C’est la voix de Daniel qui nous raconte les événements. Un adolescent, tout juste sorti de l’enfance, curieux de tout ; avec sa soeur Cathy, aussi féroce et pugnace qu’intelligente, ils vont se retrouver confrontés à la brutalité et à la violence du monde adulte.

La tension dramatique monte au fil des pages. La pureté de la nature offre un contraste saisissant avec la barbarie humaine. Un roman puissant qui m’a happée, du premier au dernier mot.

Mathieu Menegaux – Femmes en colère **

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Grasset – mars 2021 – 198 pages

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Juin 2020, nous sommes à la cour d’assises de Rennes. Mathilde Collignon est accusée d’un crime barbare, qu’elle a avoué. Mais elle est loin de s’en repentir et elle réclame même justice. Mathilde Collignon, c’est cette femme de 36 ans, divorcée, mère de 2 fillettes, ancienne gynécologue en milieu hospitalier. De quoi est-elle accusée? D’avoir voulu se faire justice elle-même, après son agression par deux hommes. Elle encourt jusqu’à 20 ans de prison pour son crime.

Le roman est habilement construit sur une alternance entre la voix de Mathilde et les délibérations des jurés. Les jurés, ces citoyens lambda, qui se retrouvent avec le sort de cette femme entre leurs mains. 2 hommes et 4 femmes qui vont devoir se prononcer. Mathieu Menegaux nous offre une plongée dans le monde juridique ; avec fascination nous pénétrons les coulisses du procès. Femmes en colère est un roman à l’écriture implacable, qui se dévore. Encore une fois, Mathieu Menegaux frappe fort avec un sujet au coeur de l’actualité.

Une lecture que j’ai beaucoup aimée… jusqu’à ce que je lise les dernières phrases qui m’ont plongé dans l’incompréhension ; c’est comme si l’auteur déconstruisait sournoisement le message qu’il s’est acharné à nous transmettre tout au long du roman.

Et vous qu’en avez-vous pensé?

Dalie Farah – Le Doigt ***

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Grasset – février 2021 – 224 pages

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Ce matin de janvier, une prof de philo traverse devant le lycée, en dehors du passage piéton. Une voiture klaxonne. La prof dresse un doigt d’honneur, sans un regard, comme un réflexe. L’homme sort de sa voiture, hurle et la défie : « Recommence! » Nouveau doigt d’honneur. Il la gifle brutalement.

Avec une écriture acérée, cheminant sur le fil du rasoir, Dalie Farah nous livre un récit composé de dialogues en salle des profs, réactions d’élèves et de souvenirs de la violence. Ce n’est pas la première fois que la jeune femme y est confrontée ; la violence, elle résonne avec son enfance.

Un récit saisissant qui dénonce la violence sous toutes ses formes ; celle de l’enfance, de la famille ; celle de la rue et celle des élèves. Mais c’est aussi la violence de l’indifférence administrative et du système éducatif français dans son ensemble.

Sarah St Vincent – Se cacher pour l’hiver ***

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Delcourt – octobre 2020 – 348 pages

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Kathleen travaille dans le snack d’un parc naturel en plein coeur des forêts oubliées de Pennsylvanie, les Blue Ridge Mountains. A vingt-sept ans, elle loge chez sa grand-mère, et une aura de solitude semble flotter autour d’elle.

Un soir, alors qu’elle s’apprête à fermer la boutique, un étranger débarque. Il a un drôle d’accent. Elle lui ouvre le gîte pour qu’il y passe la nuit. Il prétend s’appeler Daniil et être un étudiant ouzbek. Cet étranger l’intrigue profondément – il a l’air de fuir quelque chose. Beaucoup de questions restent sans réponses. Et pourtant, la jeune femme sent qu’elle peut lui faire confiance.

Mais le personnage le plus énigmatique demeure sans doute Kathleen. Pourquoi ne veut-elle pas parler de cette douleur qui lui paralyse parfois l’épaule et la hanche ? Pourquoi a-t-elle toujours l’air effrayée ou sur le qui-vive, comme un animal sauvage, traqué ?

Daniil. Kathleen. Deux êtres hantés par leur passé, qui passent leur temps à fuir, à leur façon, et qui vont se lier d’amitié, petit à petit. Les mots et le passé vont jaillir au fil de leurs escapades au coeur de la beauté désarmante des Blue Ridge Mountains – la majesté des forêts, leur solitude à la fois rassurante et effrayante.

Je me glisse à pas de velours dans le roman de Sarah St Vincent, saisie par le mystère qui s’en dégage, la psychologie fouillée des personnages. Et cette nature à la fois majestueuse et imposante. Un premier roman américain abouti et intense, sur la violence et la résilience, mettant en scène une rencontre entre deux personnages que je ne suis pas prête d’oublier. 

Merci au #PicaboRiverBookClub pour cette lecture !

Laurine Roux – Le Sanctuaire ***

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Les éditions du Sonneur – août 2020 – 160 pages

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Le Sanctuaire, c’est cette zone montagneuse et isolée du reste du monde où s’est réfugiée la petite famille de Gemma pour échapper à un mystérieux virus qui aurait été transmis par les oiseaux et qui aurait exterminé une bonne partie de l’humanité.

Gemma, la plus jeune des deux sœurs, est une enfant devenue chasseuse de génie, qui ne sort jamais sans son arc. Si elle connaît le moindre recoin du Sanctuaire, du monde avant la pandémie elle ne connaît en revanche que les récits de ses parents et de sa sœur June.

Leur mère est souvent plongée dans ses souvenirs du monde d’avant la pandémie, ses livres et ses récits mythologiques. Leur père est un être tyrannique qui dispense une éducation à la dure, pour permettre à ses filles de survivre dans ce monde où l’ennemi prend n’importe quelle forme, et surtout celle des oiseaux…

Un jour que Gemma s’aventure seule un peu plus loin dans la forêt, elle tombe sur un vieil homme sauvage et virulent qui vit entouré de crasse et de rapaces. Parmi eux, un aigle avec lequel l’enfant va nouer des liens spéciaux ; à son contact, elle se sent étrangement vivante. Cette vérité nouvelle percute de plein fouet celle de son père qui lui a toujours appris à maudire et abattre les oiseaux. Peu à peu, le désir de transgression la taraude et le désir de goûter à la liberté s’empare d’elle.

Dès les premières lignes, l’écriture de Laurine Roux m’a embarquée au coeur de ce monde post-apocalyptique ; le charme des mots a opéré. Le Sanctuaire est un très joli roman, sauvage et poétiquenature et poésie sont omniprésentes. 

Nathalie Bernard – Sept jours pour survivre ***

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Thierry Magnier – 2017 – 272 pages

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A Montréal, Nita Rivière se fait enlever le jour de son 13ème anniversaire, alors qu’elle chemine vers son collège. La jeune amérindienne se réveille quelques heures plus tard dans une cabane perdue au coeur de la forêt canadienne enneigée… Seule face à son agresseur au regard empreint de folie.

Nous suivons en alternance l’enquête qui s’ouvre sur l’enlèvement de l’adolescente, menée par les agents Gautier Saint-James et Valérie Lavigne. Au début, les enquêteurs pensent à une fugue ; Nita en a tout à fait le profil : son père est en prison, elle s’habille de façon gothique, est accro à une célèbre série de zombies et adore photographier les édifices et lieux désaffectés, les plaques d’égouts.

7 chapitres comme 7 leçons de survie – leçons qui vont aider l’adolescente à garder espoir et à se battre au sein de cette nature dépeuplée et hostile pendant 7 jours. Forcément je pense à mes précédentes lectures, Manuel de survie à l’usage des jeunes filles, Terres fauvesLe thème de la nature et de la survie ne cesse de m’attirer dans ses filets ces derniers temps.

Très vite l’intrigue m’a captivée. Sept jours pour survivre est un thriller jeunesse d’une qualité rare, impossible à lâcher, dont le rythme est soutenu – on tourne les pages en frissonnant, la boule au ventre. C’est angoissant, haletant et très bien écrit. Sur fond de thriller, Nathalie Bernard évoque la problématique des disparitions de jeunes filles amérindiennes qui demeurent inexpliquées au Canada et dont les enquêtes sont trop souvent négligées et demeurent sans suite.

Joseph Boyden – Dans le grand cercle du monde ***

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Le Livre de Poche – 2015 – 687 pages

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Joseph Boyden nous offre une immersion spectaculaire dans les grands espaces sauvages du Canada au XVIIème siècle. A cette époque, les Français commencent à s’installer dans la vallée du Saint-Laurent alors que  les Iroquois et les Hurons se livrent une guerre sans fin. L’arrivée des Blancs ne va faire qu’exacerber les tensions entre eux.

Au fil des pages, trois voix se font entendre : celle du Corbeau, un jeune jésuite français, envoyé par l’Église pour convertir ceux qu’il appelle les Sauvages. On le surnomme Corbeau à cause de son ample robe noire dont les Indiens se moquent. Celle d’Oiseau, un chef de guerre huron qui désire ardemment venger la mort de sa famille, assassinée par les Iroquois. Et celle de Chutes-de-Neige, une captive iroquoise dont les parents ont été assassinés sous ses yeux par les Hurons et qu’Oiseau a décidé d’adopter, comme compensation pour la mort des siens.

Ces trois êtres sont réunis par les circonstances, mais divisés par leur appartenance. Chacun mène une guerre ; le Corbeau souhaite à tout prix convertir les Indiens – il consigne ses observations dans son journal afin de faire connaître ce Nouveau Monde aux Européens ; Oiseau ne vit que pour venger sa famille assassinée et se méfie de ces Corbeaux qui débarquent sur leurs terres, les soupçonnant d’apporter les maladies qui déciment leurs peuples. Quant à la jeune Iroquoise, elle est au début comme un animal sauvage, hargneuse et hostile…  Elle finira cependant par se laisser apprivoiser et accepter sa nouvelle famille.

Le Grand cercle du monde est un sacré pavé pour lequel j’ai pris mon temps. Je me suis plongée dans cette fresque foisonnante et fascinante sur l’histoire des Indiens… Mais aussi tragique. En effet, c’est l’histoire du début de leur fin ; la fin d’une civilisation, la fin d’un monde.

Les voix se succèdent au fil des courts chapitres, à un rythme soutenu. L’écriture de Joseph Boyden, poétique et évocatrice, nous transporte, entre émotion et frissons – je demeure captivée par les descriptions de certaines scènes de combat et de cérémonies de tortures terrifiantes. Immersion garantie dans l’immensité sauvage du Canada au XVIIème siècle ; on suit l’évolution des relations entre Christophe Corbeau, Chutes-de-Neige et Oiseau sur plusieurs années, l’évolution de leur psychologie, de leur regard sur ce monde pétri de traditions et de valeurs anciennes qui est en phase d’être métamorphosé par l’arrivée massive des Français.

Le Grand cercle du monde est un roman chorale d’une beauté féroce, à découvrir absolument.

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« Oiseau émerge du champ, comme enfanté par le maïs. Il a le visage peint, la tête rasée d’un côté, les cheveux longs de l’autre, qui brillent dans l’éclat de la lumière. Il s’avance, le pas lent et assuré, vêtu de son seul pagne. Il est plus brun que jamais après son voyage estival sous un soleil ardent et, à la suite des semaines passées à pagayer et à porter les canots, il a acquis le physique d’un dieu romain. J’ai du mal à décrire cet être dans les lettres que j’envoie en France. Il est à la fois homme et animal sauvage. »