Gabrielle Filteau-Chiba – Sauvagines ***

Folio – février 2023 – 400 pages

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La narratrice a tout quitté pour vivre dans une roulotte au fond des bois, au cœur de la forêt du Kamouraska. Raphaëlle vit seule avec sa chienne Coyote, loin de sa famille avec qui les relations sont conflictuelles, loin de la société patriarcale et consumériste. Elle vit au plus près des animaux, elle en a fait son métier ; elle est garde forestière. Pour se donner du courage, elle regarde souvent la photo de son arrière-grand-mère Marie-Ange, qu’elle n’a jamais connu mais à laquelle elle s’identifie beaucoup.

Un matin, sa chienne disparaît. En fin de journée Raphaëlle part à sa recherche… Et tombe sur un important site de braconnage. La jeune femme va se rendre compte qu’elle est sous la surveillance de la pire espèce humaine. Et que ce ne sont pas tant les ours qui sont à craindre.

Dans sa fuite, Raphaëlle va néanmoins faire une belle rencontre – celle d’Anouk, dont elle trouve le journal intime et ne peut s’empêcher d’y jeter un oeil. Une femme comme elle, qui a préféré fuir la société pour mieux se retrouver.

Sauvagines est un beau roman ensauvagé, éco-féministe, entre rage et espoir. À la fois thriller et roman de nature writing. Un roman puissant et engagé, véritable ode à la Nature, qui m’a beaucoup plu.

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Sandrine Collette – On était des loups ****

JC Lattès – juillet 2022 – 208 pages

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Cela fait plusieurs année que Liam a fait le choix de vivre seul, au fond des bois. À plusieurs dizaines de kilomètres de la ville. Pas le moindre voisin aux alentours. La nature, les loups, et rien d’autre. Ava, sa compagne, l’a suivi et vit avec lui. Ils ont un garçon de cinq ans, Aru.

Un soir, en rentrant d’une journée de chasse dans la forêt, Liam découvre le corps sans vie d’Ava ; vraisemblablement attaquée par un ours. Sous elle est blotti Aru, bien vivant.

Liam décide alors de se séparer de son enfant ; il décide que la vie sauvage n’est pas faite pour lui, c’est trop dangereux. Père et fils se mettent en route, à travers la forêt, en direction de la ville… Liam a prévu de déposer Aru chez de la famille éloignée. Mais rien ne va se passer comme prévu.

On était des loups est un roman âpre, qui nous plonge dans les méandres des pensées d’un homme qui a tout quitté pour les forêts, le silence, la nature ; un homme qui ne peut se résoudre à la mort de sa femme. Qui ne peut se résoudre à être père, seul. Un homme qui a souffert enfant. Qui ne sait pas ce que c’est qu’être tendre avec un enfant. Qui n’a jamais connu ça. Un homme, enfin, empli de désespoir et de fureur.

Un roman terrible sur la nature humaine avec en toile de fond les montagnes, les forêts qui peuvent se révéler tout à la fois hostiles et enivrantes. La langue est rustre, brutale, spontanée, ce sont les mots de cet homme, sans filtre ; certains passages sont de la poésie brute – comme celui sur la peau du monde, somptueux et féroce ! Il y a tellement de rage dans le cœur de cet homme, la douleur de la perte est telle qu’il va se retrouver aux frontières de la folie. Le chemin à parcourir se révélera être en lui tout autant qu’à travers la nature… Le chemin pour devenir un père pour Aru et pour accepter la vie sans Ava.

Le roman de Sandrine Collette m’a bouleversée. C’est un récit violemment poétique, acéré – entre rage et humanité. Une lecture immersive et prenante, dont on ne sort pas indemne.

Gabrielle Filteau-Chiba – Encabanée ***

Folio – 6 janvier 2022 – 109 pages

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« Ma vie reprend du sens dans ma forêt. »

Lassée de l’aliénation citadine, Anouk prend la tangente. Elle abandonne son appartement de Montréal et trouve refuge dans une cabane isolée dans la région de Kamouraska – une région sauvage et désertée de toute présence humaine… L’hiver arrive ; moins 40 degrés dehors. La survie en autarcie commence, avec pour seules munitions des poèmes, de quoi faire du feu, l’écriture de son journal, les parties de solitaire.

Le temps d’une semaine, l’autrice nous offre une plongée fulgurante dans ce quotidien encabané, à la recherche d’un sens à donner à la vie. Jusqu’à la rencontre avec un inconnu aux cheveux noirs corbeau.

Une lecture surprenante et saisissante ; j’ai aimé la beauté de la langue ; sa poésie brute et son ironie. Cette immersion sauvage avec l’ombre de Thoreau qui plane.

Lucy Maud Montgomery – Anne de Green Gables ***

Monsieur Toussaint Louverture – 2020 – 384 pages

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C’est une enfant de onze ans qui attend sur le quai d’une gare ; deux longues tresses rousses, un visage parsemé de taches de rousseur, un petit menton pointu. Une lueur malicieuse dans des yeux gris. Et un vrai petit moulin à paroles qui a besoin de beaucoup de place pour laisser libre cours à son imagination.

Elle arrive de l’orphelinat par le train ; mais Matthew et Marilla n’y comprennent rien : c’est un garçon qu’ils attendaient. Un garçon pour les aider à Green Gables ! Que vont-ils bien pouvoir faire d’une fille ?!

Finalement, ils se prennent tant d’affection pour elle qu’ils décident de la garder. Anne et sa langue bien pendue, son imagination si débridée, son amour des arbres et de la nature, ses multiples cascades et erreurs. La fillette est si vivante et authentique – une vraie bonté d’âme ; si heureuse d’être adoptée par Marilla et Matthew. Très vite, elle se lie d’amitié avec Diana, qu’elle nomme son âme sœur.

Le roman de Lucy Maud Montgomery est tour à tour jubilatoire, enivrant, réjouissant. La beauté de l’écriture romanesque et poétique, emplie de lyrisme, m’a enchantée. C’est une lecture qui met du baume au cœur, à la fois drôle et savoureuse, émouvante sans jamais verser dans la niaiserie.

Jean Hegland – Dans la forêt ****

Gallmeister – 2018 – 380 pages

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Nell et sa soeur Eva vivent depuis toujours dans une vieille maison au coeur de la forêt. À l’écart de toute grande ville. Leurs parents ont souhaité les élever de cette façon. Sans école. Dans les bois. À étudier ce qu’elles désirent. Mais vient un jour où le climat se dérègle, une infection se répand… Leur mère meurt, puis elles enterrent leur père. Les deux sœurs se retrouvent alors seules. À essayer de capter les informations du monde. À survivre dans ce monde en décomposition. Ce monde qu’elles ne reconnaissent plus.

Nell dévore tous les livres. Quand elle n’a plus rien à lire, elle s’attaque à l’encyclopédie, dans le droit fil de son rêve d’intégrer Harvard. Quant à Eva, elle passe son temps à danser. Danser pour tenir le coup ; danser pour oublier.

Au fur et à mesure de sa lecture de l’encyclopédie, Nell se retrouve assaillie par les souvenirs. Dans son cahier, elle les inscrit, aux côtés de la survie quotidienne. Elle raconte le rationnement, la peur – leurs angoisses face à l’absence de futur.

Et la forêt, qui les entoure – leur rempart. La forêt, lieu de jeux de leur enfance ; la forêt et ses mystères. La forêt qui leur a pris leur père et contre laquelle leur mère les mettait en garde… La forêt, les sauvera-t-elle ou les engloutira-t-elle ?

Une écriture somptueuse! C’est ce qui me happe en premier. L’écriture. Et l’atmosphère. Je me fonds dans ce roman et me laisse porter. Dans la forêt se révèle vite être une lecture intense ; je découvre un roman d’une puissance rare, aux héroïnes inoubliables.

Un roman d’apprentissage où la virtuosité de l’écriture prend aux tripes – un savant mélange de tension et de poésie, de férocité et de douceur, avec cette Forêt omniprésente – personnage central. C’est féministe et féminin, magnifique et tempétueux. ❤

Nastasia Rugani – Je serai vivante ***

« Je suis morte sous le cerisier. »

Un dimanche d’avril, tout bascule. Trois mois après, la narratrice sent encore l’écorce du cerisier sur la peau de son dos. Ses racines qui lui écorchaient le dos pendant qu’il la violait.

« Vous ne me croyez pas puisque je respire. Seulement j’ai appris à faire semblant d’être en vie. J’ai appris cela lors de cet après-midi livide. »

Aujourd’hui, elle est face à un officier de police. Elle porte plainte, enfin. Elle revit, mot après mot, le supplice. Un supplice qui se joue du temps et de la chronologie. Les mots s’étranglent en elle face au mépris de l’homme.

Tout au long de ce court roman, elle s’adresse à l’officier. Le vous est percutant, cinglant.

La mort, elle la porte en elle depuis ce maudit dimanche d’avril. Le viol a agit depuis comme une affreuse métamorphose – de son corps, de sa vie. Une métamorphose de la nature aussi, complice du crime – cette Nature qui portera l’empreinte éternelle de sa mort. « La nature n’a rien fait. Le monde n’a rien modifié de sa beauté au-dehors. Et cette immobilité m’a tuée une nouvelle fois. » Enfin, une métamorphose du Temps, qui s’est vicieusement figé depuis ce matin d’avril – un Temps qui ne s’écoule plus normalement.

Dans une langue à la fois poétique et incisive, Nastasia Rugani nous offre un texte d’une puissance folle – des mots d’une puissance rare. La douleur éclate. L’étrangeté et le sauvage s’empare des mots ; laideur et sublime s’entremêlent dans un corps à corps qui nous saisit à la gorge et nous bouscule.

« Je ne suis plus frileuse. Je suis l’hiver. »

Sarah St Vincent – Se cacher pour l’hiver ***

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Delcourt – octobre 2020 – 348 pages

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Kathleen travaille dans le snack d’un parc naturel en plein coeur des forêts oubliées de Pennsylvanie, les Blue Ridge Mountains. A vingt-sept ans, elle loge chez sa grand-mère, et une aura de solitude semble flotter autour d’elle.

Un soir, alors qu’elle s’apprête à fermer la boutique, un étranger débarque. Il a un drôle d’accent. Elle lui ouvre le gîte pour qu’il y passe la nuit. Il prétend s’appeler Daniil et être un étudiant ouzbek. Cet étranger l’intrigue profondément – il a l’air de fuir quelque chose. Beaucoup de questions restent sans réponses. Et pourtant, la jeune femme sent qu’elle peut lui faire confiance.

Mais le personnage le plus énigmatique demeure sans doute Kathleen. Pourquoi ne veut-elle pas parler de cette douleur qui lui paralyse parfois l’épaule et la hanche ? Pourquoi a-t-elle toujours l’air effrayée ou sur le qui-vive, comme un animal sauvage, traqué ?

Daniil. Kathleen. Deux êtres hantés par leur passé, qui passent leur temps à fuir, à leur façon, et qui vont se lier d’amitié, petit à petit. Les mots et le passé vont jaillir au fil de leurs escapades au coeur de la beauté désarmante des Blue Ridge Mountains – la majesté des forêts, leur solitude à la fois rassurante et effrayante.

Je me glisse à pas de velours dans le roman de Sarah St Vincent, saisie par le mystère qui s’en dégage, la psychologie fouillée des personnages. Et cette nature à la fois majestueuse et imposante. Un premier roman américain abouti et intense, sur la violence et la résilience, mettant en scène une rencontre entre deux personnages que je ne suis pas prête d’oublier. 

Merci au #PicaboRiverBookClub pour cette lecture !

Laurine Roux – Le Sanctuaire ***

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Les éditions du Sonneur – août 2020 – 160 pages

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Le Sanctuaire, c’est cette zone montagneuse et isolée du reste du monde où s’est réfugiée la petite famille de Gemma pour échapper à un mystérieux virus qui aurait été transmis par les oiseaux et qui aurait exterminé une bonne partie de l’humanité.

Gemma, la plus jeune des deux sœurs, est une enfant devenue chasseuse de génie, qui ne sort jamais sans son arc. Si elle connaît le moindre recoin du Sanctuaire, du monde avant la pandémie elle ne connaît en revanche que les récits de ses parents et de sa sœur June.

Leur mère est souvent plongée dans ses souvenirs du monde d’avant la pandémie, ses livres et ses récits mythologiques. Leur père est un être tyrannique qui dispense une éducation à la dure, pour permettre à ses filles de survivre dans ce monde où l’ennemi prend n’importe quelle forme, et surtout celle des oiseaux…

Un jour que Gemma s’aventure seule un peu plus loin dans la forêt, elle tombe sur un vieil homme sauvage et virulent qui vit entouré de crasse et de rapaces. Parmi eux, un aigle avec lequel l’enfant va nouer des liens spéciaux ; à son contact, elle se sent étrangement vivante. Cette vérité nouvelle percute de plein fouet celle de son père qui lui a toujours appris à maudire et abattre les oiseaux. Peu à peu, le désir de transgression la taraude et le désir de goûter à la liberté s’empare d’elle.

Dès les premières lignes, l’écriture de Laurine Roux m’a embarquée au coeur de ce monde post-apocalyptique ; le charme des mots a opéré. Le Sanctuaire est un très joli roman, sauvage et poétiquenature et poésie sont omniprésentes. 

Bérengère Cournut – De pierre et d’os ***

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Le Tripode – octobre 2020 – 198 pages

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Prise de crampes au ventre, Uqsuralik se glisse dans la nuit du dehors. De façon soudaine et inattendue, la banquise se fracture et sépare la jeune fille inuit de sa famille, endormie. Uqsuralik se retrouve seule face à l’immensité blanche de la banquise, avec quelques chiens affamés et une dent de requin que son père lui jette avant d’être englouti dans le brouillard. La toute jeune adolescente n’a d’autre choix que de marcher, et de survivre, coûte que coûte. Elle se retrouve à affronter les éléments, la famine, à devoir faire des choix… Afin d’aller au devant de son destin et des êtres qu’il mettra sur sa route.

Je mets un peu de temps à me glisser dans cette lecture.

Et puis je me laisse saisir par la beauté de l’écriture, la pureté des paysages, leur dénuement le plus total. Je me retrouve plongée dans un roman onirique et poétique, où la nature et les éléments sont sacrés. Je me laisse séduire par ce monde peuplé de rêves, de chants, de symboles et d’esprits – l’homme-lumière, le géant.

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Ce monde dans lequel il faut chasser et pêcher pour se nourrir, réciter des formules de protections, où la vie et la mort des êtres sont étroitement liées, tout comme l’animal et l’humain.

De Pierre et d’os est un roman empreint de beauté, dont j’ai aimé jusqu’aux dernières pages et ses photographies, qui prolonge l‘immersion dans le monde des Inuits.

« Durant ma longue vie d’Inuit, j’ai appris que le pouvoir est quelque chose de silencieux. Quelque chose que l’on reçoit et qui – comme les chants, les enfants – nous traverse. »

Sandrine Collette – Et toujours les Forêts ****

 JC Lattès – janvier 2020 – 334 pages

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Corentin, personne n’a jamais voulu de lui. Son père, il ne l’a pas connu, il s’est tué sur la route. Malchance, chagrin. Sa mère, elle rêve depuis toujours de le faire disparaître. Depuis qu’il s’est implanté en elle, petite graine qu’elle diabolisait. Elle l’abandonne régulièrement chez des amies, des connaissances. Elle le maudit d’exister. Un jour, elle le dépose chez la vieille Augustine. En plein coeur des Forêts. Là où tout a commencé.

Les Forêts, « un territoire à part, colossal, charnu d’arbres centenaires, de chemins qui s’effaçaient chaque saison sous la force de la nature. » Au creux de ce territoire hostile, Augustin renaît peu à peu, grandit, s’épanouit.

Il poursuit ses études à la Grande Ville ; comme un papillon de nuit, il est attiré par les lumières et se laisse dévorer par les fêtes permanentes ; il rencontre toute une bande de potes avec laquelle il se lie et s’attache, à travers des soirées toujours plus alcoolisées, toujours plus hallucinées. Ensemble, ils sont insouciants. Transis.

« Engloutis dans la terre, engloutis dans l’alcool et les rêves »… Ils ne se rendent pas compte que la terre brûle et se dessèche anormalement. La chaleur s’éternise et les saisons se dérèglent inéluctablement. La fin du monde arrive. Corentin y survit miraculeusement et se lance à la recherche d’Augustine et des Forêts.

L’écriture hypnotique et ciselée de Sandrine Collette m’a captivée. Je me suis plongée dans ce roman incroyable et terriblement prenant ; les descriptions de ce monde post-apocalyptique sont saisissantes. Et toujours, les Forêts est un roman à la fois lumineux et désespéré ; d’une telle beauté. Depuis que je l’ai refermé, les images se sont imprimées sur ma rétine et les mots de l’autrice ne quittent plus mes pensées. ♡