Léonor de Récondo – Revenir à toi ***

Grasset – 18 août 2021 – 180 pages

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Magdalena a quatorze ans lorsque sa mère disparaît. Un jour, au début du printemps, en revenant du collège, ces mots se coincent en travers de sa gorge – « Maman est partie ». Son absence lui coupe les jambes, la brise dans son bel élan.

Devenue adulte, devenue une comédienne reconnue, Magdalena apprend que sa mère est vivante – elle apprend où elle habite. Sans réfléchir, elle saute dans un train et laisse toute sa vie en plan. Tandis que le train file, les souvenirs défilent, déferlent en elle. Le chagrin de l’adolescente qu’elle était demeure intacte.

Magdalena se rappelle son adolescence ; la façon dont elle s’est jetée à corps perdu dans la peau d’Antigone, sur scène. Pour oublier. Pour se sentir libre – et non enchaînée à cet l’abandon. Elle se rappelle sa mère Apollonia et sa dépression, annihilant tout autour d’elle.

Un roman puissant. L’écriture poétique et ciselée de Léonor de Récondo nous fait lentement succomber à l’émotion.

Revenir à toi est un beau voyage poétique ; un voyage vers la mère perdue puis retrouvée. Un voyage dans le passé. Un texte violemment beau – une vibrante déclaration d’amour à cette mère qui l’a abandonnée un jour sans un mot.

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Dalie Farah – Le Doigt ***

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Grasset – février 2021 – 224 pages

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Ce matin de janvier, une prof de philo traverse devant le lycée, en dehors du passage piéton. Une voiture klaxonne. La prof dresse un doigt d’honneur, sans un regard, comme un réflexe. L’homme sort de sa voiture, hurle et la défie : « Recommence! » Nouveau doigt d’honneur. Il la gifle brutalement.

Avec une écriture acérée, cheminant sur le fil du rasoir, Dalie Farah nous livre un récit composé de dialogues en salle des profs, réactions d’élèves et de souvenirs de la violence. Ce n’est pas la première fois que la jeune femme y est confrontée ; la violence, elle résonne avec son enfance.

Un récit saisissant qui dénonce la violence sous toutes ses formes ; celle de l’enfance, de la famille ; celle de la rue et celle des élèves. Mais c’est aussi la violence de l’indifférence administrative et du système éducatif français dans son ensemble.

Gisèle Halimi avec Annick Cojean – Une farouche liberté ***

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Grasset – août 2020 – 160 pages

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Dans ce – trop – court livre, Annick Cojean nous livre la parole de Gisèle Halimi, à travers leur entretien. C’est une femme fascinante et extraordinaire qui se confie et nous raconte son enfance ; sa soif de justice qui très tôt s’éveille ; son sentiment de révolte grandissant face aux rapports différenciés entre hommes et femmes, aux différences d’éducation, face à l’injustice de cette société patriarcale écrasante. Sa prise de conscience qu’être née femme allait lui poser problème. Très tôt, Gisèle Halimi ressent le besoin d’indépendance et d’émancipation, c’est presque viscérale chez elle ; « échapper à cette malédiction des femmes qui les plaçait en situation d’obligées ». La jeune femme deviendra avocate, pour défendre le droit des femmes, faire entendre sa voix, faire changer les choses. Sachant toujours très bien s’entourer, elle consacrera sa vie entière à défendre la cause des femmes, à dénoncer les injustices.

Un ouvrage nécessaire, à lire et relire. Une femme qui a marqué l’histoire du féminisme par son engagement sans limite, son tempérament tempétueux et impétueux.

« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » René Char.

Pauline Clavière – Laissez-nous la nuit ***

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Grasset – janvier 2020 – 624 pages

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Maxime Nedelec, la cinquantaine passée, divorcé, vient d’être arrêté. À force de micmacs avec sa société, refusant jusqu’au bout de mettre la clé sous la porte, il franchit la frontière de l’illégalité. Des documents falsifiés et une amende impayée – ou plutôt dont le paiement ne parviendra jamais aux caisses du Trésor Public… Son imprimerie, héritée de son père fait faillite et se retrouve en liquidation financière. Les flics l’attendent devant chez lui et l’embarquent, sans ménagement. Il n’a même pas la possibilité d’appeler Mélo, sa fille. Ni de dire au revoir à Beckett, son chien.

Max se retrouve en prison. Au trou. Il a du mal à s’y faire. Ce lieu d’une laideur et d’une grisaille à couper le souffle. Lugubre. Sans soleil. Ces longs couloirs monotones comme autant de boyaux sans fins. Qui l’avalent et le digèrent. Ces portes qui parlent et se taisent.

En prison, il va faire des rencontres. Et découvrir tout un monde parallèle… Si beaucoup de monstres s’y terrent, de belles et improbables rencontres l’attendent malgré tout. Ilan alias Bambi, son compagnon de cellule, qui ne doit pas avoir plus de 18 ans et qui a fui l’horreur de la Syrie pour se retrouver derrière des barreaux et harcelé par des bourreaux. Sarko, ce grand black aux mains gigantesques qui terrorise tout le monde sans dire un mot. Marcos, la montagne de chair avec qui il partage sa cellule, qui peut se mettre dans des rages incroyables et gober drogues et psychotropes à outrance, mais qui a un coeur grand comme ça, et se révèle attachant. La Bête à trois têtes, trois voyous qui fusionnent avec les trafics et que personne n’ose approcher. Et de belles âmes comme celle de Françoise Rosier, la médecin dont tous les hommes sont fous ; celle de Joël, le surveillant attachant.

Sous la plume empathique et incisive de Pauline Clavière, c’est toute une galerie de personnages étonnants qui prennent vie. La jeune écrivaine a le don de brosser un portrait psychologique, une personnalité ; en quelques lignes on est embarqués. La prison apparaît comme une fourmilière, le point de convergence de plusieurs destinées, entre matons et codétenus ; on la perçoit très vite comme un personnage à part entière du roman.

La narration est singulière ; elle se trouve jalonnée par de nombreux extraits du règlement intérieur de la prison qui font froid dans le dos. Les pensées de Maxime, en italique, se démarquent du reste du texte. Pas de guillemets pour les dialogues. Des paragraphes aérés. Quelques longueurs, mais un style fluide, qui se lit bien, à la fois tendre et ironique.

Un premier roman dense, intelligent et malicieux qui nous offre une immersion vertigineuse dans l’univers carcéral. 4 chapitres comme 4 saisons. 4 saisons en enfer.

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« Elle est vivante, elle se déplace. Elle est comme un monstre qui rampe. »

Gaëlle Nohant – La femme révélée ***

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Grasset – 2 janvier 2020 – 384 pages

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États-Unis, années 50. Eliza Bergman se retrouve en cavale. Derrière elle, la jeune femme de trente ans laisse un enfant mais prend soin d’emporter son appareil photo. Elle change de nom, endosse l’identité d’une autre femme, Violet Lee. Elle quitte Chicago pour la France, Paris. Elle traverse l’Atlantique en bateau puis saute dans un train.

Mais pourquoi fuit-elle ainsi ?

Eliza quitte une vie fastueuse pour la misère de la fuite, la discrétion, la peur. À Paris, les souvenirs du Midwest l’étreignent et elle ne peut s’empêcher de capturer la fugacité de la vie et du présent avec son appareil photo accroché à son cou en permanence.

Elle photographie cette vie parisienne des années 50, une nouvelle vie, entre son quotidien de nurse et les sorties nocturnes avec ses nouveaux amis à Saint-Germain-des-Prés. Un fossé immense la sépare désormais de son ancienne existence.

J’ai aimé l’atmosphère de ce roman et cette femme énigmatique ; une américaine à Paris dans les années 50 qui échappe à ses poursuivants ; la solitude incommunicable et lancinante qu’elle éprouve. L’écriture évocatrice et romanesque de Gaëlle Nohant nous dévoile au fil des pages le passé d’Eliza.

La femme révélée nous fait voyager du Chicago des années 50 au Paris de l’après-guerre ; il aborde tout un pan historique passionnant : la lutte pour les droits des noirs aux USA, la ségrégation… La mort de Martin Luther King, les USA après la guerre du Vietnam, les prémices du mouvement hippie

Gaëlle Nohant nous délivre un roman puissant qui évoque aussi bien la question raciale aux Etats-Unis que le féminisme. Un très beau portrait de femme que je n’oublierai pas de sitôt.

Chroniques oubliées #5

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En voyant la liste de mes billets en attente de publication qui s’allonge dangereusement, je me dis qu’il est vraiment temps de faire une nouvelle session de « Chroniques oubliées » ! Dans ce billet, je vous parle de Chaplin, de la ségrégation dans les années 50 en Alabama, de Los Angeles, la ville aux milles visages, mais aussi de la Syrie et de son fameux festival du cheval…

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A1F+DRpBAsLDans ce premier tome, nous découvrons l’enfance et la jeunesse de Charles Spencer Chaplin, ce génie du cinéma américain. On apprend qu’il n’a pas connu sa mère et que son père était un mime et chanteur dramatique… qui a mal fini. Il quitte Londres pour New York, espérant ainsi échapper au fantôme de son père et construire sa propre légende. Il veut la gloire, le succès, la reconnaissance. Que son nom soit sur toutes les lèvres. On suit Chaplin aux USA, de New York à L.A.… L’ascension fabuleuse et rapide du succès, le personnage de Charlot qui se construit grâce au hasard et à l’improvisation… Les dessins sont magnifiques, mais demeurent curieux : à cause de leurs airs toujours excédés et calculateurs, j’ai trouvé les personnages très antipathiques. Une BD à dévorer !

Rue de Sèvres – septembre 2019 – 72 pages

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9782205079258-couvClaudette Colvin, c’est l’adolescente noire qui refusa de céder sa place à une blanche dans un bus, à Montgomery, dans l’Alabama. Celle qui fut éclipsée ensuite par la figure de Rosa Parks, parce qu’elle passait moins bien à l’écran. Émilie Plateau nous offre une immersion dans la peau de cette adolescente noire des années 50, en Alabama. Claudette grandit dans un quartier pauvre, élevée par sa grande-tante et son grand-oncle. Le décor est planté grâce au trait de crayon très parlant et suggestif et un ton absurde et pince-sans-rire. Dessiner pour rendre compte de l’absurdité et de la violence d’une époque envenimée par le racisme. Une fois cette BD refermée, Claudette Colvin devient enfin quelqu’un ; cette adolescente condamnée, qu’on a effacée des mémoires au profit de Martin Luther King, un homme qui en impose davantage et de Rosa Parks, une femme plus distinguée. Un roman graphique qui se veut aussi féministe et qui offre un éclairage nouveau sur l’histoire de la ségrégation.

Dargaud – janvier 2019 – 138 pages

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I23708Dans ce très court texte, on rencontre Alice et Oona, vendeuses dans un magasin de vêtements de luxe. Des vêtements qu’elles ne pourraient jamais se payer. On est à LA. La ville qui n’a pas de centre, où toutes les folies sont permises, où les jeunes femmes rêvent toutes d’être actrices, de percer. Alice suit des cours de théâtre auprès d’un acteur à la retraite, vieillissant. Elle se contente d’une pomme le midi. Pour arrondir ses fins de mois, Alice s’embarque dans un curieux commerce. Un récit bref qui fait grimper le malaise jusqu’aux derniers mots.

La Table Ronde – octobre 2019 – 48 pages

 

 

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imageDepuis les années 20, le général Gouraud est connu en Syrie pour avoir fait cesser la révolte des nationalistes syriens dans un bain de sang. C’est le général français que l’on maudit à chaque malheur qui s’abat sur la Syrie. Christopher Donner entreprend un voyage en Syrie avec trois amis ; parmi eux, Jean-Louis Gouraud, écrivain, Daniel Rondeau, photographe et Daniel Marinier, cinéaste. Ils sont invités à Damas à l’occasion du Festival du cheval. Les quatre visiteurs se sentent privilégiés de découvrir ce pays ravagé par huit années de guerre civile, mais très vite, ils se rendent compte qu’ils se sont fait avoir… On prétend que Jean-Louis Gouraud serait le petit-fils du général Gouraud, venu s’excuser devant le tombeau de Saladin pour tout le mal que son ancêtre a fait à la Syrie. Or, le général est mort sans avoir jamais eu d’enfant. Un témoignage aux accents absurdes, qui mêle farce et politique. « C’est en quittant Damas qu’on voit la guerre, et ce qu’on voit de la guerre c’est qu’elle est bel et bien finie : pour qu’elle continue, il faudrait qu’il y ait encore des trucs à détruire, encore un peu de vie. Là, tout est mort, ratiboisé, hiroshimiesque. »

Grasset – novembre 2019 – 160 pages

Anne Brochet – La fille et le rouge **

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Grasset – octobre 2019 – 224 pages

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Un homme et une femme – deux visages sans nom – qui se rencontrent sur une île lors d’un colloque universitaire. Qui se désirent brusquement et deviennent amants le temps d’une journée. Chacun rejoint son pays ; un océan les sépare. Cinq ans plus tard, elle le retrouve, par hasard. Il semblait l’attendre. Entre-temps il a quitté son poste d’enseignant pour devenir sapeur-pompier et combattre le feu, sauver des vies.

La jeune femme traverse l’océan pour vivre avec cet homme, qu’elle connaît à peine. Elle quitte son pays, son métier, sa famille pour lui. Il quitte femme et enfants pour elle. Ils se retrouvent dans la maison de la mère d’un collègue, morte d’un cancer. Très vite, elle ressent un certain malaise, à vivre avec lui. Il est renfrogné, taciturne, peu bavard, et son comportement est parfois très inquiétant. Une brique s’installe dans le ventre de la fille ; une brique qui pèse une tonne. L’homme providentiel n’est pas celui qu’elle s’était imaginé. C’est un étranger qu’elle ne comprend pas, qui brûle intérieurement.

La question qui m’a hanté pendant toute ma lecture : Mais pourquoi ne fuit-elle pas ? Pourquoi rester avec un homme pareil ? Et surtout, pourquoi s’être installé avec lui, alors qu’elle le connaît à peine ? J’ai eu beaucoup de mal à ressentir de l’empathie pour cette jeune femme – la seule émotion qui m’a traversé est celle d’un profond malaise. Un malaise qui grandit avec l’attente de la fille : mais qu’attend-t-elle ? « Au fond, la seule chose qu’elle attende dans sa vie, c’est que l’homme arrive, qu’il la prenne et qu’elle en jouisse jusqu’à ne plus revenir de cette incompréhension d’elle-même. »

Jusqu’à la fin, il s’agira de « l’homme » et de « la fille ». Aucun prénom, peu de dialogues, aucun nom de lieux. L’autrice opère une mise à distance criante et dérangeante. J’ai failli abandonner ma lecture à plusieurs reprises – en cause, le manque de réalisme à certains moments et l’extrême distance narrative – et puis finalement l’écriture d’Anne Brochet m’a intriguée et méticuleusement ferrée. Cette histoire a quelque chose de dérangeant et de fascinant… On comprend au fil des pages que l’homme est malade – il est bipolaire. Aucun d’eux ne le savent ; la fille ne ressent que l’imminence d’un danger ; une confusion s’empare d’elle au point que l’on ne sait finalement plus qui de l’homme ou de la femme déraille, qui est le plus fou.

« C’était une parfaite journée pour mourir. Restait à savoir lequel des deux allait s’y coller. »

Ali Smith – Automne ****

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Grasset – 4 septembre 2019 – 240 pages

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Nous sommes dans l’Angleterre du Brexit. Un pays qui se révèle sous un nouveau jour. Un pays où l’absurde semble avoir pris le pouvoir, insidieusement : le parcours du combattant pour faire renouveler son passeport, l’impossibilité de se balader sereinement au bord de la lande… Une hostilité nouvelle envers l’étranger semble émerger quotidiennement.

Elisabeth a la trentaine et elle rend visite quasiment tous les jours à son vieil ami centenaire, Daniel Gluck. Elle l’a connu alors qu’elle était enfant, il était leur voisin et il était déjà très vieux… « Les amis d’une vie. On les attend parfois toute sa vie. »

Il gît à présent dans son lit à la maison de retraite et ne fait quasiment plus que dormir. La jeune femme imagine alors des conversations avec lui. Et elle se souvient… Leurs promenades au bord de la rivière. Elle a onze ans et Daniel lui parle d’art, de livres, de Keats ;  il imagine mille choses, invente et fait danser le langage et les images pour elle, avant d’affirmer que le temps file et de lancer sa montre dans la rivière.

À travers les souvenirs d’Elisabeth et de Daniel, c’est la figure artistique de Pauline Boty qui apparaît, seule artiste féminine anglaise de pop art dans années 60. Daniel était fou de cette jeune femme féministe et engagée – victime de la misogynie de son milieu artistique – qui meurt à l’âge de vingt-huit ans d’un cancer.

Automne est un curieux roman où l’on se questionne sur la normalité, la vérité, où l’imagination est reine aux côtés de l’art…  L’écriture imagée de Ali Smith m’a conquise – « Toutes les autres maisons ont déjà été arrachées de la rue telle des dents gâtées. »« De nos jours, les nouvelles, c’est comme un troupeau de moutons lancé à pleine allure qui se jette du haut d’une falaise. » Son style si singulier m’a surprise et interpellée dès les premiers mots.

Coup de ❤ pour ce roman décalé et poétique, humain et féministe sur l’oubli et la mémoire. 

Laure Limongi – On ne peut pas tenir la mer entre ses mains ***

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Grasset – 28 août 2019 – 288 pages

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La narratrice a quitté son île natale – la Corse – à la suite d’un deuil. Elle y revient sept ans plus tard, le cœur lourd, sans savoir si cela la rend heureuse ou non. Elle retrouve son passé. Elle se souvient de sa maison d’enfance ; la villa de Bastia, L’Alcyon – L’alcyon qui est un oiseau fabuleux nichant sur les flots de la mer et couvant ses œufs pendant sept jours. Elle décrit la maison familiale ainsi : « Un grand escalier de marbre tel un système sympathique reliant la folie de l’étage à la digestion difficile du rez-de-chaussée. Quatre générations écorchées. Un secret qui rampe, de la cave au grenier. »

C’est à L’Alcyon que la petite Huma va naître, quatrième génération d’une famille singulière : la mère vaporeuse, Alice ; la grand-mère Marie qui se fait appeler May car ça fait plus jeune ; et l’arrière-grand-mère Madeleine, l’ogresse bienfaisante. Une famille qui semble porter le fardeau d’une étrange mélancolie teintée de rancœur.

Huma, quel drôle de prénom. Nous sommes à la fin des années 70 et personne ne comprend ce choix de prénom. Mais sa mère l’a rêvé. Ce prénom est sorti de la bouche d’un corbeau. Huma, « ma petite fumée aspirée, mon esprit subtil sur les steppes, les déserts, les forêts. » Une petite fille modèle, qui aime les cloportes. Qui trouve très tôt un refuge dans la lecture – refuge contre le monde, contre cette grand-mère tyrannique et cette mère passive.

Peu à peu, l’écriture nous apprend que l’Alcyon héberge un secret

Il est rare qu’une écriture vous saisisse de cette façon, dès les premiers instants de lecture… Dès les premiers mots, je suis captivée et captive de l’écriture de Laure Limongi. Elle a une façon de décrire certaines scènes, on s’y croirait. Comme cette nuit d’orage où l’électricité est coupée et où, alors que le père raconte une histoire de fantômes, ils entendent des pas lourds au-dessus d’eux… Une écriture au fort caractère, tranchante et juste. On se croirait en Corse, dans un petit village auquel on accède par ces fameuses routes sinueuses. Certains passages sont terriblement évocateurs ; comme la fuite de Lavì et Alice, leur errance de village en village dans les montagnes corses, juste avant la naissance de Huma.

On ne peut pas tenir la mer entre ses mains ; est-ce la Méditerranée ou la mère dont il est question dans le titre ? Quoi qu’il en soit, Laure Limongi nous livre un très beau roman sur la famille et les secrets qui s’y blottissent, les racines et la Corse, qui semble naviguer entre fiction et autofiction.

Catel – Le Roman des Goscinny. Naissance d’un Gaulois ****

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Grasset – 28 août 2019 – 344 pages

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Catel est une artiste qui privilégie la mise en lumière d’héroïnes, de grandes femmes qui ont marqué l’Histoire, à leur façon : Olympe de Gouges, Joséphine Baker, Kiki de Montparnasse… Alors, lorsque Anne Goscinny lui propose de dessiner la vie de son père, elle refuse dans un premier temps.

Puis Catel rappelle un peu plus tard Anne pour lui demander de lui parler de son père. Car cette BD, c’est avant tout une histoire d’amitié qui naît entre les deux femmes. L’héroïne de son roman graphique, ce sera Anne. Elle sera la voix par laquelle se dessinera le personnage de René Goscinny.

Le Roman des Goscinny est un roman graphique fascinant ; on découvre le petit René qui, depuis sa naissance, fait rire tout le monde. « L’humour est une maladie que j’ai attrapée enfant et qui ne m’a jamais quitté! ». Encore enfant, il tombe amoureux de Stan et Ollie, de Disney, des Pieds Nickelés. Le dessin devient pour lui le meilleur moyen de déployer son humour et de s’exprimer en racontant des histoires. René commence par le dessin avant de se spécialiser dans l’écriture de scénario et de faire les rencontres qui donnèrent naissance à Astérix et Obélix (Uderzo), Lucky Luke (Morris) mais aussi le Petit Nicolas (Sempé)…

Cette lecture m’en apprend davantage sur une partie de l’histoire de la bande dessinée et sur le combat des dessinateurs à l’époque de Sempé, Uderzo et compagnie pour la reconnaissance de leur art. Elle me permet également de découvrir plus intimement l’homme que fut Goscinny ; sa naissance à Paris en 1926, son enfance à Buenos Aires, la déportation d’une partie de sa famille, ses aventures américaines et ses déboires à New York. Un récit à l’image du scénariste : pétri d’humour.

Catel raconte avec talent la vie de ce scénariste qui a marqué en profondeur l’histoire de la bande dessinée. Au fil de son récit, elle parvient à insérer les vrais dessins et croquis de René issus des archives. Son trait de crayon m’a touchée, ses dessins sont fluides et réalistes. Les chapitres alternent, en donnant la parole tantôt au père – grâce aux archives familiales et aux lettres – tantôt à la fille, qui raconte son père et son enfance – il est mort quand elle avait neuf ans. Le récit d’Anne se construit au fil des discussions avec Catel. Voici un roman graphique et biographique savoureux, minutieusement construit et documenté, empreint d’humour : une jolie pépite de la rentrée littéraire, à découvrir sans attendre !