Baptiste Beaulieu – Alors vous ne serez plus jamais triste ***

Livre de Poche – 2016 – 287 pages

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C’est l’histoire d’un conte à rebours. C’est l’histoire d’un docteur qui, depuis la mort de sa femme, est devenu un homme en noir et blanc. Un docteur qui a décidé de mettre fin à ses jours. Un docteur qui va rencontrer une vieille femme qui l’attend dans son taxi et qui va lui proposer un singulier marché : repousser son suicide de 7 jours et lui laisser diriger le programme de ces 7 jours à sa guise. Elle porte un nom abracadabrant et a une personnalité toute aussi farfelue ; sa vie ressemble à une fiction. Et elle va tout tenter pour le faire changer d’avis – lui redonner goût à la vie. Le docteur n’a plus rien à perdre, alors il accepte.

Une lecture on ne peut plus originale, dont les pages sont numérotées de façon décroissante. Une lecture qui m’a embarquée, page après page dans sa folie douce. Entre poésie et ironie grinçante.

« Dehors, les flocons dansaient comme le lait dans un thé très noir. On aurait pu téter la peau du ciel nocturne et s’en trouver immensément heureux, tel un nouveau-né collé au ventre de sa mère. »

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Aimee Bender – Un papillon, un scarabée, une rose ***

Editions de l’Olivier – 2021 – 352 pages

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Francie n’a que huit ans lorsque la dépression de sa mère atteint son point culminant. Elle est obligée de la quitter pour aller vivre avec Tante Minn et Oncle Stan. Et leur bébé Vicky, qui vient tout juste de naître. Francie grandit dans la peur constante de la folie. Devenue adulte, elle tente de se souvenir de son enfance – elle veut comprendre et mettre des mots sur ce qu’il s’est passé.

Imagination et réalité s’entrechoquent, se confrontent à travers cette enfance traumatique : comme ce papillon décorant un abat-jour qu’elle retrouve dans un verre d’eau et avale, pour avoir une bestiole en elle. Comme ce dessin de scarabée qui se matérialise. Et comme cette rose séchée retrouvée sur le sol, comme tombée des rideaux ornés de roses. Autant de mystères. Imagination ? Folie ? Et si la vérité ne pouvait se dévoiler qu’à travers l’imagination ?

Un roman à la fois doux et cruel, dont j’ai beaucoup aimé le ton, l’atmosphère, les réflexions, les images – la métamorphose ; de l’inerte au vivant, d’un monde à l’autre. La tente de toile orange sur le balcon de Francie pour la réemergence des souvenirs. Cette bestiole à l’intérieur d’elle, symbole de la folie de sa propre mère.

Le roman d’Aimee Bender est une lecture d’une étrange beauté sur la folie, la filiation, la famille. ❤

Rachel Corenblit – Un peu plus près des étoiles ***

Bayard Jeunesse – 2019 – 248 pages

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L’adolescent qui prend la parole dans ce roman en a marre. Son père, médecin généraliste, change de poste tellement souvent qu’ils sont obligés de déménager à chaque fois. Ils bougent de ville en ville, parfois le gamin ne peut même pas terminer une année scolaire dans le même établissement. De tous ces déménagements, il n’en peut plus.

Pour cet énième déménagement, Rémi et son père se retrouvent logés dans un centre de repos pour les grands brûlés, les accidentés, les amputés, ceux qui viennent de subir une chirurgie réparatrice.

Rémi est un ado solitaire, qui trouve du réconfort en écoutant des cassettes de chansons des années 80 avec le vieux walkman que lui a donné sa grand-mère. Ces cassettes ont été enregistrées par sa mère, qui était ado à l’époque. Sa mère, dont l’absence est devenue une habitude dont il s’est accommodée.

Dans ce centre de repos, il fait la connaissance d’un groupe d’enfants et adolescents défigurés. Petit à petit, une amitié hors du commun va se nouer entre Rémi et ces gueules cassées. Il y a Sara, cynique à souhait, avec ses grands yeux bleus au milieu d’un visage dévasté ; Adonis, l’éternel gentil…

Un peu plus près des étoiles est un roman poétique, sans pathos. Si on début, je commence ce roman sur mes gardes, un peu dubitative, je suis vite rattrapée par l’émotion ; elle est brute, elle monte crescendo. Quant à l’écriture de Rachel Corenblit, que je découvre, elle est saisissante. Chaque chapitre porte le titre d’une chanson. Un roman musical sur la folie et la différence, la beauté et la laideur, qui prend aux tripes.

Giosuè Calaciura – Borgo Vecchio ***

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Folio – janvier 2021 – 160 pages

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L’intrigue se déroule dans un quartier pauvre de Palerme, le Borgo Vecchio. Mimmo et Cristofaro sont amis à la vie à la mort. Ils passent leur temps ensemble ; ils s’échappent et traversent la ville pour aller se baigner. Ils volent. Le soir, chacun rentre chez soi. Cristofaro retrouve son alcoolique de père qui le bat jusqu’au sang après avoir écumé son pack de bières quand Mimmo est occupé à guetter l’énigmatique Celeste recluse sur son balcon pendant que sa mère Carmela fait défiler les hommes dans son lit, sous les yeux de la Vierge au Manteau. Carmela qui fait tomber les hommes comme des mouches et provoque le fruit des commérages féminins incessants. Mais il n’y a que Totò le voleur, dont elle est amoureuse et que tous les gamins du Quartier rêvent d’avoir comme père.

Un court roman au charme fou ; en ouvrant ses pages, on se retrouve dans une ambiance qui nous rappelle le quartier pauvre de Naples d’Elena Ferrante ; il y a le parfum du pain, à l’aube et au crépuscule, tout comme celui des embruns. La folie des hommes et la misère des femmes.

La tension monte lentement au fil des pages, à mesure que le drame se profile et on se laisse porter par la beauté de la langue. Giosuè Calaciura nous raconte une histoire d’amitié tragique tout en nous livrant une fresque poétique et sensuelle du quotidien de ce quartier en proie à la folie, à la misère et à la délinquance.

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« En regardant les arbres, ils furent pris d’une mélancolie qu’ils ne pouvaient s’expliquer. Peut-être était-ce tout ce vert qui n’avait pas de saisons et ne vieillissait jamais, peut-être étaient-ce ces femmes noires qui se vendaient le long des avenues et, pour s’amuser, faisaient des clins d’œil à Mimmo qui répondait d’un geste de la main. Peut-être était-ce seulement la fin de l’été et sentaient-ils que le temps passait comme si on guérissait d’une maladie. »

Jón Kalman Stefánsson – D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds ***

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Folio – 2017 – 480 pages

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Ari est un éditeur exilé au Danemark depuis deux ans, sans que l’on sache vraiment ce qui l’a fait fuir. Etouffant au coeur des montagnes islandaises, il abandonne du jour au lendemain sa femme et ses enfants. Un matin, il reçoit un message de son père mourant et se trouve contraint de revenir à Keflavík, cette terre où « nulle part ailleurs en Islande, les gens ne vivent aussi près de la mort. »

Les souvenirs d’Ari resurgissent en même temps qu’il entame son retour sur son île natale. Son enfance dans les années 70, le spectre de sa mère, dont on ne sait pas grand chose si ce n’est qu’Ari n’a jamais guéri de son absence.

Le récit de Jón Kalman Stefánsson, entre réalité brute et onirisme, nous transporte dans le passé de cet homme un peu torturé mais aussi dans celui de son grand-père Oddur, un marin intrépide, qui tomba fou amoureux de Margrét, à la beauté renversante.

Poésie et mélancolie entament leur lent ballet. Les lieux sont gorgés de souvenirs et d’insolite – à l’image de ce bar appelé Janvier 1976 – et les personnages lisent trop de poésie et veulent habiter sur la lune.

Aucune linéarité, passé et présent s’entremêlent, se superposent. On saute d’un personnage à l’autre – les digressions sont trop nombreuses, au point que parfois je dois relire certaines pages et me retrouve noyée par tant d’histoires superposéesLe narrateur s’éparpille trop ; d’ailleurs qui est-il ? est-ce un fantôme, un souvenir, une âme du passé ? Ou un double d’Ari, son ombre plutôt ?

J’ai eu beau être agacée par ces digressions incroyables, ce roman demeure magnifique avec de nombreux passages que j’ai eu envie de recopier… Stefánsson a une façon tellement unique de parler de l’amour, de la beauté et de la folie humaine… Sous sa plume, l’Islande et ses fjords, ses montagnes et ses glaciers se déploient, prennent vie. On a l’impression d’y être.

« Ce qui nous empêche de nous désagréger, de tomber en morceaux, de nous transformer en malheur, en plaie suintante ou en pure cruauté, c’est la poésie, la musique : l’art. À la fois excuse et justification de notre existence, à la fois provocation, accusation et cri, en dépit des paradoxes irréconciliables qui habitent chaque être humain, l’art est ce qui nous permet de vivre sans sombrer dans la folie, sans exploser, sans nous transformer en blessure, en malheur, en fusil. Il est ce qui permet malgré tout à l’homme de se pardonner les imperfections de sa condition humaine. »

Franck Bouysse – Né d’aucune femme ****

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Le Livre de Poche – août 2020 – 336 pages

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Le père Gabriel a l’habitude des confessions. Dans le petit village où il vit, il connaît la voix de tous ses habitants ; quotidiennement, ils viennent absoudre leur péchés. Mais un jour, la voix d’une femme qu’il ne reconnaît pas se fait entendre derrière la cloison du confessionnal. « Mon père, on va vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile. » Une voix qui hésite à parler. Et qui finit par lui confier le secret des carnets de Rose ; ces carnets cachés sous la robe de ce corps sans vie. Ces carnets qui vont hanter le père jusqu’à sa mort.

Les carnets de Rose s’ouvrent à nos yeux et commence alors un roman à l’atmosphère lourde de mystère, épaisse comme la pois. Qui est Rose, cette femme dont on dit qu’elle a tué son enfant ? D’abord hésitante, la voix entame son récit et imprime immédiatement les esprits. Rose, c’est cette adolescente de quatorze ans, que son père, en proie aux démons de la pauvreté, vend à une famille aussi mauvaise qu’impénétrable.

Né d’aucune femme est un roman qui nous immerge dès les premières pages dans une spirale de noirceur. Au fil des mots de Rose, on s’enlise dans la douleur et l’obscurité, saisis d’effroi par la confession de la jeune fille. C’est noir de chez noir, aucune chance ne semble laissée à l’espoir…

Beauté fulgurante de ce roman – qui nous serre le coeur comme un étau, qui nous le serre jusqu’à le briser. Qui nous maintient en alerte jusqu’au dernier mot. Quelle puissance ! Les mots me manquent pour parler de cette lecture dont on ne sort pas indemne.

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« La seule chose qui me rattache à la vie, c’est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce mot existe il me convient. Au mois, les mots, eux, ils me laissent pas tomber. Je les respire, les mots-monstres et tous les autres. Ils décident pour moi. Je désire pourtant pas être sauvée. »

Sandrine Collette – Des noeuds d’acier **

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Le Livre de Poche – 2014 – 264 pages

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L’Affaire Théo Béranger a défrayé la chronique au cours de l’été 2002. Théo n’avait rien d’un ange. Un homme qui avait la violence chevillée au corps. Qui juste avant les faits, venait de sortir de prison pour avoir massacré son frère.

La narratrice, dont on ne connaît pas l’identité nous livre le journal de Théo, qu’elle a eu entre les mains. L’homme y raconte sa fuite dans un petit village de campagne, ses longues balades dans la nature, conseillée par sa logeuse Mme Mignon. L’éclat dans ses yeux ce matin là quand elle lui recommande d’emprunter ce petit sentier pour accéder à une vue incroyable… Et puis la façon dont il tombe sur une vieille bâtisse éloignée de tout et sur deux vieillards. La façon dont il se retrouve assommé et enchaîné dans leur cave.

Un roman glauque qui me pétrifie de plus en plus au fur et à mesure que j’avance dans ma lecture. Arrivé au milieu, j’hésite même à abandonner. C’est lent et sordide à souhait et le sentiment de malaise qui s’installe en moi s’épaissit. Je n’ai qu’une envie, finir cette lecture au plus vite. La tension grimpe dans les dernières pages. L’angoisse aussi. Un captivity thriller très bien ficelé et efficace, à lire quand on a le moral !

Elena Ferrante – Les jours de mon abandon **

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Folio – 2016 – 288 pages

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Olga a trente-huit ans et après quinze ans de vie commune et deux enfants, son mari vient de la quitter pour une autre femme, beaucoup plus jeune. Tout juste sortie de l’adolescence. Olga ne s’y attendait pas, la trahison est épidermique ; insupportable.

Les jours de mon abandon raconte la brusque métamorphose d’une femme trahie, abandonnée. Olga devient amère, vulgaire et sarcastique. Elle ne prend plus soin d’elle. Elle devient tête en l’air, oublie de fermer le gaz, ne parvient plus à ouvrir sa porte. Néglige ses enfants. Les amis prennent le large et Olga se retrouve vite seule. Elle passe ses nuits à écrire de longues lettres pétries de douleur à son mari perdu ; quant aux journées, elle les passe en tentant d’oublier. De l’abandon à la folie, il n’y a qu’un pas.

Le moment choisi pour entamer ce livre n’était pas forcément judicieux ; Elena Ferrante nous plonge dans une atmosphère âpre. Le langage grossier d’Olga m’agace. Je me perds quelques temps dans les méandres de sa folie qui s’épanouit. C’est tellement bien écrit que la violence de l’histoire m’étreint, le malaise m’envahit, m’obligeant à lire un temps en diagonale – à l’image de la jeune femme sur la couverture, je me retrouve submergée et écœurée par cette folie.

Les jours de mon abandon raconte la dérive d’une femme au cœur brisé ; sa lente descente aux enfers. Un roman dérangeant qui possède une écriture qui nous secoue ; qui nous tord soigneusement les boyaux, nous les essorent. C’est sincère, tortueux, cruel et beau.

Guillaume Siaudeau – Lundi mon amour ***

Alma éditeur – octobre 2019 – 144 pages

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Le héros de ce roman est tendrement attachant. Il s’appelle Harry, et un matin, il se rend, tout excité, dans une agence de voyage pour acheter un billet pour la lune. En deux temps trois mouvements, il est embarqué par les flics puis des hommes en blancs.

Cela fait désormais un mois que Harry se trouve dans cette chambre où les horloges font trop de bruit. Chaque matin, il a deux pilules à avaler, de différentes couleurs. Chaque lundi, sa mère lui rend visite. Et en cachette, il travaille à la confection de sa fusée… en rouleaux de papier toilette. Toby – son chat – voyagera bien sûr avec lui.

Une lecture qui m’a fait sourire, puis rire. Qui m’a dérouté par sa folie douce. Harry est un peu simplet, candide. Drôle malgré lui. Mais si sûr de lui qu’on aurait presque du mal à savoir de quel côté se trouve la folie : du sien ou des hommes en blanc ?

Une lecture insolite sur les rêveurs et autres fous épris d’imaginaire. Une ode à la rêverie et à l’imagination que j’ai dégusté à petites gorgées.

Prêté par ma fidèle copinaute LilyLit. Sa chronique à lire, juste ici.

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« D’ailleurs ce soir il est 21 heures, et je souris toujours. J’espère que je n’ai rien attrapé de grave. Ça n’arrive pas tous les jours de sourire aussi longtemps. Je verrai bien demain matin si les choses sont rentrées dans l’ordre. »

Francesco Pittau – Petit Garçon **

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Editions MeMo – Septembre 2019 – 72 pages

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Le héros de ce court roman est un petit garçon. Très petit. Trop pour son âge. Si petit que sa maman ne peut s’empêcher de l’appeler de façon horripilante « mon tout petit garçon ». Il a de drôles d’amis ; ce sont ses jouets. Quand le soleil pointe le bout de son nez, il aime être dehors, à regarder l’herbe pousser et discuter avec les fourmis.

Parfois, il lui arrive de drôles d’aventures… Comme ce matin où son reflet dans le miroir a changé. Ne se reconnaissant plus, il se met en quête de son reflet dans toute la maison et dans la ville. Et puis, un autre matin, il se réveille dans la peau d’une mouche

Un roman adorable aux allures de conte moderne, où l’imagination et la folie douce sont reines. Un petit garçon qui évolue dans un monde façonné par son imagination débridée ; un monde aux couleurs de l’enfance. On ne peut que s’attacher à cet enfant que nous avons tous été, qui fait des voyages incroyables sans jamais quitter sa chambre – à bord de son avion à piles ou de son bateau à voile, où même à l’intérieur de son propre dessin.

Une lecture faite le sourire aux lèvres, ravie par tant de folie, tant d’enfance. Seul petit bémol : j’ai eu du mal à accrocher aux dessins… Ils n’ont pas réussi pour moi à refléter la saveur des mots de Francesco Pittau.