Jeanne Benameur – Otages intimes **

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Éditeur : Actes Sud – Date de parution : août 2015 – 191 pages

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Etienne, photographe de guerre, revient vivre chez sa mère, dans son village natal, après plusieurs mois de captivité… Il retrouve Enzo, le fils de l’Italien et Jofranka, « la petite qui vient de loin » ; ils ont passé leur enfance ensemble, ils étaient inséparables. Jofranka est partie à La Haye, où elle a choisi de consacrer sa vie aux femmes détruites par les violences des guerres, de les défendre. L’enfant abandonnée qu’elle est a trouvé en Etienne et Enzo ses frères de cœur. Tous trois avaient prêté serment de ne jamais se quitter…

Au contact de la nature et de ses amis d’enfance, Etienne va chercher à se retrouver, à se libérer de ce sentiment de captivité qui lui colle à l’âme. Comment revenir au présent ? Quelle liberté possible ? Avec talent, l’auteure nous offre l’intériorité de cet homme en perte de repères, qui semble avoir à tout réapprendre.

Jeanne Benameur questionne de façon terriblement juste la part d’otage en chacun de ses personnages, en chacun de nous. C’est avec délice que j’ai retrouvé son écriture soyeuse et poétique. Une écriture qui dit toute la puissance des mots, leur façon de blesser, de libérer.

Si au début je suis restée un peu extérieure à l’histoire, peu a peu je me suis imprégnée de ce récit et les mots m’ont touchée. Néanmoins, ce n’est pas mon roman préféré de l’auteure – Profane reste celui qui m’a le plus percutée.

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« Cela la rassérène de savoir que les livres l’attendent, qu’elle ne sera pas seule pour affronter sa propre pensée. »

« Cette nuit il fait à nouveau partie du monde, de ce monde puant la charogne où l’amour souffle quand même, ténu, tenace, dans les poitrines ignorées. »

« Faut-il qu’il y retourne ? Est-ce que sa vie, c’est cela ? Continuer à être celui qui porte témoignage, encore et encore, même si ses images sont pour le désert et qu’il crève un jour, comme un chien, seul au milieu de gens parlant une langue qu’il ne comprendra pas. »

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13ème roman lu pour le challenge 1% de la Rentrée Littéraire…

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Isabelle Monnin – Les Gens dans l’enveloppe ****

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Éditeur : JC Lattès – Date de parution : septembre 2015 – 379 pages

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Ce livre est composé de deux parties : le roman, puis l’enquête. L’auteur explique son séduisant projet dès les premières lignes…

« En juin 2012, j’achète sur Internet un lot de 250 photographies provenant toutes d’une même famille. De cette famille, je ne sais rien. Les photos m’arrivent dans une grosse enveloppe blanche quelques jours plus tard. L’enveloppe devient mon trésor. Dans l’enveloppe il y a des gens, à la banalité familière, bouleversante. Je décide de les inventer puis de partir à leur recherche. »

Le roman s’écrit à partir de cette enveloppe de photos. Aucune légende, aucune date, ce sont des photos orphelines. Cette mise en roman comporte trois parties : pour trois femmes, trois générations et trois abandons. Années 80, Laurence, l’enfant abandonnée par sa mère à l’âge de huit ans. Années 70, Michelle, la mère éprise de liberté, ne tenant pas en place. Qui veut vivre vite. Quel qu’en soit le prix. Années 90, Simone, alias mamie Poulet, au seuil de la mort, emporte ses souvenirs avec elle et s’abandonne à la mort.

Dans le roman, les personnages défilent un à un mais palpitent autour de Laurence, l’enfant abandonnée. Elle reste avec son père, le cœur brisé, dans un sentiment de total abandon. Elle passe ses vacances chez mamie Poulet, au camping. Une enfance marquée par l’absence d’une mère. « J’attends que ma vie commence » répète-t-elle.

L’auteur nous livre ensuite le récit de son enquête, sous la forme d’un journal, pour retrouver les personnes-personnages figurant sur les photos. Ces gens dans l’enveloppe qui l’intriguent et qu’elle a inventés. Il en ressort un très bel objet poétique qui se situe à la frontière de la fiction et de la réalité. A mesure que l’auteur rencontre ses Gens dans l’enveloppe, la fiction se fait l’écho du réel, entre étonnement et coïncidences. On la sent attachée à ses personnages, qu’elle protège de guillemets, avant de découvrir qui ils sont en réalité.

Comment la fiction devient recherche de soi. Car c’est aussi sa propre histoire, sa propre famille que la romancière cherche dans le miroir de ces photos.

J’ai beaucoup aimé la démarche de l’auteur, partir à la recherche de ces personnes qui sont devenues personnages grâce à son imagination. Ré-inventer le réel à partir de ces photos, parfois floues, imparfaites, mystérieuses… On découvre de très belles réflexions sur la fiction et les personnages : comment ils naissent, la part de nous-même que l’on y attache en tant qu’auteur. Et sur les souvenirs, la trace laissée par les photos.

C’est un texte très émouvant, qui sonne terriblement juste et qui m’a bouleversée. Isabelle Monnin sait mettre en mots les émotions ; il y a des passages entiers qui font écho en nous et résonnent de façon étonnamment familière, qui nous touchent de façon universelle. Ce livre est un trésor.

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Parallèlement à cette mise en roman des photos, il y a la mise en musique par Alex Beaupain… On retrouve un CD à la fin du bouquin. Je l’écoute tout en rédigeant ce billet… Mais je n’en dirai pas plus, je vous laisse le plaisir, si ce n’est déjà fait, de découvrir cette pépite littéraire et artistique. ❤

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« Le silence, c’est pour être certaine de bien tout entendre, une arme de sioux. Je regarde le ciel, j’écoute les nuages et la terre. Avec mes petits mocassins à perles, je m’aplatis sur le chemin et je stéthoscope le sol à l’affût de son retour. »

« Nos peaux sont des enveloppes qui entourent ce que nous sommes vraiment et qu’on ne verra jamais. »

« Les idées sont comme les enfants dès les toutes premières heures de leur existence : impossible d’envisager la vie sans elles. »

« Les romans sont des abris où retrouver les disparus. Ecrire c’est construire leur refuge… »

« Faut-il tout conserver pour ne rien perdre ? Où la mémoire commence-t-elle ? A la seconde d’après ? A celle d’avant, qui s’avance inexorablement vers le futur ? Y penser (je veux dire y penser vraiment, entrer dans la grotte de la pensée sans outil ni lampe de poche), c’est comprendre qu’il n’y a rien, pas de nord, pas de sud, ni d’ouest, pas de couleur, pas de passé, ni bleu ni froid, rien, sauf le monde, cette obstination émouvante et vaine qu’a le monde à rester le monde quand les gens sont partis. Il y a la beauté des paysages anciens. »

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12ème roman lu pour le challenge de la rentrée littéraire…

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Solomonica de Winter – Je m’appelle Blue ***

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Éditeur : Liana Levi – Date de parution : août 2015 – 236 pages

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Blue est une adolescente de treize ans très spéciale. Elle n’aime pas qu’on la touche car l’âme de la personne qui l’a touchée s’infiltre en elle. Elle est capable de tout transpercer du regard. Elle a vu Dieu. Elle a vu Satan. Quand elle avait huit ans, son père Ollie a braqué une banque pour éponger ses dettes. Il y a laissé sa peau… Ces dettes, il les a contractées auprès de James, un malfrat qui voulait s’emparer de son restaurant. A partir de ce moment-là, Blue ne parle plus. Plus un seul mot de franchit ses lèvres. Avant de mourir, son père lui offre un livre, Le Magicien d’Oz. Ce livre ne la quitte plus, il devient pour elle une drogue, un refuge contre le monde extérieur. Ce livre semble la maintenir en vie.

Le roman est construit sous la forme d’une narration à la première personne ; Blue raconte par le début son histoire au docteur. « Mais comme vous êtes mon docteur, je suppose que je suis obligée de vous dire mes secrets. Pourtant je ne les dirai pas tous. Juste assez pour vous faire cogiter. » Récit rétrospectif dans lequel l’adolescente explique par le début comment et pourquoi elle a décidé de tuer James. Depuis que son père est mort, Blue vit avec Daisy, sa mère accro à la coke. Elle appelle ses parents par leur prénom, ce qui est très déstabilisant. Cela crée distance et froideur, envers la mère surtout.

La voix de Blue est furieuse et acérée et le regard qu’elle porte sur le monde est sans concession et débordant d’imagination. Elle n’a qu’une obsession : venger la mort de son père.

C’est un roman âpre et brûlant qui se déroule à la façon d’un thriller. On est dans la tête de Blue, elle nous ouvre les portes de son âme, sans fard. Ses émotions sont à vifs, elle n’accepte pas la mort injuste de son père. Et sa relation au livre tourne vite à l’obsession« Cette histoire me hantait comme un beau rêve déconcertant. Jour et nuit. Et j’aimais cette sensation. » Ses propos sont empreints de haine, de folie, de détresse, mais aussi d’amour. Elle est prise entre le bien et le mal, et ne sait comment agir.

Une histoire palpitante, portée par une écriture maîtrisée et poétique. A la fin, on assiste à un tel coup de théâtre que j’en ai été choquée. Les dernières pages sont glaçantes, elles font littéralement froid dans le dos. C’est une lecture d’une violence inouïe. En fait, je ne m’attendais pas à une telle fin – elle m’a d’ailleurs rappelé l’univers d’Hitchcock. Elle remet en question toutes nos certitudes et elle est très déstabilisante

Ce livre est diabolique et je serais très curieuse de savoir ce que vous en avez pensé si vous l’avez lu !!

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« Mon seul passe-temps, mon seul espoir, c’était la lecture. (…) Vous voyez Docteur ? Je ne suis pas violente. Je ne suis pas meurtrière. Je suis amoureuse d’un livre. C’est tout. Il ne faut pas m’en vouloir. »

« C’était la voix de quelqu’un qui a trop aimé pour ressentir de la tristesse. Quelqu’un que je ne pourrais jamais aspirer à être. »

« On a tous un moment comme ça, où on se rend compte, en regardant sa vie, que rien ne sera plus jamais pareil. Pour moi, ce moment était arrivé. »

« Je savais que l’amour me ferait mourir jeune, me dévorerait et me recracherait, mais ça m’était égal, absolument égal. »

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11ème lecture dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire!

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Carole Martinez – La Terre qui penche ****

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Éditeur : Gallimard – Date de parution : 2015 – 365 pages

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Nous faisons la connaissance de Blanche, une enfant qui serait morte à l’âge de douze ans, en 1361. Le récit alterne entre la voix de son âme qui a vieillit et vécu tant de choses et la voix de son enfance qui nous raconte la petite fille que Blanche était, au présent de l’époque. Ces deux voix se font écho l’une à l’autre. La vieille âme ne se rappelle même plus les circonstances de sa mort tandis que la voix de l’enfance se rêve déjà femme libre.

Blanche est si petite que sa nourrice l’a surnommée son Oiselot, son Chardon, son Eau vive, sa Minute… « Et moi je suis sa Minute, le seul temps de bonheur qu’elle s’accorde. » Elle a les cheveux couleur de feu. Elle déteste son père, qui passe son temps à la battre avec sa badine, en la mettant en garde contre le diable, agile et filou. Elle passe ses nuits à raconter ses journées ; les mots s’échappent d’elle sans qu’elle puisse rien y faire. Blanche est éprise de liberté, elle veut apprendre à écrire, à broder son prénom en rouge sur sa petite chemise de coton blanc. Plus tard, elle aspire à devenir maîtresse d’elle-même.

Un matin, son père la fait se préparer et la mène à cheval, à travers les villages et les bois, pour la conduire au château des Murmures. Une fois arrivée sur cette terre qui penche et qui semble bruire de mystères, Blanche apprend qu’elle est destinée à épouser Aymon, un enfant simple d’esprit qui joue du pipeau, un innocent aux cheveux d’ange.

Ce roman nous offre une plongée dans un monde pétri de légendes, de contes… On y découvre la Loue, cette rivière tantôt calme, tantôt assassine qui joue les femmes amoureuses… On se perd dans des forêts épaisses et brumeuses, où les loups des sables nous guident.  On y croise la Dame verte et un cheval aux yeux d’azur… Chez Carole Martinez, les hommes sont des ogres et le Diable n’est jamais bien loin.

Le texte est émaillé de chansons, comptines et certains refrains reviennent pour rythmer les mots et les actions des personnages.

L’écriture est un rond de douceur, elle est somptueuse. J’ai du mal à trouver les bons mots pour décrire le ravissement que m’a procuré cette lecture ! Si les toutes premières pages m’ont déroutée, je n’ai plus pu me défaire de l’histoire ensuite. On découvre une écriture sensible, éminemment poétique, enveloppante. Les mots agissent sur nous comme un baume à l’âme.

On (re)découvre le monde à travers ces yeux d’enfant. La réalité devient merveilleuse et fantasmatique. Elle n’est pas une, elle est mouvante et se part des atours du conte, elle lui emprunte sa malice mais aussi sa cruauté. Ce roman est juste sublime, c’est une ode à l’enfance et à l’imagination. Il y a une telle douceur et à la fois une telle fougue dans ce récit, c’est un véritable enchantement.

En bref, vous l’aurez compris, c’est un coup de cœur !

(Un peu triste d’avoir à rendre le livre à la bibliothèque, je l’aurais bien gardé avec moi pour en relire certains passages…!)

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« L’enfant est un dévorant qui avalerait le monde, si le monde était assez petit pour se laisser saisir. »

« La nuit tombe plus vite en forêt qu’ailleurs, le soleil n’est pas couché encore, mais il fatigue, et sa lumière rasante ne parvient déjà plus aussi bien à se frayer un passage entre les feuilles et les troncs. L’humidité gagne, la brume gomme les reliefs, brouille les distances, voile les couleurs. Les êtres du jour s’effaceront bientôt, tandis que surgiront d’autres bêtes, ces créatures plus mystérieuses qui s’emparent du silence des bois dès que le jour n’est plus. C’est ce moment entre chien et loup où tout se tait. »

« Le ciel, trop lourd, ploie, il dégringole et se prend dans les branches. Les nuages piégés peinent à regagner la voûte céleste. Aymon grimpe dans tous les arbres pour tenter de les libérer. Aymon, mon chasseur de brouillard, mon grand souffleur de brumes, essaye de réparer les nuées déchirées. »

« Je suis mûre pour l’amour, je ressens cette joie qu’on éprouve à n’être qu’une part de quelque chose de plus vaste. »

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10ème roman lu pour le challenge de la rentrée littéraire…

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Christian Bobin – Noireclaire ***

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Éditeur : Gallimard – Date de parution : 2015 – 74 pages

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Noireclaire est un court récit se déroulant comme un long poème. L’auteur de ces mots s’adresse à la femme qu’il a aimée, morte il y a vingt ans. Il ne s’agit, là encore, pas d’un roman à proprement parler, puisque le texte nous offre une suite de réflexions, de pensées et de regards sur le monde, où l’écriture se mêle à la nature…

Le narrateur évoque la femme aimée en convoquant ses souvenirs, il nous donne à voir les petits détails d’une vie. Des phrases si belles – comme des haïkus – que je me suis surprise à les relire plusieurs fois pour en ressentir chaque mot.

Après le coup de cœur que j’avais eu pour Tout le monde est occupé, j’ai pris beaucoup de plaisir à retrouver l’écriture très épurée de Christian Bobin.

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« Violente femme douce, j’ai perdu le nom de ton parfum mais je me souviens des drames qui en faisaient l’essence. »

« J’ai vingt ans, je marche dans une rue plus longue que la muraille de Chine. A chaque pas je sens dans mes poumons les cristaux du néant. La nuit ma chambre flotte dans les airs. J’écoute le craquement des livres entassés. »

« Quand le téléphone a sonné, je buvais un café. Je n’ai pas compris ce qu’on me disait. Cela fait vingt ans que le café est brûlant et que j’attends pour le boire. »

« Je cherche ton visage comme on cherche l’interrupteur dans le noir. »

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9ème roman lu pour le challenge…

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Delphine de Vigan – D’après une histoire vraie ***

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Éditeur : JC Lattès – Date de parution : août 2015 – 478 pages

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Il m’attendait bien sagement dans ma PAL depuis quelques mois, ce roman dont tout le monde parle… J’ai entendu tellement d’avis divergents que j’avais hâte de me faire mon propre avis sur la chose ! J’aime beaucoup la plume de Delphine de Vigan et son avant-dernier roman, Rien ne s’oppose à la nuit, était un immense coup de cœur pour moi. Elle y mettait en scène le personnage de sa mère.

Quelques mois après la parution de son roman Rien de n’oppose à la nuit, qui a connu un succès monstre auquel elle ne s’attendait pas du tout, Delphine fait la rencontre de L. Une rencontre qui va complètement bouleverser son petit univers à un moment où l’auteur ne parvient pas à faire face à « l’après best-seller », peu à peu elle n’arrive plus à écrire… Parallèlement, Delphine se met à recevoir à son domicile des lettres anonymes et menaçantes, tapées à la machine à écrire. Dans ces lettres, on lui reproche d’avoir sali son nom et sa famille…

Dès les premiers mots, on ressent la tension psychologique. On sent l’orage qui couve. L. est un personnage terriblement énigmatique. Le fait qu’elle soit désignée par une seule lettre renforce l’énigme. On se pose une foule de questions : qui est-elle – qui est L. ? D’où sort-elle ? Delphine de Vigan met en scène l’histoire de cette rencontre, de cette amitié qui devient (trop) vite indispensable. Une amitié poison, qui réveille au bout d’un moment la suspicion de l’auteur. L. semble tout connaître d’elle, même les choses les plus intimes, elle est dotée d’une telle intuition que ça en devient troublant. Dans cette amitié spéciale, l’auteur s’interroge beaucoup sur la relation à l’autre, une altérité qui lui ressemble.

Au fil des mots, on découvre de belles réflexions sur l’écriture, les personnages, la fiction et ses relations étroites avec le réel. Autant de thèmes qui me plaisent énormément.

« Il fallait en découdre avec le réel »Entre réalité et fiction, on ne saurait dire où l’auteur souhaite nous amener. Elle semble se jouer de l’argument « inspiré de faits réels » qui s’invite maintenant dans la publicité de nombreux films et romans. Mais au fond, est-ce vraiment cela qui compte, que ça soit réel ? La fiction n’aurait donc plus d’avenir ?

Qu’il s’agisse dans ce bouquin de la réalité ou que tout ne soit que pure invention, car c’est une question que l’on peut se poser, je dois dire que sincèrement je n’en ai rien à faire. Je pense d’ailleurs que tout l’intérêt du roman réside au-delà. L’auteur semble d’ailleurs se jouer de nous… Pour citer certains passages : « Et je nous mets au défi – vous, moi, n’importe qui – de démêler le vrai du faux. » ou encore « – Que la vie qu’on raconte dans les livres soit vraie ou qu’elle soit fausse, est-ce que c’est si important ? » 

C’est avec plaisir que j’ai retrouvé la plume de Delphine de Vigan. Elle a une maîtrise des mots et des émotions qui me souffle à chaque fois.

La tension monte au fil des pages.. Dans les dernières pages, c’est l’angoisse qui s’installe, comme un étau qui se resserre. L’écriture fluide se déverse et on engloutit les pages les unes après les autres. On a envie de savoir le fin mot de l’histoire. Un récit très habilement construit.

Un thriller littéraire terriblement prenant, où la fiction et la réalité s’entremêlent dangereusement.

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« Mais toute écriture de soi est un roman. Le récit est une illusion. Il n’existe pas. Aucun livre ne devrait être autorisé à porter cette mention. »

« Mais tu sais, je ne suis pas sûre que le réel suffise. Le réel, si tant est qu’il existe, qu’il soit possible de le restituer, le réel, comme tu dis, a besoin d’être incarné, d’être transformé, d’être interprété. Sans regard, sans point de vue, au mieux, c’est chiant à mourir, au pire c’est totalement anxiogène. Et ce travail-là, quel que soit le matériau de départ, est toujours une forme de fiction. »

« Comment déchiffrer les traces de l’enfant sur la peau des adultes que nous prétendons être devenus ? Qui peut lire ces tatouages invisibles ? Dans quelle langue sont-ils écrits ? Qui est capable de comprendre les cicatrices que nous avons appris à dissimuler ? »

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8ème roman lu pour le challenge.

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Marcello Fois – Cris, murmures et rugissements ***

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Éditeur : Seuil – Date de parution : septembre 2015 – 149 pages

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Je trouve la quatrième de couverture tellement belle que je me sens obligée de la citer : « A la mort de leur père, Marinella et Alessandra se retrouvent dans l’appartement de leur enfance. Avec ses murs verts et ses recoins mystérieux, il évoque une jungle où résonnent des cris d’animaux sauvages. C’est le cadre idéal pour un règlement de compte entre ces sœurs jumelles que le deuil révèle telles qu’elles sont vraiment : deux prédatrices assoiffées de vérité et de vengeance. Mais il n’est pas dit que la plus forte parvienne à l’emporter. Haletant et bouleversant, ce huis clos met en scène deux femmes écorchées par la vie, enfin parvenues à a croisées des chemins. »

Marinella et Alessandra ont été abandonnées par leur père à l’âge de huit ans. C’est en revenant dans cet appartement quarante ans plus tard que les blessures du passé resurgissent. Il est question de haine, de mémoire familiale, d’amour aussi, malgré tout.

Ce court roman a des allures de pièce de théâtre : unité de temps, unité de lieu ; les dialogues entre les deux sœurs, qui montent en intensité. Il y a une telle férocité dans les propos qu’elles s’échangent, une telle hargne… Leurs mots sont ponctués par les cris d’animaux, les bruissements primitifs, imaginaires ou réels, qui résonnent dans l’appartement.

Si le texte est au début déstabilisant, il fini par s’en dégager une force singulière. J’ai beaucoup aimé les métaphores animales qui se glissent dans le texte pour décrire les faits et gestes des deux sœurs. Ces deux sœurs qui ressemblent à deux fauves

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« Elles gardent le silence un moment. Dans l’appartement, on n’entend que les lointains cris d’hyènes affamées dans les tuyaux et, dans les radiateurs, les sifflements de serpents venimeux. »

« C’est alors que se répandit le son du silence qui n’est autre que le battement assourdissant du sang dans les tempes ; qui est le soufflet d’une respiration haletante ; qui est la systole et la diastole de la pulsation des tympans. Comme un bruit de tambour dans la savane… »

« Marinella pensa qu’elle n’avait jamais réussi à aimer quelqu’un autant qu’elle avait aimé Alessandra, parce qu’elle n’avait jamais détesté quelqu’un autant qu’elle l’avait détesté… De tout son être. »

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7ème roman de la rentrée littéraire.

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Paolo Giordano – Les humeurs insolubles **

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Éditeur : Seuil – Date de parution : octobre 2015 – 136 pages

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Ce court roman italien débute par l’annonce de la mort de Madame A. Elle était la servante au grand cœur, elle a élevé le petit Emanuele et materné ses parents pendant des années avant de tomber malade. Le récit alterne le présent de l’annonce et le passé, les souvenirs des moments passés auprès de Madame A., jusqu’à sa mort. A travers le récit de la vie de cette femme différente des autres et terriblement dévouée, se dessine l’histoire d’un couple.

De Paolo Giordano, j’avais bien aimé La solitude des nombres premiers. Mais j’avoue avoir été déçue par cette seconde lecture, qui m’a procuré par moment un ennui profond… L’écriture reste belle, mais il m’a clairement manqué quelque chose pour m’attacher aux personnages qui demeurent sans épaisseur, et me sentir vraiment touchée par l’intrigue. Dans les dernières pages, il y a comme un soubresaut, et les mots de la fin m’ont plu.

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« Il existe des aventures dont l’épilogue est écrit dès le début. Y a-t-il quelqu’un, madame A. incluse, pour penser qu’il en irait autrement ? »

Livre lu dans le cadre du Challenge 1% Rentrée Littéraire!

Voilà j’ai atteint mon objectif des 1% !! Mais j’ai d’autres lectures de la rentrée littéraire qui sont prévues, donc le fameux Delphine de Vigan… 😀 Je le laisse encore un peu mijoter…

6/6

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Astrid Manfredi – La petite barbare ***

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Éditeur : Belfond – Date de parution : août 2015 – 153 pages

Présentation de l’éditeur : « En détention on l’appelle la Petite Barbare ; elle a vingt ans et a grandi dans l’abattoir bétonné de la banlieue. L’irréparable, elle l’a commis en détournant les yeux. Elle est belle, elle aime les talons aiguilles et les robes qui brillent, les shots de vodka et les livres pour échapper à l’ennui. Avant, les hommes tombaient comme des mouches et elle avait de l’argent facile. En prison, elle écrit le parcours d’exclusion et sa rage de survivre. En jetant à la face du monde le récit d’un chaos intérieur et social, elle tente un pas de côté. Comment s’émanciper de la violence sans horizon qui a fait d’elle un monstre ? Comment rêver d’autres rencontres et s’inventer un avenir ? »

***

 

La narratrice, dont on ne connait pas le nom, mais qui se fait appeler « la Petite Barbare », est en prison. A l’isolement pour six mois. Peu à peu, le texte nous révèle pourquoi et comment elle s’est retrouvée là. Elle raconte son enfance en quelques mots, son adolescence. La cité, les mauvaises fréquentations, la drogue, le sexe et l’argent facile…

« Je suis née belle à pleurer un jour de grand froid et d’arbres morts, de parents enterrés avant d’avoir commencé. Ils m’ont légué leur vie, leurs mauvais films et leurs fins de mois difficiles. Il paraît qu’on peut en guérir. C’est loin d’être sûr. »

Le verbe est cru, le regard désillusionné et blasé. Sans appel, sans espoir. Et au milieu de tout ça, elle aime lire. Lire et écrire. Elle découvre la poésie avec Henri Michaux. Elle lit Boris Vian et elle découvre Marguerite Duras avec L’Amant, qu’elle lit et relit, qui lui donne envie d’écrire. Ecrire pour exorciser ses démons et pour oublier les quatre murs qui la retiennent. « Parce qu’il faisait soif et qu’il fallait bien crever les poches de gris, j’ai appris encore un peu plus la littérature. J’aime ça, j’ai toujours aimé ça, lire. J’espère que ça ne me grillera pas trop dans la cité. Je ne veux pas qu’on pense que je suis de la haute, mais il faut que je la finisse, cette putain d’histoire. »

On découvre une verve puissante, et une écriture aussi tranchante que la lame d’un rasoir. En effet, la narratrice n’a pas sa langue dans sa poche et on sent dans ses mots une soif de vivre, une rage contre le monde dans lequel elle a grandit et un désir de s’en sortir. Le ton est mordant, ironique et désabusé. L’auteur joue avec le langage dans ce texte presque « slamé », et c’est tour à tour un plaisir et un coup de poing que l’on se prend.

***

« Mais je ne pleure plus, je suis devenue un bout du Sahara. »

« J’ai huit ans. Le temps passe comme le jambon dans la trancheuse du charcutier. On a huit tranches et on n’a rien remarqué. Drôle de métier. »

« Je m’en fous de respirer, je veux mourir essoufflée. Du bruit et de la fureur, voilà ce qui germe dans le cœur de mon cœur. Ça gronde, c’est un orage et aucun présentateur météo ne pourra prédire où il va s’abattre. »

« Avancer coûte que coûte, voir la mer grise. Contempler cette étendue qui nous rappelle qu’il ne faut pas déconner, qu’il y a plus grand que nous, qu’on n’est rien que des microbes vaniteux agrippés à tout ce qui finira par crever. Nous les premiers. »

« Un bouquin c’est pas le paradis, c’est un ciel en flammes. »

 

Livre lu dans le cadre du Challenge 1% Rentrée Littéraire!

5/6

challenge rl jeunesse

Pascal Manoukian – Les échoués ***

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Éditeur : Don Quichotte – Date de parution : août 2015 – 297 pages

4ème de couverture : « 1992. Lampedusa est encore une petite île tranquille et aucun mur de barbelés ne court le long des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Virgil, le Moldave, Chanchal, le Bangladais, et Assan, le Somalien, sont des pionniers. Bientôt, des millions de désespérés prendront d’assaut les routes qu’ils sont en train d’ouvrir.
Arrivés en France, vivants mais endettés et sans papiers, les trois clandestins vont tout partager, les marchands de sommeil et les négriers, les drames et les petits bonheurs. »

***

Ce premier roman de Pascal Manoukian, nous raconte le destin de trois clandestins, au début des années 90. Trois hommes qui ont fui un pays de malheur pour chercher un monde meilleur, plus au Nord, plus à l’Ouest. Trois hommes qui ont échoué en France, en espérant y trouver une vie meilleure. Ils sont Moldave, Bangladais, Somalien. Ils s’appellent Virgil, Chanchal, Assan.

La voix d’un narrateur omniprésent et omnipotent nous raconte leur traversée, leur périple pour atteindre la terre promise et surmonter les obstacles. « Comment témoigner de ces neuf mois de route, de ces blessures à jamais ouvertes, des humiliations, de ce monde empreint de lâcheté, de violence, du manque d’humanité, de cette négation de la vie… »

S’ils font face à l’inhumanité la plus totale durant leur périple, sous le joug de la barbarie, frôlant la mort, ils font également de belles rencontres, lumineuses, qui les changeront à jamais.

Une écriture sobre, qui met à distance la douleur des personnages, leur calvaire, leurs souffrances. Une écriture dénuée de tout pathos et qui n’est jamais larmoyante.

Un roman très fort et touchant, un de ceux dont on ne sort pas indemne, les oreilles bourdonnantes et les pensées en émoi. Virgil, Chanchal et Assan, personnages très attachants, ne s’estomperont pas de sitôt de ma mémoire… L’auteur trouve les mots justes et porte un regard terriblement intelligent et lucide sur l’état du monde à l’aube du XXIème siècle. 

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« Aujourd’hui encore, il ne trouve aucun mot dans aucune langue, aucun dictionnaire, pour décrire ce que furent ces dix-huit jours de traversée, ces deux cent quatre-vingt-seize kilomètres qui séparent l’Afrique sans espoir de l’Europe de toutes les attentes. »

« En voulant mettre si peu de barrières à l’islam, Assan pensait qu’on prenait le risque de laisser les fous et les barbares parler en son nom. En Afghanistan, en Somalie, ils décapitaient et lapidaient déjà, invoquant une religion que lui ne reconnaissait plus. Partout, ces attardés réclamaient le sang au nom du saint Coran, s’essuyant les pieds sur la foi de millions de musulmans comme lui, les désignant du doigt aux frontières, aux aéroports, aux entretiens d’embauche. »

Livre lu dans le cadre du Challenge 1% Rentrée Littéraire!

4/6

challenge rl jeunesse