Baptiste Beaulieu – Alors vous ne serez plus jamais triste ***

Livre de Poche – 2016 – 287 pages

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C’est l’histoire d’un conte à rebours. C’est l’histoire d’un docteur qui, depuis la mort de sa femme, est devenu un homme en noir et blanc. Un docteur qui a décidé de mettre fin à ses jours. Un docteur qui va rencontrer une vieille femme qui l’attend dans son taxi et qui va lui proposer un singulier marché : repousser son suicide de 7 jours et lui laisser diriger le programme de ces 7 jours à sa guise. Elle porte un nom abracadabrant et a une personnalité toute aussi farfelue ; sa vie ressemble à une fiction. Et elle va tout tenter pour le faire changer d’avis – lui redonner goût à la vie. Le docteur n’a plus rien à perdre, alors il accepte.

Une lecture on ne peut plus originale, dont les pages sont numérotées de façon décroissante. Une lecture qui m’a embarquée, page après page dans sa folie douce. Entre poésie et ironie grinçante.

« Dehors, les flocons dansaient comme le lait dans un thé très noir. On aurait pu téter la peau du ciel nocturne et s’en trouver immensément heureux, tel un nouveau-né collé au ventre de sa mère. »

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Miguel Bonnefoy – Sucre noir ***

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Rivages Poche – 2019 – 176 pages

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C’est l’histoire d’un navire de pirates qui fait naufrage en plein milieu d’une forêt tropicale. Des Européens naufragés en plein coeur des Caraïbes. C’est l’histoire d’un capitaine fou agrippé à son trésor… jusqu’à la mort.

Dans le petit village qui voit le jour pas loin du naufrage, la légende du trésor du capitaine Henry Morgane va infuser et se propager dans les esprits ; les explorateurs et chercheurs d’or se succèdent pour espérer mettre la main sur le butin. Tous passeront par la ferme de la famille Otero et leur plantation de canne à sucre. Parmi eux, Severo Bracamonte, dont la motivation égale la laideur. Il propose a la famille Otero de lui offrir le gîte le temps qu’il trouve le trésor ; il leur promet de leur en donner une partie.

Au début, Serena ne supporte pas cet homme avide et fasciné par l’or. Si Severo fouille la terre à la recherche d’or, Serena la fouille à la recherche de trésors végétaux ; passionnée de botanique, elle récolte, confectionne des herbiers, réalise des croquis et se sent à sa place. Deux êtres que tout sépare et qui, pourtant, vont se trouver.

La beauté de l’écriture m’a tout de suite saisie ; imagée et poétique – chargée de couleurs et de saveurs – elle nous offre un aller simple pour les Caraïbes. Je me suis laissée transporter par le talent de conteur de Miguel Bonnefoy sur ces terres où le destin s’abat cruellement et où la richesse se révèle trompeuse… Sucre noir est un conte terrible, qui oscille sans cesse entre noirceur et luminosité et qui nous ferre du premier au dernier mot.

Francesco Pittau – Petit Garçon **

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Editions MeMo – Septembre 2019 – 72 pages

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Le héros de ce court roman est un petit garçon. Très petit. Trop pour son âge. Si petit que sa maman ne peut s’empêcher de l’appeler de façon horripilante « mon tout petit garçon ». Il a de drôles d’amis ; ce sont ses jouets. Quand le soleil pointe le bout de son nez, il aime être dehors, à regarder l’herbe pousser et discuter avec les fourmis.

Parfois, il lui arrive de drôles d’aventures… Comme ce matin où son reflet dans le miroir a changé. Ne se reconnaissant plus, il se met en quête de son reflet dans toute la maison et dans la ville. Et puis, un autre matin, il se réveille dans la peau d’une mouche

Un roman adorable aux allures de conte moderne, où l’imagination et la folie douce sont reines. Un petit garçon qui évolue dans un monde façonné par son imagination débridée ; un monde aux couleurs de l’enfance. On ne peut que s’attacher à cet enfant que nous avons tous été, qui fait des voyages incroyables sans jamais quitter sa chambre – à bord de son avion à piles ou de son bateau à voile, où même à l’intérieur de son propre dessin.

Une lecture faite le sourire aux lèvres, ravie par tant de folie, tant d’enfance. Seul petit bémol : j’ai eu du mal à accrocher aux dessins… Ils n’ont pas réussi pour moi à refléter la saveur des mots de Francesco Pittau.

Haruki Murakami – Le Meurtre du Commandeur – Livre 1 ***

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Belfond – octobre 2018 –  456 pages

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Quand sa femme Yuzu lui annonce qu’elle veut divorcer, le narrateur, un peintre trentenaire en mal d’inspiration, devenu malgré lui portraitiste, prend sa voiture et se met à sillonner le Japon, de part en part. Sa voiture finit par rendre l’âme et il s’installe dans une maison isolée sur une montagne, dont le propriétaire est Tomohiko Amada, un artiste de génie. C’est une maison coupée du monde, sans réseau, entourée de forêts… Une maison dans laquelle, étrangement, aucun tableau n’orne les murs. Et dans laquelle il sent comme une présence. Pour ne pas perdre la boule avec cette solitude, il donne des cours dans une petite école d’art en ville.

Le peintre passe ses soirées sur la terrasse, à fixer les étoiles. Sur la montagne en face, une autre demeure fastueuse, et un homme assis de la même façon que lui, perdu dans ses pensées, ou dans la contemplation du ciel. Qui est-il ? Il l’apprendra bien assez tôt : c’est monsieur Menshiki, qui est prêt à débourser une somme astronomique pour qu’il réalise son portrait. Un homme énigmatique à la chevelure blanche qui suscite bien des rumeurs… Et qu’il ne parvient pas au début à peindre ; quelque chose en cet homme résiste à la représentation.

Après la découverte dans le grenier d’une toile inédite de Tomohiko Amada, soigneusement enveloppée dans du papier – Le Meurtre du Commandeur – des événements pour le moins étranges commencent à se produire… Comme si quelque chose s’était déplacé, comme si un autre monde s’était entrouvert ; le narrateur semble avoir basculé de l’autre côté du miroir. Le frontière entre réel et irréel devient de plus en plus poreuse, incertaine.

Un roman hypnotique qui m’a happée dès les premiers mots : du pur Murakami, comme je les aime. Un roman qui rappelle Le Portrait de Dorian Gray, mais aussi Alice au pays des merveilles… Un pied dans le monde réel, et l’autre dans l’univers du conte et de la fantasmagorie. Ce premier tome est étrange et fascinant à souhait ; Murakami interroge et explore la part d’ombre en chacun de nous… Et on le referme avec l’envie irrépressible de se jeter sur la suite. ❤

Frankenstein à Bagdad ***

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Le Livre de Poche – 2017 – 448 pages

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Bagdad, printemps 2005. Dans le quartier de Batawin, Hadi le chiffonnier récupère des fragments de corps abandonnés sur les lieux de différents attentats pour les coudre ensemble et reconstituer un corps… Corps qui va disparaître quelques jours plus tard.

Il raconte ensuite que la mystérieuse créature qu’il a fabriquée – et qu’il nomme « Trucmuche » – a pris vie et qu’elle écume les rues pour venger les victimes dont elle est constituée. Sa réputation d’affabulateur n’étant plus à faire, personne ne le croit au début… Jusqu’à ce que le journaliste Mahmoud se penche sur l’affaire.

C’est aussi l’histoire d’Elishua, Oum Daniel, qui pleure toujours son fils disparu il y a des années, jamais revenu d’une guerre. C’est l’histoire également de ce gardien renversé par une voiture piégée, dont l’âme se balade sans corps

Un synopsis séduisant et prometteur qui tient ses promesses.

A la fois conte réaliste et fantasmagorique, ce roman terriblement prenant nous remue et nous émeut ; cette lecture aux multiples visages m’a fascinée. Le Trucmuche est une figure symbolique très forte ; à la fois victime et bourreau, ce Frankenstein irakien, aussi nommé le « Sans-Nom », symbolise un pays, entre crises et contradictions. « Je vengerai les innocents qui n’ont d’autres secours que les frémissements de leur âme qui en appelle à refouler la mort et à l’entraver. »

Bertrand Santini – Hugo de la nuit ***

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Editeur : Grasset Jeunesse – Date de parution : avril 2016 – 224 pages

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« Il aurait dû ressentir de la peur, de la terreur même, à planer au-dessus du monde dans les bras d’un fantôme. Hugo n’éprouvait pourtant qu’un sentiment d’abandon, tout au plus teinté d’une vague appréhension. »

Mais comment Hugo s’est-il retrouvé dans cette situation ? Sa mère est une célèbre romancière et son père un scientifique qui se passionne pour les plantes et la botanique. Ils possèdent le cimetière Dorveille. Un jour, on découvre qu’il abrite un puits de pétrole… La nouvelle se propage à toute allure et fait des envieux. Des gens mal intentionnés commencent à leur en vouloir. Par une chaude nuit d’été, après avoir plaisanté avec son oncle Oscar, Hugo descend à la cuisine et tombe sur un homme cagoulé…

Un roman très étrange, regorgeant d’humour et profondément poétique. Surprenant aussi, teinté de violence et qui fait preuve en même temps d’une grande douceur. Certains passages burlesques m’ont fait penser à l’univers de Tim Burton ou à celui de Lewis Carrol, on y rencontre de drôles de fantômes et d’inquiétants zombies. Un joli conte qui dévoile peu à peu son jeu, dont je ne peux rien révéler d’autre sous peine de vous en gâcher le plaisir !

Il suffit simplement de se laisser porter par l’écriture délicieuse de l’auteur, à la fois drôle et grave, sensible et percutante. Entre rêve et réalité, Bertrand Santini nous promène à travers une série de rebondissements et de révélations assez étonnantes.

Frank Lyman Baum – Le Magicien d’Oz **

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Éditeur : Pocket – Date de parution : 2013 [1900] – 176 pages

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C’est l’héroïne de Solomonica de Winter, Blue, qui m’a donné envie de lire ce petit livre pour la jeunesse, dont j’ai toujours entendu parler, sans jamais l’avoir lu… C’est un livre qui l’obsède, qu’elle lit et relit et qui lui sert de refuge contre le monde extérieur. J’aime quand la lecture de livres nous amène à en lire d’autres, ces ponts d’un livre à un autre.

Dorothy vit dans une ferme du Kansas avec oncle Henry et tante Em, et passe ses journées à jouer avec son petit chien Toto… Jusqu’à ce qu’un cyclone soulève la maison et l’emporte dans un curieux pays, où tout est beau et luxuriant… Pour avoir une chance de rentrer chez elle, Dorothy doit se rendre à la Cité d’Émeraude – qui est si éclatante que ses habitants doivent chausser des lunettes aux verres verts pour se protéger les mirettes – où vit le magicien d’Oz, qui semble être autant craint qu’admiré. Pour se rendre là-bas, elle doit traverser des contrées rudes et dangereuses. Elle fera de belles et curieuses rencontres : l’Épouvantail, le Bûcheron de Fer-blanc, le Lion Froussard…

Un livre aux personnages attachants, dont le parcours de l’héroïne m’a rappelé celui d’Alice aux pays des merveilles. Mais c’est une histoire à laquelle il manque un certain grain de folie, et que j’oublierai relativement vite… Dans le genre, j’ai préféré l’univers de Lewis Carroll.

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« Moi, je préfère un cœur, répliqua le Bûcheron de Fer-blanc, parce qu’un cerveau n’a jamais rendu personne heureux, et le bonheur est la meilleure chose au monde. »

Carole Martinez – La Terre qui penche ****

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Éditeur : Gallimard – Date de parution : 2015 – 365 pages

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Nous faisons la connaissance de Blanche, une enfant qui serait morte à l’âge de douze ans, en 1361. Le récit alterne entre la voix de son âme qui a vieillit et vécu tant de choses et la voix de son enfance qui nous raconte la petite fille que Blanche était, au présent de l’époque. Ces deux voix se font écho l’une à l’autre. La vieille âme ne se rappelle même plus les circonstances de sa mort tandis que la voix de l’enfance se rêve déjà femme libre.

Blanche est si petite que sa nourrice l’a surnommée son Oiselot, son Chardon, son Eau vive, sa Minute… « Et moi je suis sa Minute, le seul temps de bonheur qu’elle s’accorde. » Elle a les cheveux couleur de feu. Elle déteste son père, qui passe son temps à la battre avec sa badine, en la mettant en garde contre le diable, agile et filou. Elle passe ses nuits à raconter ses journées ; les mots s’échappent d’elle sans qu’elle puisse rien y faire. Blanche est éprise de liberté, elle veut apprendre à écrire, à broder son prénom en rouge sur sa petite chemise de coton blanc. Plus tard, elle aspire à devenir maîtresse d’elle-même.

Un matin, son père la fait se préparer et la mène à cheval, à travers les villages et les bois, pour la conduire au château des Murmures. Une fois arrivée sur cette terre qui penche et qui semble bruire de mystères, Blanche apprend qu’elle est destinée à épouser Aymon, un enfant simple d’esprit qui joue du pipeau, un innocent aux cheveux d’ange.

Ce roman nous offre une plongée dans un monde pétri de légendes, de contes… On y découvre la Loue, cette rivière tantôt calme, tantôt assassine qui joue les femmes amoureuses… On se perd dans des forêts épaisses et brumeuses, où les loups des sables nous guident.  On y croise la Dame verte et un cheval aux yeux d’azur… Chez Carole Martinez, les hommes sont des ogres et le Diable n’est jamais bien loin.

Le texte est émaillé de chansons, comptines et certains refrains reviennent pour rythmer les mots et les actions des personnages.

L’écriture est un rond de douceur, elle est somptueuse. J’ai du mal à trouver les bons mots pour décrire le ravissement que m’a procuré cette lecture ! Si les toutes premières pages m’ont déroutée, je n’ai plus pu me défaire de l’histoire ensuite. On découvre une écriture sensible, éminemment poétique, enveloppante. Les mots agissent sur nous comme un baume à l’âme.

On (re)découvre le monde à travers ces yeux d’enfant. La réalité devient merveilleuse et fantasmatique. Elle n’est pas une, elle est mouvante et se part des atours du conte, elle lui emprunte sa malice mais aussi sa cruauté. Ce roman est juste sublime, c’est une ode à l’enfance et à l’imagination. Il y a une telle douceur et à la fois une telle fougue dans ce récit, c’est un véritable enchantement.

En bref, vous l’aurez compris, c’est un coup de cœur !

(Un peu triste d’avoir à rendre le livre à la bibliothèque, je l’aurais bien gardé avec moi pour en relire certains passages…!)

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« L’enfant est un dévorant qui avalerait le monde, si le monde était assez petit pour se laisser saisir. »

« La nuit tombe plus vite en forêt qu’ailleurs, le soleil n’est pas couché encore, mais il fatigue, et sa lumière rasante ne parvient déjà plus aussi bien à se frayer un passage entre les feuilles et les troncs. L’humidité gagne, la brume gomme les reliefs, brouille les distances, voile les couleurs. Les êtres du jour s’effaceront bientôt, tandis que surgiront d’autres bêtes, ces créatures plus mystérieuses qui s’emparent du silence des bois dès que le jour n’est plus. C’est ce moment entre chien et loup où tout se tait. »

« Le ciel, trop lourd, ploie, il dégringole et se prend dans les branches. Les nuages piégés peinent à regagner la voûte céleste. Aymon grimpe dans tous les arbres pour tenter de les libérer. Aymon, mon chasseur de brouillard, mon grand souffleur de brumes, essaye de réparer les nuées déchirées. »

« Je suis mûre pour l’amour, je ressens cette joie qu’on éprouve à n’être qu’une part de quelque chose de plus vaste. »

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10ème roman lu pour le challenge de la rentrée littéraire…

challenge rl jeunesse