Édouard Louis – Combats et métamorphoses d’une femme ***

Éditions Points – 2021 – 116 pages

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« Ton histoire est celle d’un être qui luttait pour avoir le droit d’être une femme, contre la non-existence que t’imposaient ta vie et la vie avec mon père. »

Dans ce très court récit, Édouard Louis raconte sa mère – sa vie enchaînée jusqu’à la liberté dont elle est parvenue à s’emparer. Sa mère dont l’existence fut longtemps marquée par la violence de la pauvreté, le mépris de classe et la violence masculine. Il raconte la mélancolie de ses yeux. Il la raconte d’une façon tellement belle, sans fard, sans faux-semblants. Il se raconte aussi, à travers elle – notamment la violence de devenir un transfuge de classe par vengeance. Il se raconte à travers elle, ses mots disent leurs failles, et leur amour.

Anne Brochet – L’armoire de vies ***

Albin Michel – aveil 2024 – 135 pages

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« En les ouvrant lentement, je démultiplie mon visage comme un palais des glaces. Je me vois à l’infini et cela peut m’occuper longtemps. »

Dans ce singulier récit, l’autrice se raconte à travers les armoires de toilette qui ont jalonné sa vie. Son visage qui se reflète dans le miroir à chaque étape de sa vie –  enfant, elle ne l’atteint pas, adolescente elle ne supporte pas son image… Dans le miroir elle découvre son corps qui change, qui la trahit. Elle imite les publicités – de l’Eau précieuse au bain moussant Obao. Elle contemple le spectacle de son chagrin. Ses entraînements à embrasser. Les produits de beauté qu’elle utilise et qui l’accompagnent en grandissant, de la crème Nivea au lait hydratant Eau de Rochas, en passant par la crème Mustela de sa grand-mère – toute une poétique mémorielle des cosmétiques se déploie. Le contenu de l’armoire se modifie avec l’âge.

Le miroir est l’instrument idéal ; il renvoie les ombres, les doutes, les passages à vide, les angoisses. S’il est complice des jeux de l’enfance, il devient traître lorsque nous vieillissons car il sert à traquer les rides et les imperfections. Se reflète alors dans le miroir l’impuissance face au temps qui passe. Il y a les baumes qui réparents autant le corps que l’âme ; des parfums qui lui rappellent d’anciens amours…

Vous l’aurez compris, ce roman autobiographique original & sensoriel m’a beaucoup parlé – à la fois empreint d’humour et de gravité. Le miroir est le témoin privilégié du temps qui passe, de la beauté traquée, de l’image que la femme doit renvoyer pour correspondre aux attentes de la société, les images multiples qu’elle perçoit d’elle-même au cours de sa vie.

Violaine Huisman – Fugitive parce que reine ***

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Folio – avril 2019 – 304 pages

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C’est à travers les yeux de la petite fille qu’elle était que Violaine raconte son enfance tumul-tueuse auprès d’une mère pas comme les autres. Une mère un peu folle, qui oscille entre ombre et lumière, qui survit malgré ses blessures et sa défaillance. Une mère dont le diagnostique tombe quand l’enfant a dix ans : elle est maniaco-dépressive.

L’enfant nous raconte tout : les séjours en hôpital psychiatrique, les visites récurrentes des pompiers pour réanimer la mère… Ses coups d’éclats, ses folies en voiture… Leur quotidien complètement barré qu’il faut cacher aux autres afin que la famille ne vole pas en éclats.

Un récit qui bouillonne et qui fourmille de détails, de souvenirs, d’anecdotes ; ça part dans tous les sens. Le texte semble vouloir rendre compte de la folie de cette mère, sans rien omettre de cette enfance instable. Un récit auquel j’ai du mal à accrocher car il arrive après ma lecture de Dites-lui que je l’aime. Je me sens agacée par cette lecture et je décroche un peu – j’ai déjà lu ça.

Et puis dans la deuxième partie, l’auteure prend ses distances avec l’intime et nous raconte l’histoire de sa mère, le récit de sa vie, depuis sa naissance. L’immersion dans le texte commence enfin. Et le roman de Violaine prend le dessus sur celui de Clémentine. Fugitive parce que reine me prend par surprise, je ne m’attendais pas à être autant émue.

Un récit autobiographique déchirant qui nous dévoile les questionnements d’une femme sur le deuil de la mère, la maternité, la folie. La fin m’a particulièrement émue. On fait la connaissance d’une femme qui s’est toujours revendiquée libre, jusqu’à la fin. Une femme blessée dans son enfance, qui ne s’en est jamais remise, qui a toujours voulu donner à ses filles ce qu’elle n’avait pas eu.

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« La vérité d’une vie n’est jamais que la fiction au gré de laquelle on la construit. »

« Qu’est-ce qu’on garde d’une vie ? Comment la raconter ? Qu’en dire ? Est-ce qu’une vie compte autrement que dans l’enfantement ou la création ? Quelle vie vaut la peine d’être retenue ? De qui se souvient-on ? De qui se souviendra-t-on ? »

Olivier Liron – Einstein, le sexe et moi ***

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Alma – septembre 2018 – 200 pages

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« Je suis autiste Asperger. Ce n’est pas une maladie, je vous rassure. C’est une différence. » C’est par ces premiers mots que nous entrons dans le roman d’Olivier Liron ; roman éminemment autobiographique dans lequel l’auteur nous livre sa propre histoire.

Nous sommes en 2012, sur le plateau de France 3. Olivier Liron est occupé à décrocher la victoire face aux autres candidats de Questions pour un super champion. Pendant que la partie fait rage, le jeune homme est submergé par ses souvenirs : son enfance qui se heurte à la violence du monde et cette envie qu’il a eu pendant toute son adolescence de « déchiqueter tout le monde avec les dents ».

Le temps de ce jeu télévisé, Olivier nous livre ses pensées les plus enfouies, ses rêves et cauchemars. Etant autiste Asperger, certains codes sociaux lui échappent complètement ; ainsi il ne comprend ni le sarcasme, ni l’ironie. Olivier préfère la solitude à la compagnie, a des difficultés à se lier avec les autres autant qu’à suivre plusieurs conversations à la fois. Il entretient une fascination pour les dates et les chiffres ; pour s’endormir il a besoin de faire le produit de 247 846 fois 91. « Bienvenue dans mon monde. »

Participer à l’émission de Julien Lepers est sa façon à lui de maintenir la tête hors de l’eau. De survivre. Survivre à sa propre prison intérieure. Pour s’entraîner, il se jette à corps perdu dans les révisions et le savoir qu’il ingurgite sans aucune limite.« Pour moi, c’est Julien Lepers ou la mort. »

Quand on entend trop parler d’un livre, on court le risque d’être déçu… Contre toute attente, le roman d’Olivier Liron – primé par la blogosphère littéraire grâce au Grand Prix des blogueurs – a su me toucher autant que me faire rire. L’humour comme une ponctuation et puis, au détour d’une page, l’émotion qui me prend à la gorge.

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« Je me suis rempli la tête d’informations pour peupler ma solitude. Pour oublier l’essentiel, pour dompter l’absence et le chagrin. Comme si apprendre des milliers d’informations sans queue ni tête, peupler la mémoire était un réflexe de survie. »

« Quand on ne peut pas parler, on construit des forteresses. Ma forteresse à moi est faite de solitude et de colère. Ma forteresse à moi est faite de poésie et de silence. Ma forteresse à moi est faite d’un long hurlement. Ma forteresse à moi est imprenable. Et j’en suis le prisonnier. »

Riad Sattouf – L’Arabe du futur. Tome 1 ***

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Éditeur : Allary Editions – Date de parution : 2014 – 158 pages

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A travers cette BD autobiographique, Riad Sattouf met en scène son enfance au Moyen-Orient dans les années 80. Il a deux ans, de beaux cheveux blonds qui font l’admiration de tous. Ses parents, Clémentine une bretonne et Abdel-Razak un étudiant syrien, se sont rencontrés dans les années 70 à la Sorbonne. Son père, devenu docteur en Histoire, trouve un poste en Libye. Ils découvrent un pays sous le joug de Kadhafi, le Guide Suprême. Issu d’un milieu pauvre, féru de politique et obsédé par le panarabisme, Abdel-Razak Sattouf élève son fils dans le culte des grands dictateurs arabes, symboles de modernité et de puissance virile. En 1984, la famille déménage en Syrie – dirigée d’une main de fer par Hafez el-Assad – pour rejoindre les autres Sattouf, dans un petit village près de Homs.

 

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A travers l’histoire de son enfance, l’auteur nous raconte l’histoire politique arabe, évoque le conflit israélo-palestinien… Le trait de crayon de Riad Sattouf est très drôle, cocasse. Les bulles se dévorent. Même si je n’ai pas ressenti un enthousiasme débordant pour cette BD, à l’image de son succès retentissant, j’ai tout de même pris beaucoup de plaisir à lire ce premier tome, le sourire aux lèvres.

 

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Vanyda – Entre ici et ailleurs ***

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Éditeur : Dargaud – Date de parution : 2016 – 188 pages

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Coralie a 28 ans, un père laotien et une mère française. Célibataire depuis peu, elle apprend à vivre seule pour la première fois de sa vie. Un peu casanière, elle a tendance à remettre au lendemain ce qu’elle doit faire. Un jour, pour se forcer à sortir et pour se mettre au défi, elle s’inscrit à la capoeira. La découverte de ce sport va lui permettre de faire de belles rencontres, et va être à l’origine de changements dans sa vie… Coralie est loin de se douter que ce sport brésilien va lui ouvrir de nouvelles portes, lui faire prendre conscience de certaines choses et lui apporter notamment un regard neuf sur ses propres origines.

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Une belle BD aux accents autobiographiques, à mi-chemin avec le manga, qui évoque des thèmes qui semblent chers à l’auteure : le retour aux racines, la recherche de soi

Dès les premières bulles, je me suis attachée à Coralie. J’ai aimé suivre son parcours, ses pensées, sa lutte contre ses démons intérieurs. Avec tact et intelligence, Vanyda aborde la question des origines, du racisme. Au détour des pages, on tombe sur de belles planches contemplatives, mélancoliques, en noir et blanc. Une infinie douceur se dégage de cette histoire.

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Un quasi coup de cœur !  ❤

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