Édouard Louis – Combats et métamorphoses d’une femme ***

Éditions Points – 2021 – 116 pages

*

« Ton histoire est celle d’un être qui luttait pour avoir le droit d’être une femme, contre la non-existence que t’imposaient ta vie et la vie avec mon père. »

Dans ce très court récit, Édouard Louis raconte sa mère – sa vie enchaînée jusqu’à la liberté dont elle est parvenue à s’emparer. Sa mère dont l’existence fut longtemps marquée par la violence de la pauvreté, le mépris de classe et la violence masculine. Il raconte la mélancolie de ses yeux. Il la raconte d’une façon tellement belle, sans fard, sans faux-semblants. Il se raconte aussi, à travers elle – notamment la violence de devenir un transfuge de classe par vengeance. Il se raconte à travers elle, ses mots disent leurs failles, et leur amour.

Diglee – Atteindre l’aube ***

La ville brûle – mai 2023 – 202 pages

*

« Toi mon inspiratrice, ma papesse, celle dont la voix me manque tant que je l’écoute en boucle sur mes vieux enregistrements. Je n’ai pas peur de ton fantôme, que je convoque au moindre égarement. »

Dans ce nouveau récit, Diglee raconte sa grande-tante Georgie, elle s’adresse directement à elle. Georgie, c’est cette femme qu’elle a tant aimée, qui l’a tant inspirée et guidée dans la vie. Georgie et sa personnalité fantasque, qui ne s’est jamais mariée. Georgie et ses excentricités, à commencer par l’effacement de son prénom de naissance. Qui était cette « femme solaire à la coiffe d’argent »?

Atteindre l’aube est un récit dans lequel Diglee parle des figures féminines de sa famille, qu’elle découvre toutes liées par la passion – une lignée de femmes flamboyantes qui n’ont pu aimer que passionnément.

« Tu es morte mais tu existes trop fort. »

À travers son enquête et ses fouilles archéologiques familiales, l’autrice tente de mettre en mot son absente, et elle se rend compte que les hommes sont les grands absents ; « chez nous les hommes sont le soleil absent autour de qui tout tourne. » – les hommes, les pères – et la passion amoureuse. Au-delà du portrait de sa grande-tante, c’est à une exploration de ses racines que se livre Diglee.

J’avais eu un coup de cœur pour Ressac ; Atteindre l’aube est un récit encore une fois vibrant de beauté, d’intelligence – engagé et profondément lumineux. Un récit qui m’a captivée et touchée – me rappelant parfois certaines figures de ma propre famille.

Diglee – Ressac ****

Points – 2022 – 128 pages

*

Un soir morose de janvier 2020, Maureen réserve un séjour dans une abbaye bretonne, en bord de mer. Une retraite spirituelle, c’est tout ce qu’elle souhaite soudain, sur un coup de tête, un coup de blues. Comme un besoin viscéral de prendre le large, de quitter la vie citadine, de plaquer le quotidien à mille à l’heure. De quitter aussi sa famille – son beau-père, à qui elle est terriblement attachée et qui perd peu à peu sa réalité en se faisant grignoter par sa bipolarité. L’occasion aussi pour la jeune femme de se désintoxiquer des écrans et d’apprivoiser sa solitude. 5 jours dans une petite chambre dépouillée, loin de tout. « Cette retraite, c’est un cadeau de moi à moi, comme un gage d’amour et de réparation. »

Ressac est un récit intimiste, dans lequel je me glisse comme dans un cocon. L’écriture de Diglee comme un murmure poétique m’interpelle et m’émeut. La mer, le parfum des embruns, les voix du ressac en toile de fond à cette retraite ressourçante. Mon dieu comme ce récit est beau, dépouillé, sensible.

Sous la protection bienveillante des ombres de Paula et Georgie, sa grand-mère et sa grand-tante, qui luttèrent a leur façon contre le patriarcat, Maureen entend profiter de cette parenthèse qu’elle s’offre. Elle fera la rencontre d’Emeline et d’autres pensionnaires qui offrent des résonances à sa propre histoire.

Gros coup de cœur pour ce récit. J’y ai coché plein de pages à relire. Noté plein de citations. Un livre comme un trésor dans lequel on pioche inspirations et réflexions.

« Les embruns sentent l’enfance : ils sentent la légèreté d’avant, l’insouciance dépouillée. Face à l’océan je me laisse décontenir, j’emplis mes tissus d’une autre sève. J’emprunte aux roches mères la régularité de leur structure, et je me rebâtis. »

Violaine Huisman – Fugitive parce que reine ***

Fugitive-parce-que-reine

Folio – avril 2019 – 304 pages

*

C’est à travers les yeux de la petite fille qu’elle était que Violaine raconte son enfance tumul-tueuse auprès d’une mère pas comme les autres. Une mère un peu folle, qui oscille entre ombre et lumière, qui survit malgré ses blessures et sa défaillance. Une mère dont le diagnostique tombe quand l’enfant a dix ans : elle est maniaco-dépressive.

L’enfant nous raconte tout : les séjours en hôpital psychiatrique, les visites récurrentes des pompiers pour réanimer la mère… Ses coups d’éclats, ses folies en voiture… Leur quotidien complètement barré qu’il faut cacher aux autres afin que la famille ne vole pas en éclats.

Un récit qui bouillonne et qui fourmille de détails, de souvenirs, d’anecdotes ; ça part dans tous les sens. Le texte semble vouloir rendre compte de la folie de cette mère, sans rien omettre de cette enfance instable. Un récit auquel j’ai du mal à accrocher car il arrive après ma lecture de Dites-lui que je l’aime. Je me sens agacée par cette lecture et je décroche un peu – j’ai déjà lu ça.

Et puis dans la deuxième partie, l’auteure prend ses distances avec l’intime et nous raconte l’histoire de sa mère, le récit de sa vie, depuis sa naissance. L’immersion dans le texte commence enfin. Et le roman de Violaine prend le dessus sur celui de Clémentine. Fugitive parce que reine me prend par surprise, je ne m’attendais pas à être autant émue.

Un récit autobiographique déchirant qui nous dévoile les questionnements d’une femme sur le deuil de la mère, la maternité, la folie. La fin m’a particulièrement émue. On fait la connaissance d’une femme qui s’est toujours revendiquée libre, jusqu’à la fin. Une femme blessée dans son enfance, qui ne s’en est jamais remise, qui a toujours voulu donner à ses filles ce qu’elle n’avait pas eu.

***

« La vérité d’une vie n’est jamais que la fiction au gré de laquelle on la construit. »

« Qu’est-ce qu’on garde d’une vie ? Comment la raconter ? Qu’en dire ? Est-ce qu’une vie compte autrement que dans l’enfantement ou la création ? Quelle vie vaut la peine d’être retenue ? De qui se souvient-on ? De qui se souviendra-t-on ? »

Jérôme Magnier-Moreno – Le Saut oblique de la truite **

MAGNIER-MORENO - Saut oblique de la truite.indd

Éditeur : Phébus – Date de parution : mars 2017 – 112 pages

*

Un récit de voyage en Corse, une balade sur le sentier du GR20, tout au long duquel le narrateur a l’intention de pêcher… Un joli titre faisant référence à Hemingway… Quand Jérôme Magnier-Moreno, peintre et romancier, m’a proposé de lire son roman, j’ai tout de suite accepté ! Ce récit avait tout pour me plaire.

Sur le quai d’une petite gare corse, un peu paumée, le narrateur attend son ami Olivier, qui ne viendra jamais. Il se met alors en route en solitaire, écrivant et décrivant ses journées de voyage dans un style simple et épuré, très descriptif – parfois ce sont juste des mots lâchés sur la page, pour décrire la journée qui vient de se passer, l’instant présent, la nature environnante, les rencontres et leur vacuité. Les chapitres prennent le nom de différentes teintes, à l’image d’une palette de couleurs. On décèle un regard perçant et observateur, submergé par moment par un désir masculin irrépressible.

Un récit de jeunesse un peu fou et brouillon, dont la légèreté cache une vérité plus cruelle… Si j’ai aimé le projet d’écriture, la plume ne m’a cependant pas du tout emballée – un peu trop banale et prosaïque, dénuée d’envolée lyrique.

Merci à son auteur pour l’envoi de son roman et la découverte !

 

IMG_1944