Nathacha Appanah – Tropique de la violence ***

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Éditeur : Gallimard – Date de parution : octobre 2016 – 174 pages

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À 26 ans, Marie tombe amoureuse de Cham, infirmier comme elle, originaire de l’île de Mayotte. L’année suivante elle se marie et le suit pour vivre sur cette île dont il lui a tant parlé, lui racontant son enfance, ses légendes. Une fois sur place, la réalité la rattrape. Elle désire ardemment un enfant, n’y parvient pas. C’est une clandestine débarquée d’un kwassa sanitaire qui lui donnera un enfant emmailloté de bandelettes, aux yeux vairons. Elle l’appellera Moïse.

L’oeuvre de Nathacha Appanah met en scène cinq personnages, cinq destins qui vont se croiser. Et que l’île va détruire et transformer. Chaque personnage prend la parole à tour de rôle. Il y a Marie Moïse son fils avec son œil vert, l’œil du djinn. Bruce, le chef de bande de  Gaza, le bidonville de Kaweni. Olivier, le flic. Stéphane, le directeur de l’association d’aide aux jeunes.

L’auteure décrit avec talent l’atmosphère de cette île fascinante et terrifiante, nous offrant un contraste saisissant entre son apparence paradisiaque et la violence humaine qui y règne. Mayotte, c’est le parfum d’ylang-ylang à la tombée de la nuit, le chant des roussettes, les manguiers aux fruits sucrés, les légendes qui circulent à propos des esprits, des djinns, le bleu du lagon dans la baie de Mamoudzou.

Mais derrière ses apparences sauvages et sublimes, celle que l’on appelle l’île aux parfums cache une violence incroyable, une jeunesse livrée à elle-même, dès le plus jeune âge. Drogue, prostitution, trafics en tous genres, absence d’avenir. Mayotte ce sont aussi les kwassas kwassas qui charrient des centaines de clandestins, le mourengé au son des tambours… On découvre un pays sauvage et au bord du chaos, qui exhale le sang, le meurtre, la folie, l’enfer de la pauvreté, la lie, la fange. « Gaza c’est un no man’s land violent où les bandes de gamins shootés au chimique font la loi. Gaza c’est Cape Town, c’est Calcutta, c’est Rio. Gaza c’est Mayotte, Gaza c’est la France. »

Un court roman percutant, porté par une langue âpre et poétique, qui m’a fait l’effet d’un coup de poing. Une plume incroyable, que j’ai trouvée sublime au point d’avoir envie de scander à voix haute certains passages.

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« J’ai un tel désir pour ce pays, un désir de tout prendre, tout avaler, gorgée de mer après gorgée de mer, bouchée de ciel après bouchée de ciel. »

« La nuit était silencieuse, épaisse et chaude. Elle se pressait contre moi et j’ai eu l’impression qu’elle pourrait m’avaler et que ce serait sans douleur et tout doucement. J’ai sorti le couteau et j’ai fait quelques figures dans l’air comme si je pouvais découper la nuit en morceaux et porter ces morceaux à ma bouche. »

« Pendant longtemps, je ne suis pas sorti de Gaza. Pendant longtemps j’ai été mort car je suppose  que c’est ce vide-là qu’on a dans le ventre et dans le cœur quand on est mort. »

 « Quand Stéphane me demandait pourquoi je lisais toujours le même livre, je haussais les épaules parce que je ne voulais pas lui expliquer que ce livre-là était comme un talisman qui me protégeait du monde réel, que les mots de ce livre que je connaissais par cœur étaient comme une prière que je disais et redisais et peut-être que personne ne m’entendait, peut-être que ça ne servait à rien mais qu’importe. »

Dylan Landis – D’extase et d’amour féroce **

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Éditeur : Plon – Date de parution : août 2016 – 248 pages

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Nous sommes dans les année 70 à New-York, Greenwich Village. Rainey Royal a seize ans, elle passe son temps avec sa meilleure amie Tina. Ensemble, elles aiment aguicher leurs professeurs masculins, jouer le jeu de la séduction. Rainey n’a pas une vie très équilibrée pour une adolescente de son âge : sa mère a déserté la maison depuis un an pour vivre dans un ashram, son père Howard est musicien de jazz et passe son temps à inviter des musiciens qui squattent leur maison de jour comme de nuit. Gordy, le meilleur ami de son père, a pris l’habitude de border Rainey chaque soir et de lui caresser les cheveux de façon très ambiguë.

Rainey se comporte comme une garce, et elle aime ça. Avec Tina, elles harcèlent leurs camarades de classe, ou les gens dans la rue, pour les voler. La jeune femme aime également passer des heures au musée pour reproduire les œuvres qu’elle admire et qui la fascinent. Son cœur penche entre son admiration pour la vie de sainte Catherine de Bologne et son goût prononcé pour la séduction. On suit la jeune femme et ses amies jusqu’à leur vingt-cinq ans, et le roman prend la forme de chroniques d’une jeunesse.

Une lecture qui ne m’a pas convaincue… ça se laisse lire, mais je n’ai pas su où l’histoire nous amenait, où l’auteure voulait en venir. Je suis restée extérieure, n’éprouvant aucune empathie pour ces adolescentes. C’est un roman qui met sensiblement mal à l’aise et qui m’a un peu déçue ; j’en avais entendu d’excellentes et enthousiastes critiques, je m’attendais donc à autre chose. Même si, par moments, j’ai aimé l’ambiance, il m’a manqué quelque chose pour apprécier ma lecture.

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« Rainey aime les motifs, elle aime les kaléidoscopes, elle aime les ailes de papillons qui dessinent des mandalas et que l’on place sous verre, et elle aime les rosaces dans les cathédrales, tous les éléments de la nature et de l’homme qui s’imbriquent et forment un système à part entière. »

Laurence Tardieu – A la fin le silence ****

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Éditeur : Seuil – Date de parution : août 2016 – 176 pages

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La narratrice est en train de vivre un chagrin intérieur : on s’apprête à mettre en vente la maison de vacances familiale. Cette maison, elle la connaît depuis qu’elle a l’âge de trois ans, où elle y a passé tous ses étés, en famille, avec ses parents, ses enfants, puis entre amis ; elle y est intimement liée. Elle souhaite en faire un roman, mettre en mots la déchirure qu’elle ressent, mais les attentats du 7 et du 9 janvier 2015 surviennent à Paris… Sphère intime et sphère publique se retrouvent alors dans la même ligne de mire, se croisent et s’entrechoquent. Intérieur et extérieur se fissurent ; tout semble lui échapper. Dans le même temps, la jeune femme est occupée à donner la vie…

Par moments le texte n’a plus de points, les mots se bousculent à toute allure et sans raison dans l’esprit de la narratrice, témoignage de la confusion qui l’habite depuis ce premier mercredi de janvier 2015. Elle a littéralement « la sensation que la violence du monde nous est rentrée sous la peau. »

Au fil des mots, j’ai découvert un texte à fleur de peau, très sensible & sensitif ; un texte fait de sensations, ressenties face aux attentats mais aussi face à la perte de cette maison qui symbolise l’enfance, la joie, la jeunesse, le passé qui s’enfuit. Évocations de couleurs, d’odeurs, de souvenirs par petites touches, par détails choisis. L’écriture devient le refuge de sa douleur présente et de son bonheur passé.

L’écriture de Laurence Tardieu, infiniment poétique, nous touche droit au cœur et dans les mots / maux qui s’enchaînent les uns à la suite des autres, les uns aux autres, à bout de souffle, nous ne pouvons que nous reconnaître. Un livre qui se révèle essentiel, indispensable.

Un coup de cœur, et un livre qui se retrouve hérissé de marque-pages…

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« Au fil du temps, ma peau, mon corps, mon âme se sont attachés à la maison, à force de s’y attacher, s’y sont agrégés, à force de s’y agréger s’y sont incorporés. Ses fondations sont devenues une part de mon ossature. J’y ai construit mon espace de sécurité intérieure. »

« Par quel poignant hasard deux menaces ne cessaient-elles depuis plusieurs semaines de grandir en parallèle dans ma vie, l’une, la menace terroriste, partagée par tous et concernant le monde, l’autre, la perte de la maison, intime, si dérisoire en comparaison de la première qu’elle en devenait indicible ? »

« Il me semblait parfois que j’avais perdu quelque chose, que je l’avais perdu pour toujours,. A d’autres moments, il me semblait que j’avais été chassée du monde que j’avais toujours habité. »

« Qu’est-ce qui avait fait que jusque-là ta vie avait été préservée, même si tu avais parfois ployé, même si tu étais parfois tombée ? A quoi cela tenait-il donc que tu sois toujours vivante ? »