Joe Meno – La Crête des damnés ***

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Le Livre de Poche – août 2020 – 448 pages

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Nous sommes à Chicago, en 1990. Brian Oswald a 17 ans – loser à binocles et acné persistante – il rêve de devenir star du rock et passe ses heures de cours au lycée catho à imaginer des noms de groupes, des noms de chansons. Rien ne va plus dans sa vie : ses parents sont sur le point de se séparer et il se rend compte qu’il tombe amoureux de sa meilleure amie Gretchen, fan de punk et de bagarres aux poings, cheveux roses, surpoids et caractère bien trempé. 

Le temps d’une année on suit Brian, ses hésitations face au futur, ses tâtonnements pour se trouver, sa peur au fond de quitter l’adolescence, de devenir adulte, sérieux. Ses déboires. 

Le ton du roman m’a tout de suite plu. La voix de Brian est attachante – ce gamin un peu paumé qui s’évade par la musique. « C’était comme si la musique pouvait changer les choses. » La musique rythme sa vie, l’aide à se définir, à s’accomplir. « Pendant toute cette période, je ressentais exactement ce que disais le titre de chaque chanson, aussi désaxé sur cette terre qu’un adolescent venu de Mars. » 

La Crête des damnés est un roman initiatique traversée par la fougue et la révolte adolescente. Joe Meno analyse avec tact et acuité les sentiments qui traversent Brian – ses premières fois, son coeur brisé, ses parents qui s’engueulent, son lycée catholique qui lui lave le cerveau – et nous offre un récit à la première personne emplit d’espoir et de noirceur, mais aussi de mélancolie, qui fait la part belle à la musique. A lire !

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Pouchkine – Eugène Onéguine ***

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Folio – 1996 – 336 pages

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Ce classique de la littérature russe, je n’en ai entendu vraiment parler que lorsque j’ai lu le roman de Clémentine Beauvais, Songe à la douceur. Depuis, j’avais très envie de découvrir l’Eugène de Pouchkine…

C’est par la voix d’un narrateur très présent, un ami proche des deux héros, que nous est racontée la jeunesse d’Eugène ; son goût pour les femmes, le dandysme, les bals. Sa rencontre avec Lenski. Sa rencontre avec la douce Tatiana, timide, amoureuse de la nature, contemplative. Une fille simple avec ses rêves qui découvre la passion et ses souffrances.

Tatiana déclare sa flamme à Eugène à travers une longue lettre mais il se fiche de ses élans, elle est trop jeune. Il est las des mondanités, tout l’ennuie. Après une provocation en duel avec son ami de toujours qui y perd la vie, Eugène prend le large et se retire du monde. Des années plus tard, il retrouvera Tatiana, mariée à un général, changée. Il en tombera follement amoureux

Eugène Onéguine est un roman en vers, un long poème, avec des passages fulgurants et sublimes. Un petit bijou poétique de l’époque romantique. Un chant d’amour et de spleen, en huit chapitres qui se lisent avec délectation.

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Loulou Robert – Sujet inconnu ***

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Julliard – 2018 – 252 pages

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« J’ai donc grandi dans un village de l’Est, dans une grande maison vide, entre une mère hystérique, un père dans son bureau et un aspirateur. C’est un bon résumé. »

La narratrice – dont on ne connaîtra pas l’identité – commence par évoquer son enfance ; l’enfant bizarre qu’elle a été, prête à se battre violemment pour sauver sa souris en peluche, Sam. L’adolescente qu’elle est devenue, alternant l’hôpital psychiatrique et les cours au lycée. Puis arrivent les années de fac avec le premier appartement, 18 m2 seule. Avoir désormais le choix de tout mais sans se connaître réellement. Aucune passion ne l’anime réellement. Elle aime les livres, les dévore même mais ils ne parviennent pas à combler le vide en elle. Et cette solitude toujours tenace, à laquelle elle s’est accoutumée.

Une nuit d’insomnie, son voisin Lucien frappe à sa porte, après avoir entendu une chanson de Barbara. Trois fois son âge, des troubles obsessionnels et des années sans prendre de douches. Son premier ami, attaché de façon convulsive au passé.

Une autre nuit d’insomnie, elle a vingt ans, elle tombe amoureuse.

L’armure se déchire, et sa peau apparaît, à vif.

Un style brut et lapidaire, des phrases courtes et incisivesSujet inconnu est l’histoire d’un amour qui tourne mal ; un amour qui foudroie, qui emporte et qui transcende et qui finit par détruire. C’est l’histoire aussi de l’écriture et de son rôle salvateur. Au fur et à mesure de notre lecture, la tension s’empare des mots, s’empare de nous. On finit par retenir son souffle jusqu’aux derniers mots… Un roman coup de poing qui coupe le souffle.

Emmanuelle Richard – Pour la peau ***

pour la peau

 

Éditeur : L’Olivier – Date de parution : janvier 2016 – 218 pages

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Je me suis remémorée le très joli billet de Clara lorsque j’ai croisé ce roman sur le présentoir des nouveautés à la bibli, et j’ai craqué…

Emma, jeune romancière, nous raconte l’histoire de la passion qu’elle a vécue avec E., un homme qu’elle a rencontré et aimé pendant quelques mois… La jeune femme dépose ses mots sur la page comme pour se libérer d’un poids. Elle nous raconte la naissance et la mort de cet amour fulgurant – auquel elle ne s’attendait pas – dans ces petits détails, ces petits riens qui font pourtant tout…

En déroulant la métaphore du rosaire, Emma déplie les souvenirs un à un, les évoque de façon presque religieuse, les compulse dans une espèce d’obsession. Elle décrit le corps de E., son visage, sa peau, le ton de sa voix. C’est un texte près du corps, parfois très intime et sensuel, qui décortique l’histoire d’un amour compliqué.

Si au début la narratrice m’apparaît antipathique, je me suis vite sentie proche d’elle. C’est un récit touchant et sensible, dans lequel certains passages sont presque chuchotés, à la façon d’une confession. Certaines phrases se déroulent, virgule après virgule, sans point, sans majuscule. Cet amour est raconté comme un aveu, douloureux. Mais nécessaire. Le texte tend à l’anonymat ; juste des initiales, pas de prénom, ni de nom de ville. Le prénom de la femme ne viendra qu’après, dans la bouche de l’homme.

Les mots sont justes et l’écriture, sublime – légère, malgré le poids des maux. Un récit dénué de pathos, qui ne verse à aucun moment dans le larmoyant.

L’écriture semble être la seule issue possible pour la jeune femme, la seule façon de se libérer, par les mots, de l’emprise que cet homme a toujours sur elle, bien après la fin de leur histoire.

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« vous vous êtes mise à aimer déraisonnablement cet homme et le silence de et avec cet homme et le nez de cet homme, ses cils, son cou »

« Je ne sais pas pourquoi j’ai besoin d’écrire cela, comme si j’étais en deuil. Pourquoi cette nécessité absurde de dire, de peindre, de retrouver ? De sauver. Personne n’est mort. Pourtant, je vis cela comme une disparition. Il me semble avoir perdu une partie de moi. En avoir été amputée. »

« Je saisis que cet homme peut me faire perdre pied, me pousser très loin dans ce sens-là, et que je suis au bord de quelque chose qui me dépasse. »

« Je le voulais comme je n’ai jamais voulu personne. Je n’ai jamais voulu quelqu’un avec autant de force, jamais voulu quelqu’un à ce point, jamais croisé quelqu’un qui réunissait autant en une seule personne la somme de tout ce qui m’émeut. Je l’aimais plus que tout, bien au-delà de moi-même. »