Virginie DeChamplain – Avant de brûler ****

La Peuplade – avril 2024 – 201 pages

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Depuis les Déluges, depuis que les vagues ont englouti les berges de son enfance, la narratrice vit avec Marco, son compagnon d’exil, dans la forêt, loin des côtes. Elle ne parle qu’avec la nature, les arbres. La jeune femme se balade tous les jours, elle note ses observations dans un carnet. Un jour dans une clairière, elle tombe sur Farah, une fugitive étrangère, avec deux enfants en bas âge et un bébé blotti contre elle en écharpe. Elle ne peut pas ne rien faire, alors elle les accueille chez elle. Aux alentours, rôde une bête, une biche, la dernière de ses semblables, qui les protège et les observe de loin.

Avec Avant de brûler, je retrouve l’écriture somptueuse, très orale et poétique de Virginie DeChamplain – l’écriture qui m’avait conquise dès les premiers mots des Falaises. Elle fait naître des images si vraies, d’une justesse bouleversante. L’autrice nous livre un roman sur la brûlure d’une fin du monde, la brûlure de la perte, la brûlure d’avoir survécu, la brûlure de la solitude, la brûlure de l’amour naissant et de la renaissance. Dans un monde où tout s’apprête à partir en fumée, l’espoir gronde. Un roman incandescent, dont j’ai goûté les mots, je les ai savourés et je vais les garder en moi un moment. C’est beau et c’est nécessaire.

Virginie DeChamplain – Les Falaises ****

Harper Collins – 2022 – 208 pages

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V. vient d’apprendre que sa mère est morte – son corps sans vie a été rejeté par le fleuve Saint-Laurent, sur une plage de la Gaspésie. Elle prend la décision de vider la maison familiale seule, de se confronter aux souvenirs. Elle descend un matelas au milieu du salon aux immenses fenêtres ouvertes à tous les vents et se fabrique un îlot – avec pour seule compagnie les cahiers de sa grand-mère qu’elle vient de découvrir et qu’elle s’apprête à lire – comme une naufragée. La jeune femme se coupe du monde et vide la maison de la présence de sa mère. Ses seules échappées se font au bar du coin, où elle rencontre une femme aux cheveux flamboyants.

L’écriture est à la fois déroutante et captivante – la poésie qui s’en dégage m’a totalement conquise, dès les premiers mots. C’est une écriture volcanique qui bouleverse le langage comme ce « sourire d’année-lumière » ; les mots comme des roches brutes qui, con-frontées les unes aux autres, font des étincelles. « Nous deux devant la maison de notre mère. Sa maison qui grince bleu et blanc même quand y vente pas. Sa maison qui craque jusque dans le ventre. »

Des fragments de poèmes ponctuent le texte, en italique – la voix de la mère. Des fragments des cahiers manuscrits de sa grand-mère. Et la voix de V. : 3 voix qui se superposent, se croisent et s’entremêlent – faisant jaillir le passé familial. De 1968, la naissance de sa mère à 1992, la naissance de V., quelques mois après la mort de sa grand-mère – Qu’elle n’a donc jamais connue. « Ma grand-mère ma mère moi. Trois lignes infinies sur un plan cartésien, qui essaient de se toucher sans arriver à se trouver. »

J’ai aimé l’entremêlement de ces trois destinées féminines, j’ai aimé voyager de la Gaspésie aux plages de sable noir et aux falaises d’Islande, à Vík – me sont revenus en mémoire mes propres souvenirs de ce fabuleux pays : déchaînement des éléments, rugosité de la terre, vertigineuses falaises, volcans endormis : sous la plume de Virginie DeChamplain, c’est une Islande peuplée de fantômes. Vous l’aurez compris, Les Falaises est un roman qui m’a ravie.