Rosie Price – Le rouge n’est plus une couleur ***

9782246820338-001-T

Grasset – 11 mars 2020 – 416 pages

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Kate rencontre Max à la fac. Ils deviennent amis et très vite inséparables. Ils se gavent de films, révisent un peu, sortent beaucoup, partent en vacances. Kate fait rapidement la connaissance de la famille de Max, une famille aisée et cultivée, très différente de la sienne. La mère, Zara, est réalisatrice ; ce qui fascine beaucoup Kate. Mais le côté paternel de la famille est plus ombrageux ; à la mort de la grand-mère, leurs relations s’enveniment, l’oncle Rupert dépressif et alcoolique fait une overdose. Au sein de cette famille qui perd lentement la boule et s’entre-déchire autour de l’héritage de Bisley House – la maison familiale – il y a le cousin de Max, Lewis, un jeune mec un peu distant, renfrogné.

Pendant une fête d’anniversaire chez eux, Lewis entraîne Kate à l’étage dans une chambre et referme la porte derrière elle. Il fait tourner la clé dans la serrure. Kate ne parvient pas à s’opposer à lui. Son regard restera accroché au ruban rouge du col de son agresseur durant toute la durée du viol – sans coups ni cris.

Les jours qui suivent, Kate ne parvient à en parler à personne. Si elle n’en parle pas, peut-être que l’horreur se dissipera. Si je n’en parle pas ça n’existe pas.

« Alors, elle se tut dans l’espoir que, si elle choisissait de ne pas donner voix à ce qui s’était logé dans sa poitrine, quelque part entre ses poumons et son coeur, cela finirait par s’atténuer ; que sa toxicité évacuerait son corps par ses propres moyens, sécrétée avec la sueur, le sang, la salive, la merde ; qu’en se contentant simplement de respirer, d’exister, elle pourrait peu à peu se purger sans avoir à affronter l’horreur d’avoir à lui donner une forme reconnaissable ; si elle se taisait, peut-être que ça refluerait. »

Elle s’éloigne de Max et trouve refuge dans l’alcool, les cachets, la drogue. « Pour survivre, il lui fallait résider hors d’elle-même. »

Le déni. La culpabilité. La peur de ne pas être crue. Tous ces sentiments l’agitent et la bâillonnent, l’empêchant pendant un temps de se confier. Elle éprouve le besoin de se faire du mal ; la douleur physique pour oublier les souvenirs de cette maudite soirée qui lui gangrène la mémoire. Le rouge, c’est le col de Lewis, et puis c’est le sang qui coule des blessures qu’elle s’inflige.

Rosie Price nous livre un premier roman brillant ; l’histoire du retour à la vie d’une femme après un viol. L’histoire d’une femme brisée qui va connaître la destruction puis la reconstruction. L’écriture, efficace et dénuée de tout pathos, nous délivre les réactions des proches de l’agresseur et celles de l’agresseur lui-même.

Le rouge n’est plus une couleur explore la question du viol, de sa violence physique et psychologique avec acuité et nous livre une analyse psychologique et chirurgicale du traumatisme ; les stigmates mémorisés par le corps et l’esprit, les émotions violentes qui traversent la jeune femme, et enfin, sa capacité de résilience.

« Ce n’était pas l’attaque isolée, mais ses conséquences : la façon dont elle fracassait la perception, déformait les sens, étouffait toute capacité à la confiance, toute possibilité d’aimer et d’être aimée, et vidait le monde de sa couleur, de sa lumière. »