Aurélie Massé – Cette nuit-là ***

Editions Slalom – 2021 – 384 pages

*

Le roman d’Aurélie Massé est ma première lecture dans le cadre de la 3e édition de Mes Premières 68 ! Cette nuit-là est un roman choral qui m’a littéralement scotchée. En l’espace de quelques pages, j’ai été happée par les voix de ces adolescents qui se succèdent. Chacun a son petit secret inavouable. La belle et gracieuse Agathe, qui glisse un soupçon de vodka dans sa bouteille d’eau, pour se sentir vivante ; Jav et sa malice inaltérable, Eden aux cheveux incandescents et son mal-être, Alex le studieux, Sarah et son obsession de la maigreur… Dans six mois, ils ont le bac ; après, chacun empruntera une direction différente. Le temps d’une nuit, tout leur petit monde vole en éclats. Tout commence par la vitre étoilée, la neige, le sang sur les mains…

Cette nuit-là est une lecture qui lacère le coeur, qui noue le ventre, à coup de chapitres courts et incisifs – l’écriture, tour à tour tranchante et sensuelle, convoque les cinq sens. En une nuit, le peu d’enfance et d’innocence qui restait en eux se fait la malle. A lire !

Publicité

Nastasia Rugani – Je serai vivante ***

« Je suis morte sous le cerisier. »

Un dimanche d’avril, tout bascule. Trois mois après, la narratrice sent encore l’écorce du cerisier sur la peau de son dos. Ses racines qui lui écorchaient le dos pendant qu’il la violait.

« Vous ne me croyez pas puisque je respire. Seulement j’ai appris à faire semblant d’être en vie. J’ai appris cela lors de cet après-midi livide. »

Aujourd’hui, elle est face à un officier de police. Elle porte plainte, enfin. Elle revit, mot après mot, le supplice. Un supplice qui se joue du temps et de la chronologie. Les mots s’étranglent en elle face au mépris de l’homme.

Tout au long de ce court roman, elle s’adresse à l’officier. Le vous est percutant, cinglant.

La mort, elle la porte en elle depuis ce maudit dimanche d’avril. Le viol a agit depuis comme une affreuse métamorphose – de son corps, de sa vie. Une métamorphose de la nature aussi, complice du crime – cette Nature qui portera l’empreinte éternelle de sa mort. « La nature n’a rien fait. Le monde n’a rien modifié de sa beauté au-dehors. Et cette immobilité m’a tuée une nouvelle fois. » Enfin, une métamorphose du Temps, qui s’est vicieusement figé depuis ce matin d’avril – un Temps qui ne s’écoule plus normalement.

Dans une langue à la fois poétique et incisive, Nastasia Rugani nous offre un texte d’une puissance folle – des mots d’une puissance rare. La douleur éclate. L’étrangeté et le sauvage s’empare des mots ; laideur et sublime s’entremêlent dans un corps à corps qui nous saisit à la gorge et nous bouscule.

« Je ne suis plus frileuse. Je suis l’hiver. »

Rebecca Watson – Sous la peau ***

9782246822875-001-T

Grasset – mars 2021 – 288 pages

*

Une jeune femme ouvre les yeux, se lève, prend le métro et se rend au travail. C’est sa routine hebdomadaire. Ses journées sont un enchaînement de taches, de façon automatique, mécanique. Peut-être une façon pour elle d’oublier l’angoisse qui la ronge à certains moment, la dévore à d’autres. Cette angoisse qui fourmille sur sa peau, la démange ; elle s’enferme alors dans les toilettes et se gratte jusqu’au sang. L’angoisse l’étrangle de croiser à nouveau l’homme qui l’a agressée, parce qu’il travaille dans la même entreprise qu’elle…

Un étrange roman, auquel je ne m’attends pas. Complètement morcelé, chaotique ; un chaos poétique qui nous secoue et nous met à l’épreuve, nous donne le vertige par moment.

Sous la peau est un texte fort, étonnant, déroutant, glaçant. On ne sait parfois dans quel sens lire ces mots qui claquent, qui crissent, qui bruissent. L’écriture comme reflet des tourments qui agitent la jeune femme ; le temps d’une journée, nous nous retrouvons plongés dans les méandres de ses pensées, au plus intime de son être. Rebecca Watson nous offre une étonnante et dérangeante expérience de lecture et une plongée vertigineuse dans la psyché d’une femme profondément meurtrie.

Mathieu Menegaux – Femmes en colère **

9782246826866-001-T

Grasset – mars 2021 – 198 pages

*

Juin 2020, nous sommes à la cour d’assises de Rennes. Mathilde Collignon est accusée d’un crime barbare, qu’elle a avoué. Mais elle est loin de s’en repentir et elle réclame même justice. Mathilde Collignon, c’est cette femme de 36 ans, divorcée, mère de 2 fillettes, ancienne gynécologue en milieu hospitalier. De quoi est-elle accusée? D’avoir voulu se faire justice elle-même, après son agression par deux hommes. Elle encourt jusqu’à 20 ans de prison pour son crime.

Le roman est habilement construit sur une alternance entre la voix de Mathilde et les délibérations des jurés. Les jurés, ces citoyens lambda, qui se retrouvent avec le sort de cette femme entre leurs mains. 2 hommes et 4 femmes qui vont devoir se prononcer. Mathieu Menegaux nous offre une plongée dans le monde juridique ; avec fascination nous pénétrons les coulisses du procès. Femmes en colère est un roman à l’écriture implacable, qui se dévore. Encore une fois, Mathieu Menegaux frappe fort avec un sujet au coeur de l’actualité.

Une lecture que j’ai beaucoup aimée… jusqu’à ce que je lise les dernières phrases qui m’ont plongé dans l’incompréhension ; c’est comme si l’auteur déconstruisait sournoisement le message qu’il s’est acharné à nous transmettre tout au long du roman.

Et vous qu’en avez-vous pensé?

Mick Kitson – Manuel de survie à l’usage des jeunes filles ***

editionspoints-r_cit-manueldesurvieal_usagedesjeunesfilles-0

Editions Points – 2019 – 288 pages

*

Deux sœurs se retrouvent seules au coeur de la forêt. Sal a tué son beau-père avant qu’il ne s’en prenne à sa petite sœur Peppa. L’adolescente avait tout prévu : de l’endroit perdu au milieu de la forêt repéré sur une carte au matériel de pointe commandé sur Amazon, en passant par les tutoriels visionnés sur Youtube pour savoir allumer un feu, chasser, construire une cabane, survivre dans les bois. Elle a tout planifié des mois à l’avance pour échapper à l’enfer quotidien avec une mère alcoolique et déconnectée de la réalité et un beau-père violent et pédophile. Armées de leur Guide de survie des forces spéciales, les deux soeurs chassent les lapins et les grouses, pêchent des poissons et se nourrissent de Belvita.

Les journées passent et les souvenirs de la vie d’avant le meurtre refont surface. On suit le quotidien de ces deux robinsonnes au caractère bien trempé, étonnamment débrouillardes. Sal, plus intelligente que la moyenne et curieuse, qui passe des heures à se cultiver grâce à Internet, Youtube, Wikipédia. La petite Peppa est un vrai tourbillon d’énergie et de bonne humeur ; elle adore prononcer des gros mot et dévorer des livres.

Une lecture fascinante et réjouissante – il suffit de quelques mots pour esquisser le drame qui touche Sal et sa sœur et les conduit à trouver refuge dans les bois – cette forêt protectrice, refuge absolu face à la maltraitance et la violence humaine. Mick Kitson a fait le choix de la pudeur et ne nous plonge pas dans le sordide ; j’ai aimé suivre les aventures de ces deux héroïnes attachantes et lumineuses, et me perdre à leurs côtés dans la nature pour oublier les horreurs humaines et panser mes blessures.

Henning Mankell – Daisy Sisters ***

103019_couverture_Hres_0 (1)

Seuil – 2015 – 512 pages

*

Été 1941, en Suède. Vivi et Elna, deux amies de dix-sept ans, décident de partir en voyage en bicyclette à travers le pays, en longeant la frontière de la Norvège qui est occupée par les nazis. Filles d’ouvriers, elles aiment chanter et se font appeler les Daisy Sisters, à l’américaine. C’est la première fois qu’elles se rencontrent en vrai ; correspondantes depuis quelques années, elles se sont tout confié par écrit ; leurs attentes, leurs rêves, leurs doutes. Mais de ces vacances, Elna rentrera violée et enceinte…

1956. Eivor a 14 ans et est en lutte permanente contre sa mère, Elna. Mère et fille ont un tempérament de feu et s’entendent comme chien et chat. Eivor est une adolescente éprise de liberté, elle n’a qu’une envie : quitter l’école et s’installer dans une grande ville pour voler de ses propres ailes. Elna l’envie en secret ; sa propre liberté elle n’a pas vraiment pu y goûter… Lasse Nyman, un jeune délinquant évadé d’une prison pour mineurs débarque soudainement dans leur vie… L’adolescente croit voir son rêve se concrétiser le jour où ils fuguent ensemble.

Un roman puissant qui nous offre de beaux portraits de femmes en proie à leurs désirs, leurs renoncements et leurs sacrifices au sein d’une société suédoise patriarcale écrasante. A travers leur combat quotidien, on perçoit toute la violence de cette société qui les met à terre, brise leur jeunesse, coupe leurs ailes. Le personnage d’Eivor m’a beaucoup plu ; son impuissance, sa volonté malgré tout d’imposer ses choix et son indépendance. L’écriture fluide et addictive d’Henning Mankell ne m’a encore une fois pas déçue et je me suis délectée de cette lecture exaltante.

***

« Est-elle de nouveau prête à s’effacer, à sacrifier son identité professionnelle et sa joie de travailler parce qu’elle est une femme? »

« Si seulement elles pouvaient se parler. Rien qu’une fois. Dire les choses telles qu’elles sont. C’est étonnant que des gens comme nous ne parlent jamais de leur vie, songe Eivor. Comme si nos sentiments profonds étaient laids et dégoûtants et ne supportaient pas la lumière du jour. Comme si c’était un signe de faiblesse de reconnaître qu’il nous arrive de nous réveiller la nuit avec l’envie de hurler. »

Rosie Price – Le rouge n’est plus une couleur ***

9782246820338-001-T

Grasset – 11 mars 2020 – 416 pages

*

Kate rencontre Max à la fac. Ils deviennent amis et très vite inséparables. Ils se gavent de films, révisent un peu, sortent beaucoup, partent en vacances. Kate fait rapidement la connaissance de la famille de Max, une famille aisée et cultivée, très différente de la sienne. La mère, Zara, est réalisatrice ; ce qui fascine beaucoup Kate. Mais le côté paternel de la famille est plus ombrageux ; à la mort de la grand-mère, leurs relations s’enveniment, l’oncle Rupert dépressif et alcoolique fait une overdose. Au sein de cette famille qui perd lentement la boule et s’entre-déchire autour de l’héritage de Bisley House – la maison familiale – il y a le cousin de Max, Lewis, un jeune mec un peu distant, renfrogné.

Pendant une fête d’anniversaire chez eux, Lewis entraîne Kate à l’étage dans une chambre et referme la porte derrière elle. Il fait tourner la clé dans la serrure. Kate ne parvient pas à s’opposer à lui. Son regard restera accroché au ruban rouge du col de son agresseur durant toute la durée du viol – sans coups ni cris.

Les jours qui suivent, Kate ne parvient à en parler à personne. Si elle n’en parle pas, peut-être que l’horreur se dissipera. Si je n’en parle pas ça n’existe pas.

« Alors, elle se tut dans l’espoir que, si elle choisissait de ne pas donner voix à ce qui s’était logé dans sa poitrine, quelque part entre ses poumons et son coeur, cela finirait par s’atténuer ; que sa toxicité évacuerait son corps par ses propres moyens, sécrétée avec la sueur, le sang, la salive, la merde ; qu’en se contentant simplement de respirer, d’exister, elle pourrait peu à peu se purger sans avoir à affronter l’horreur d’avoir à lui donner une forme reconnaissable ; si elle se taisait, peut-être que ça refluerait. »

Elle s’éloigne de Max et trouve refuge dans l’alcool, les cachets, la drogue. « Pour survivre, il lui fallait résider hors d’elle-même. »

Le déni. La culpabilité. La peur de ne pas être crue. Tous ces sentiments l’agitent et la bâillonnent, l’empêchant pendant un temps de se confier. Elle éprouve le besoin de se faire du mal ; la douleur physique pour oublier les souvenirs de cette maudite soirée qui lui gangrène la mémoire. Le rouge, c’est le col de Lewis, et puis c’est le sang qui coule des blessures qu’elle s’inflige.

Rosie Price nous livre un premier roman brillant ; l’histoire du retour à la vie d’une femme après un viol. L’histoire d’une femme brisée qui va connaître la destruction puis la reconstruction. L’écriture, efficace et dénuée de tout pathos, nous délivre les réactions des proches de l’agresseur et celles de l’agresseur lui-même.

Le rouge n’est plus une couleur explore la question du viol, de sa violence physique et psychologique avec acuité et nous livre une analyse psychologique et chirurgicale du traumatisme ; les stigmates mémorisés par le corps et l’esprit, les émotions violentes qui traversent la jeune femme, et enfin, sa capacité de résilience.

« Ce n’était pas l’attaque isolée, mais ses conséquences : la façon dont elle fracassait la perception, déformait les sens, étouffait toute capacité à la confiance, toute possibilité d’aimer et d’être aimée, et vidait le monde de sa couleur, de sa lumière. »

David Foenkinos – Vers la beauté **

arton27474-cfb36

Éditeur : Gallimard – Date de parution : mars 2018 – 224 pages

*

Antoine Duris quitte du jour au lendemain son poste de maître de conférence à l’Ecole nationale supérieure des beaux arts de Lyon. Pour devenir… gardien de salle au musée d’Orsay. Pour quelles obscures raisons ? Il argue vouloir être assis dans une salle au milieu des tableaux, travailler au milieu de la Beauté.

Antoine est pourtant un enseignant émérite et respecté qui bénéficie d’une certaine renommée. Alors pourquoi tout quitter ? Pourquoi quitter Lyon pour Paris tout en s’assurant que personne ne puisse le retrouver ?

Mot après mot, le lecteur finit par découvrir que le destin d’Antoine est étroitement lié à celui de Camille, une toute jeune étudiante en art qui cache un sombre passé.

Ce nouveau roman de David Foenkinos m’a laissée quelque peu dubitative ; c’est un récit sombre et tragique. Où la beauté des œuvres contraste avec la monstruosité humaine. En filigrane se pose cette question : la beauté – autrement dit l’art – est-elle capable de sauver une âme ? De redonner sens à une vie ? Vers la beauté est un roman énigmatique, qui oscille entre ombres et lumières. J’ai été secouée et certains passages sont poignants, mais je ne suis pas parvenue à adhérer totalement à l’intrigue, à y croire tout à fait.

Mathieu Menegaux – Je me suis tue ***

CVT_Je-me-suis-tue_2054

Éditeur : Points – Date de parution : 2017 – 144 pages

*

La voix de Claire résonne dans sa cellule de prison. Son procès touche à sa fin et dès le début, tout est joué d’avance – elle est condamnée. Avant de passer de l’autre côté, de partir, elle désire écrire la vérité. Ne pas se justifier mais juste témoigner. « Vous êtes ma dernière conversation avant que je disparaisse. »

Tout commence par un soir d’hiver, il y a deux ans ; Claire et son mari ont un dîner d’affaire chez un associé ; un de ces dîners barbants où l’on va parler boulot, enfant… alors que Claire et Antoine n’ont jamais réussi à en avoir. Claire s’ennuie alors elle décide de rentrer seule à vélo. Elle ne sait pas encore que sa vie est sur le point de basculer. Tapi dans l’ombre, le destin aux yeux noirs et sombres lui saute dessus. Ces yeux, ils vont la hanter. « Chaque soir, au moment de m’endormir, je voyais ses yeux. Juste au moment où je fermais les miens. Ils étaient là. Ils se posaient sur moi, me transperçaient, pas longtemps, juste assez pour me rappeler que rien, plus rien ne serait jamais comme avant. »

Claire est un personnage féminin pour lequel on ne peut ressentir aucune empathie… À mesure que le récit avance, je comprends de moins en moins cette femme et la tension est telle que j’ai le ventre qui se noue de plus en plus. On étouffe sous les mots de Claire, on se sent oppressé. L’horreur se dessine peu à peu et l’effroi nous saisit. Ces yeux noirs qui la hante. Et ce silence dans lequel elle s’est enlisée à cause de ce mensonge qui prend des proportions incroyables.

Le choix du silence va se révéler dramatique. La nausée prend le relais de l’effroi et je lis le reste du roman dans un état d’hébétude. Je suis littéralement sonnée – frissons et larmes aux yeux. En tournant la dernière page, je me suis sentie complètement abattue, lessivée, le souffle court.

Ce ne sera pas un coup de ❤ mais une vraie claque… Un roman brillant et terrifiant que je vous recommande sans vous le recommander non plus…!

Jim Harrison – La fille du fermier ***

product_9782070468409_195x320

Éditeur : Folio – Date de parution : novembre 2017 – 129 pages

*

La fille du fermier c’est Sarah, la fille de Peps et Franck – ils vivent dans le fin fond du Montana. Un père taciturne et une mère évangéliste qui, lorsque Sarah a quatorze ans, fuit avec le premier homme venu. Poursuivant des études par correspondance, Sarah rêve de Montgomery Clift, et de quitter sa vie pour le grand Ouest ou New York. Elle dévore les bouquins que lui prête en cachette Terry, son ami au pied bot ; Willa Cather, la poésie de Withman, Dreiser… Grâce à la lecture, elle découvre la vie, s’enrichit et apprend tout ce qui se passe en dehors de ce coin paumé où elle habite. Elle passe son temps avec sa chienne Vagabonde, son cheval Lad et Old Tim, son seul ami.

Quand l’irréparable se produit, Sarah se métamorphose ; éprise de vengeance, oscillant entre fureur et dépression, la jeune femme demande réparation… Un beau récit, âpre et vivant, servi par une écriture juste et émouvante.

***

« Elle se rappela alors un rêve troublant de la nuit précédente et se dit tout à trac qu’elle devait faire grandir sa vie pour que son traumatisme devienne de plus en plus petit. »