Tracy Chevalier – Le récital des anges ****

Folio – 2003 – 448 pages

*

Londres, janvier 1901. La Reine Victoria vient de mourir. Selon la coutume, les familles se rendent au cimetière pour lui rendre hommage. À cette occasion, deux familles découvrent que leurs tombes sont voisines ; les Waterhouse et les Coleman. Si leurs filles se lient d’amitié immédiatement, les parents restent plutôt distants ; leurs différentes sautent aux yeux. Lavinia et Maude, quant à elles, vont sceller leur amitié au cimetière.

Le cimetière qui devient le lieu central du roman, le lieu de leurs jeux enfantins, mais aussi le lieu de jeux d’adultes – entre trahison, secrets et non-dits. Les fillettes se lient d’amitié avec Simon, le fils d’un fossoyeur un peu porté sur la bouteille. Simon n’est pas de leur monde et ne le sera jamais, malgré ses rêves. Maud est rationnelle comme son père quand Lavinia est romanesque à l’excès, elle voit le monde à travers le prisme de l’imagination, il y a en elle tant de candeur. Si Lavinia est élevée dans le respect des valeurs, qu’elles soient morales ou religieuses – famille traditionnaliste – Maude est quant à elle assez livrée à elle même. Sa mère aspire à une autre vie, à une certaine liberté. Elle ne semble pas faite pour la vie domestique. Elle finira pas trouver une raison de vivre grâce au combat des suffragettes.

Le Récital des anges est un roman choral, les personnages prennent la parole à tour de rôle. La multiplicité des points de vue apporte une richesse narrative exaltante. La plume de Tracy Chevalier m’a conquise et ses personnages ont trouvé une résonnance particulière en moi. Comme ses précédents romans que j’ai découvert – A l’orée du verger, La brodeuse de Winchester – j’ai trouvé celui-ci somptueux, puissant, émouvant.

Publicité

Sylvie Lausberg – Madame S **

COUVERTURE_MADAMES-600x900

Slatkine & Cie – octobre 2019 – 240 pages

*

Madame S, c’est Marguerite Japy, alias Marguerite Steinheil. Alias la jeune femme qui s’échappe par l’escalier de secours alors que le président de la République, Félix Faure, est en train d’agoniser. C’est cette jeune femme que l’on traitera de tous les noms et que l’on accusera de tous les maux dans la presse à scandale de l’époque.

Sylvie Lausberg est historienne et fait depuis des années des recherches sur Marguerite Steinheil, cette femme qui va se retrouver au cœur d’une effroyable machination politique. Cette femme qui l’intrigue et la questionne. Dans ce livre au contenu assez dense, elle nous livre le fruit de ses recherches et réalise une biographie, entre histoire intime et histoire avec un grand H – celle de la fin du XIXème-début du XXème.

Il y a l’enfance ; un père trop aimant, qui voue une adoration sans limite à sa fille, qui la surprotège au point de lui refuser le mariage avec l’homme qu’elle aime. Elle se retrouve mariée de force à un peintre vieillissant, Adolphe Steinheil. A Paris, elle tient salon, multipliant et entretenant des liens avec des hommes qui ont de plus en plus de pouvoir. Jusqu’à sa rencontre avec Félix Faure, au moment où la France est divisée par l’affaire Dreyfus. L’historienne s’attache à nous démontrer que la présence de Marguerite « aux côtés de Félix Faure prend un autre relief que le rôle que lui a dévolu l’histoire, celui d’une cocotte. »

Un livre éminemment féministe, qui décortique l’histoire d’une figure féminine finalement assez méconnue et incomprise. Un travail de recherche colossal et une enquête qui fourmille de détails – trop peut-être. Certains passages sont franchement indigestes et traînent en longueur. Quant à l’écriture, je l’ai trouvée froide, elle n’a pas réussi à m’émouvoirMadame S n’en demeure pas moins une de ces lectures qui deviennent nécessité.

***

« Dès qu’il s’agit de femmes, on s’en prend à leur sexe, à leur sexualité, pour les salir, comme si elles étaient les seules à en jouir. »

Pramoedya Ananta Toer – La Fille du rivage **

product_9782072733864_195x320

Éditeur : Folio – Date de parution : septembre 2017 – 352 pages

*

Dans une Java du début du vingtième siècle, Gadis Pantai est la fille d’un pêcheur de la côte nord-est ; elle a passé son enfance dans un petit village d’une grande pauvreté. Un Bendoro – un riche aristocrate local – la demande en mariage, fasciné par sa beauté. Elle n’a que quatorze ans…

Du jour au lendemain, la jeune fille se retrouve enfermée et désœuvrée dans l’immense demeure du Bendoro, avec des miroirs somptueux dans lesquels elle n’ose se regarder et des bijoux en or à ne savoir qu’en faire… La nature et la liberté lui manquent cruellement. Une vieille servante au triste passé se prend d’affection pour elle et lui offre une oreille attentive et des histoires pour s’endormir le soir.

Jour après jour, Gadis Pantai apprend à vivre autrement, à servir le Bendoro, à prier, à sourire pour cacher ses émotions, tout en se sentant comme un oiseau en cage.

Avec ce roman, je découvre la littérature indonésienne… Une beau portrait de femme, même s’il m’a manqué un je ne sais quoi pour m’attacher à l’héroïne. L’auteur nous raconte en fait l’histoire de sa grand-mère, mariée de force à l’âge de quatorze ans à un noble – passant brusquement d’un monde à un autre, de la pauvreté à la noblesse, de l’enfance à l’âge adulte, de la liberté à l’enfermement. Un roman-hommage qui nous dépeint sans fard la société javanaise féodale de ce début du XXème siècle.

Julien Delmaire – Minuit, Montmartre **

9782246813156-001-T

Éditeur : Grasset – Date de parution : septembre 2017 – 224 pages

*

Ce nouveau roman de Julien Delmaire nous plonge dans le Montmartre du début du XXème siècle, à l’aube de la guerre ; à cette époque, César Van Hove, l’allumeur de réverbères, a encore du travail, mais plus pour longtemps. Théophile Alexandre Steinlen, le dessinateur du Chat noir, est désormais un vieil homme qui ne peint plus que des chats dans son petit atelier de la rue Caulaincourt.

Vaillant, son petit félin souple et intelligent, aime flâner dans les ruelles de la Butte ; un matin il remarque une jeune africaine – avec ces cicatrices comme des coups de canifs sur les joues – qui erre dans les rues. Quelques jours plus tard, Masseïda frappe à la porte de l’atelier du peintre. La jeune femme devient son modèle ; ensemble ils ressuscitent l’ardeur créatrice du peintre vieillissant.

Les mots de l’auteur dansent, sensuels et poétiques. La plume de Julien Delmaire magnifie la langue française ; il parvient à ressusciter les couleurs et l’atmosphère de l’époque. J’ai pris plaisir à faire ce voyage dans le temps, à déambuler dans ce Paris ancien ; ce Montmartre des peintres et des buveurs d’absinthe.

Découvrez l’avis de Mokamilla.

***

« Son corps chanta les mornes, les fruits que déchiraient les dents d’un négrillon, cette ville que la cendre avait couverte de solitude, la torréfaction des heures, les marchés de viandes lasses, de viandes outragées. La cale, les chaînes, la mer qui supplie, ahane, la mer qui rugit et bave sa vaillance.. »