Tracy Chevalier – La jeune fille à la perle ***

Folio – 2002 – 320 pages

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A seize ans Griet est engagée comme servante dans la maison du peintre Vermeer, afin de subvenir aux besoins de sa famille suite à l’accident de son père, céramiste devenu aveugle. Nous sommes à Delft, au XVIIème siècle – l’âge d’or de la peinture hollandaise.

La jeune fille s’occupe du ménage et des six enfants Vermeer. Elle a surtout en charge le ménage de l’atelier du peintre, une tâche on ne peut plus délicate – chaque objet devant retrouver sa place exacte après avoir été dépoussiéré. Griet se retrouve sous tension permanente, elle doit en effet arrondir les angles avec la gouvernante aigrie, l’épouse taiseuse et la belle-mère qui semble tenir tout ce petit monde sous son autorité. Griet doit faire attention à ses moindres gestes et ses moindres paroles.

Peu à peu, son maître commence à lui confier des tâches qu’il n’aurait jamais confié à quiconque… Préparer les couleurs, se rendre chez l’apothicaire… Au fil des jours, le peintre semble lui accorder une confiance et une intimité qui rendrait jalouses les autres femmes de la maisonnée.

La Jeune fille à la perle est un roman délicat et envoûtant ; les descriptions de tableaux sont hypnotiques. L’atelier du peintre concentre toutes les obsessions et les mystères ; la beauté des tableaux qui naissent et l’enchantement des couleurs permettent à Griet de survivre à l’ingratitude de ses tâches de servante, à ses mains crevassées, à l’éloignement de sa famille, à la perte de sa sœur... La beauté, à portée de main, est une façon pour la jeune fille de s’échapper du quotidien, et d’oublier pour un temps qu’elle n’appartient pas au même monde que les Vermeer ; au risque de se perdre.

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Jean-Philippe Arrou-Vignod et François Place – Olympe de Roquedor **

Gallimard Jeunesse – 2021 – 297 pages

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Nous sommes au XVIIème siècle dans le sud-ouest de la France, quelque part entre les anciennes provinces de la Gascogne et du Languedoc. « Elle avait un nom de bataille, un nom qui claquait au vent, et que la pluie et la nuit recouvraient de mystère » ; elle, c’est Olympe, jeune marquise de seize ans, orpheline et unique héritière du domaine de Roquedor. Il y a quatre ans, à la mort de son père, son tuteur, l’affreux Comte de Saint-Mesme, a jugé bon de l’enfermer dans un couvent.

Aujourd’hui, Olympe en sort, mais n’a pas vraiment retrouvé sa liberté : elle est escortée d’une grosse religieuse antipathique et du fils du Comte, à qui ce dernier veut la marier. Sauf qu’Olympe n’a pas du tout l’intention de se soumettre à ce mariage forcé ! Alors, lorsque la berline est attaquée par deux brigands, la jeune fille en profite pour s’enfuir.

Elle court à travers la forêt, au péril de sa vie. Elle y fera de vilaines rencontres – allant jusqu’à se faire accuser de sorcellerie – mais aussi de belles rencontres comme celle du capitaine Décembre, un ancien soldat borgne au mystérieux passé accompagné de son fidèle compagnon Oost, un brave garçon un peu pataud, qui fut enrôlé de force sur un navire marchand à dix-sept ans et a fini par s’enfuir.

Cette drôle d’équipe va faire route vers le château de Roquedor et tenir tête à des soldats bien entraînés jusqu’à tenter de révéler au grand jour la vérité sur Saint-Mesme et récupérer l’héritage d’Olympe.

Malgré l’humour et les illustrations à l’aquarelle en noir et blanc de François Place, j’ai eu beaucoup de mal à entrer dans l’histoire au tout début. Peut-être à cause de l’époque ? Du vocabulaire ? J’avoue que cette lecture m’a fait sortir de ma zone de confort. Heureusement, les personnages sont hauts en couleurs et les dialogues plutôt savoureux ; quant à Olympe, elle est formidable.

Un roman de cape et d’épée féministe, au rythme soutenu et ponctué de nombreux rebondissements au centre duquel Olympe rayonne ; sportive, déterminée et indépendante, elle détonne. Ce roman c’est surtout la revanche des faibles et des isolés, la revanche des marginaux, dont l’union fait la force.

Joseph Boyden – Dans le grand cercle du monde ***

9782253087403-001-T

Le Livre de Poche – 2015 – 687 pages

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Joseph Boyden nous offre une immersion spectaculaire dans les grands espaces sauvages du Canada au XVIIème siècle. A cette époque, les Français commencent à s’installer dans la vallée du Saint-Laurent alors que  les Iroquois et les Hurons se livrent une guerre sans fin. L’arrivée des Blancs ne va faire qu’exacerber les tensions entre eux.

Au fil des pages, trois voix se font entendre : celle du Corbeau, un jeune jésuite français, envoyé par l’Église pour convertir ceux qu’il appelle les Sauvages. On le surnomme Corbeau à cause de son ample robe noire dont les Indiens se moquent. Celle d’Oiseau, un chef de guerre huron qui désire ardemment venger la mort de sa famille, assassinée par les Iroquois. Et celle de Chutes-de-Neige, une captive iroquoise dont les parents ont été assassinés sous ses yeux par les Hurons et qu’Oiseau a décidé d’adopter, comme compensation pour la mort des siens.

Ces trois êtres sont réunis par les circonstances, mais divisés par leur appartenance. Chacun mène une guerre ; le Corbeau souhaite à tout prix convertir les Indiens – il consigne ses observations dans son journal afin de faire connaître ce Nouveau Monde aux Européens ; Oiseau ne vit que pour venger sa famille assassinée et se méfie de ces Corbeaux qui débarquent sur leurs terres, les soupçonnant d’apporter les maladies qui déciment leurs peuples. Quant à la jeune Iroquoise, elle est au début comme un animal sauvage, hargneuse et hostile…  Elle finira cependant par se laisser apprivoiser et accepter sa nouvelle famille.

Le Grand cercle du monde est un sacré pavé pour lequel j’ai pris mon temps. Je me suis plongée dans cette fresque foisonnante et fascinante sur l’histoire des Indiens… Mais aussi tragique. En effet, c’est l’histoire du début de leur fin ; la fin d’une civilisation, la fin d’un monde.

Les voix se succèdent au fil des courts chapitres, à un rythme soutenu. L’écriture de Joseph Boyden, poétique et évocatrice, nous transporte, entre émotion et frissons – je demeure captivée par les descriptions de certaines scènes de combat et de cérémonies de tortures terrifiantes. Immersion garantie dans l’immensité sauvage du Canada au XVIIème siècle ; on suit l’évolution des relations entre Christophe Corbeau, Chutes-de-Neige et Oiseau sur plusieurs années, l’évolution de leur psychologie, de leur regard sur ce monde pétri de traditions et de valeurs anciennes qui est en phase d’être métamorphosé par l’arrivée massive des Français.

Le Grand cercle du monde est un roman chorale d’une beauté féroce, à découvrir absolument.

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« Oiseau émerge du champ, comme enfanté par le maïs. Il a le visage peint, la tête rasée d’un côté, les cheveux longs de l’autre, qui brillent dans l’éclat de la lumière. Il s’avance, le pas lent et assuré, vêtu de son seul pagne. Il est plus brun que jamais après son voyage estival sous un soleil ardent et, à la suite des semaines passées à pagayer et à porter les canots, il a acquis le physique d’un dieu romain. J’ai du mal à décrire cet être dans les lettres que j’envoie en France. Il est à la fois homme et animal sauvage. »