Jean Hegland – Dans la forêt ****

Gallmeister – 2018 – 380 pages

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Nell et sa soeur Eva vivent depuis toujours dans une vieille maison au coeur de la forêt. À l’écart de toute grande ville. Leurs parents ont souhaité les élever de cette façon. Sans école. Dans les bois. À étudier ce qu’elles désirent. Mais vient un jour où le climat se dérègle, une infection se répand… Leur mère meurt, puis elles enterrent leur père. Les deux sœurs se retrouvent alors seules. À essayer de capter les informations du monde. À survivre dans ce monde en décomposition. Ce monde qu’elles ne reconnaissent plus.

Nell dévore tous les livres. Quand elle n’a plus rien à lire, elle s’attaque à l’encyclopédie, dans le droit fil de son rêve d’intégrer Harvard. Quant à Eva, elle passe son temps à danser. Danser pour tenir le coup ; danser pour oublier.

Au fur et à mesure de sa lecture de l’encyclopédie, Nell se retrouve assaillie par les souvenirs. Dans son cahier, elle les inscrit, aux côtés de la survie quotidienne. Elle raconte le rationnement, la peur – leurs angoisses face à l’absence de futur.

Et la forêt, qui les entoure – leur rempart. La forêt, lieu de jeux de leur enfance ; la forêt et ses mystères. La forêt qui leur a pris leur père et contre laquelle leur mère les mettait en garde… La forêt, les sauvera-t-elle ou les engloutira-t-elle ?

Une écriture somptueuse! C’est ce qui me happe en premier. L’écriture. Et l’atmosphère. Je me fonds dans ce roman et me laisse porter. Dans la forêt se révèle vite être une lecture intense ; je découvre un roman d’une puissance rare, aux héroïnes inoubliables.

Un roman d’apprentissage où la virtuosité de l’écriture prend aux tripes – un savant mélange de tension et de poésie, de férocité et de douceur, avec cette Forêt omniprésente – personnage central. C’est féministe et féminin, magnifique et tempétueux. ❤

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David Foenkinos – Deux soeurs **

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Gallimard – février 2019 – 176 pages

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Du jour au lendemain, Étienne quitte Mathilde, la laissant au bord du désespoir. Ils devaient se marier ; ils s’en étaient fait la promesse en Croatie l’été dernier. La jeune femme n’a qu’une envie, se jeter par la fenêtre. Pour ne pas le faire, elle descend au bar s’enivrer. Le lendemain, sa routine implacable de professeur reprend ses droits ; elle décide qu’elle ne dira rien.

« On aurait dit la version verbale d’un meurtre. »

Si elle n’en parle pas, ça n’existe pas. Elle se terre chez elle, s’affame et puis sa sœur Agathe, inquiète, frappe à sa porte. Elle lui propose de l’accueillir chez elle, où elle vit avec son mari et son bébé. Bien vite, une curieuse tension s’installe entre les deux sœurs. Face à cette famille qui lui apparaît parfaite et idéale, Mathilde se laisse à peu dévorer par la folie, la jalousie, la paranoïa. Jusqu’au point de chute, inévitable.

Une lecture fluide – on retrouve l’écriture parfois malicieuse de Foenkinos, avec ses notes de bas de page – dont les premières phrases ne m’emballent pas ; je les trouve creuses, banales, sans saveur ; la douleur de Mathilde ne m’atteint pas le moins du monde. Et puis, lorsque la deuxième partie s’ouvre, la tension grimpe d’un coup ; les courts chapitres se succèdent et ce thriller psychologique plutôt efficace se déguste rapidement. Deux sœurs se lit sans déplaisir mais sera vite oubliée.

Lecture Commune avec Petit Pingouin Vert

Pour découvrir sa chronique, c’est par ici

 

Nastasia Rugani – Tous les héros s’appellent Phénix ****

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Ecole des loisirs – 2014 – 205 pages

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Phénix et sa petite sœur Sacha rentrent de cours à pieds. Ce soir-là, la voiture de monsieur Smith s’arrête sur le bas côté. Monsieur Smith n’est autre que le professeur le plus fascinant et séduisant du lycée, charismatique à souhait, il a plus de connaissances qu’un Trivial Poursuit. A bord de sa Chevrolet immaculée, il propose aux deux sœurs de les raccompagner chez elles.

Quand ils arrivent devant leur maison, ils découvrent Erika, la mère, devant un brasier composé des meubles du père. Ce père parti sans donner de nouvelles, les abandonnant du jour au lendemain, un 1er juillet devenu maudit. Ce père complice, avec lequel les deux sœurs faisaient les 400 coups. Qui aimait les livres et les plantes. De lui, il ne reste que sa serre, somptueuse. Phénix en garde la clé, précieusement attachée à son cou.

Le quotidien d’Erika et des sœurs Coton va changer radicalement le jour où Jessup Smith entre dans leurs vies. Il réussi à conquérir le coeur de Sacha, puis celui d’Erika. Seule Phénix demeure un peu sur ses gardes. Les étranges sautes d’humeur autoritaires et cassantes sans raison de Jessup ne lui échappent pas et lui mettent la puce à l’oreille… Cet homme aux faux airs de Gregory Peck va rapidement faire partie de la famille, et révéler un tout autre visage.

Comme j’ai aimé ces deux sœurs, les liens si forts qui les unissent. Phénix, l’aînée, solitaire, amoureuse d’un beau blond qu’elle attend secrètement chaque vendredi au détour d’un couloir au lycée. Et Cha, petite fille de huit ans très sensible, plus intelligente que la normale, fan de films d’horreur. Les sœurs dévorent les livres et sont déjà incollables sur Gatsby, Tchekhov…

Une lecture intense qui m’a fait renouer avec la plume si singulière et poétique de Nastasia Rugani, nourrie de nombreuses références littéraires. Une lecture effectuée comme en apnée, le ventre noué, le coeur lacéré pour ces deux gamines livrées au Diable.

J’avais déjà eu un beau coup de ❤ pour Milly Vodovic.

Antonio Carmona – Maman a choisi la décapotable ****

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Editions Théâtrales – 2018 – 64 pages

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Prune a treize ans, c’est une ado qui n’hésite pas à cogner au collège celui qui oserait se moquer d’elle. Tous les soirs, elle compte les moutons pour sa petite sœur Lola, huit ans, qui a du mal à s’endormir et ne cesse de poser des questions.

Leur mère a pris la poudre d’escampette ; elle a sauté dans la décapotable d’un homme pour ne plus jamais revenir. Autrement dit, elle a préféré chercher un chewing-gum dans la bouche d’un autre. Cela s’est passé il y a si longtemps que les deux sœurs peinent à s’en souvenir. Le père n’est plus là non plus. Il est parti pour un long voyage afin d’épuiser son chagrin. Il envoie des cartes postales.

C’est Garance, la nounou, qui s’occupe des deux filles. Garance et ses longs monologues un peu décousus sur Henri, l’homme aux VTT insaisissable. Garance qui fait tout pour convoquer la joie et l’insouciance au quotidien. Qui couve Prune et Lola et les aime comme une mère.

Une fois n’est pas coutume, je vous parle aujourd’hui d’une courte pièce de théâtre qui m’a beaucoup plu… Une pièce au ton décalé et absurde sur une famille pas comme les autres, qui aborde avec humour et légèreté la séparation, l’abandon et la perte.

Antonio Carmona se lance dans l’écriture « en cherchant la blague au milieu des décombres ». De jeux de mots en coqs à l’âne, ses personnages cherchent à retrouver la mémoire du passé tout en tentant de mettre des mots sur le vide laissé par l’absence des parentsMaman a choisi la décapotable est une pièce tendre et poétique qui se déguste le sourire aux lèvres.

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« Est-ce que parce qu’on est petite on ne peut pas comprendre ? C’est quand qu’on arrêt d’être petite ? Quand on sait faire du vélo ? Quand on a appris à se servir du dico ? Quand on connaît le passé composé ? Quand on a treize ans ? »

Sarah Crossan – Inséparables ***

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Éditeur : Rageot – Date de parution : mai 2017 – 416 pages

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Tippi et Grâce sont deux sœurs siamoises de seize ans, unies par les hanches. Une seule paire de jambes pour deux corps. Depuis qu’elles sont nées, leurs parents se saignent pour payer les cours à domicile et les soins spécialisés. Mais l’argent vient à manquer peu à peu… Elles sont alors obligées de faire leur rentrée au lycée de Hornbeacon High pour la première fois. C’est à la fois excitant et terrifiant pour ces jeunes filles que le monde entier regarde avec fascination et répulsion. Elles y font la connaissance de deux adolescents en marge, Jasmeen et Jon, qui vont les prendre sous leur aile.

« Une histoire qui raconte ce que c’est d’être Deux. » 

Pendant huit mois, Grâce nous raconte, à la façon d’un journal intime, cette entrée au lycée. Elle nous raconte également leur quotidien familial – leur père alcoolique, qui boit pour survivre au chômage ; leur petite sœur Nicole, surnommée « Dragon » qui devient de plus en plus maigre pour satisfaire sa passion de danseuse étoile – et cette vie à deux dans un seul corps : comment se sentir unique lorsque l’on partage le même corps que sa sœur jumelle ? Comment tomber amoureuse dans ces conditions ? Avoir une intimité ?

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Les deux filles sont très différentes en terme de caractère et pourtant elles ne se considèrent pas autrement qu’en une seule et même personne. A leur entrée au lycée, Grâce et Tippi se font la promesse de ne jamais tomber amoureuses

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Un roman en vers, servi par une écriture épurée, d’une grande justesse et sans aucun pathos. Le ton est souvent impertinent et drôle malgré un thème assez complexe et rarement abordé en littérature jeunesse. Inséparables est le récit d’une relation unique et une belle réflexion sur la différence et l’acceptation de soi. Une lecture surprenante et émouvante, qui m’a secouée et que je ne suis pas prête d’oublier.

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Malika Ferdjoukh – Quatre sœurs, Tomes 3 & 4 ****

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Éditeur : L’Ecole des Loisirs, collection Médium – Date de parution : 2003 – 201 pages

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Avec la lecture de ces deux tomes, je viens de terminer la série des Quatre soeurs.

Tome 3, Bettina. Nous sommes au printemps. Bettina est toujours amoureuse de Merlin le magicien de Nanouk Surgelés. Charlie demande à tout le monde comment sont ses genoux. Le manque d’argent se faisant cruellement sentir, les filles décident d’accueillir un locataire pour arrondir les fins de mois difficiles. Elles ne s’attendaient pas à tomber sur ce mystérieux jeune homme dont chaque fois que la porte s’ouvre, des odeurs singulières s’échappent…  Une langue toujours aussi inventive et que je trouve encore plus poétique…
Ce tome contient une note un peu plus tragique que dans les deux premiers : chagrin amoureux et deuil s’invitent dans la danse… Et les fantômes maternel et paternel apparaissent et disparaissent au gré des jours et des humeurs. Le personnage de Bettina gagne en épaisseur et devient plus attachant. La famille évolue mais ne perd en rien son charme indéniable.

Tome 4, Geneviève. L’été s’installe. Geneviève vend des glaces et des chichis au bord de la plage. Bettina et ses copines partent en vacances à la ferme, et feront la connaissance d’Augustin, toujours un poussin dans la poche et un chat dans les pattes… Hortense et Enid sont à Paris, dans le minuscule deux pièces de la tante Jupitère, la mère de Désirée et Harry. Les péripéties se succèdent, nous retrouvons un florilège de personnages tous plus réjouissants et attachants les uns que les autres. La toute fin est belle, elle prend une tournure espiègle et poétique.

J’ai quitté ce dernier tome avec un irrésistible sourire sur les lèvres. Cette série est décidément un joli coup de cœur et une très belle découverte. L’écriture est tout simplement magique, inventive et d’une richesse imaginative incroyable. C’est tout un univers auquel on s’attache réellement avec ces personnages qui nous deviennent bien vite familiers.

J’ai presque du mal à parler de cette lecture, tellement je l’ai aimée…

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« Ce que je préférais quand j’étais encore de ce monde, c’était marcher sur la plage ces jours-là. J’avais la sensation que personne, sauf moi, ne pouvait comprendre avec une telle perfection les vagues et leur mouvement. J’étais une vague moi-même. »

« C’était une drôle d’image qu’elle voyait de là, ce garçon qui cheminait en dansant sous un ciel mi-pomme mi-bonbon, un poussin à l’épaule, un oiseau dans la poche, un chat et un canard autour, une pie sur la tête… »

« Elle se sentait presque voler, presque E.T. pédalant vers sa lune. Sauf que ce n’était pas la lune qu’on voyait descendre là-bas, mais le soleil, gonflé comme une pastèque à l’horizon des vagues. »

« L’être humain a une foutue imagination pour mettre des vies en l’air. »

« Son regard glissait de la page de lecture vers la réalité du salon. Le bord supérieur du livre étant son horizon-frontière entre fictif et réel. Un peu comme entre l’écran de cinéma et la salle. »

Malika Ferdjoukh – Quatre soeurs, Tome 2 : Hortense ***

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Éditeur : L’Ecole des Loisirs, collection Médium – Date de parution : 2003 – 191 pages

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Et hop le deuxième tome des Quatre sœurs dévoré…  Je viens de réaliser que chaque tome se déroule à une saison. Quatre tomes pour quatre sœurs et donc quatre saisons. Avec Enid, c’était l’automne, et avec Hortense, nous sommes en hiver.

Cette fois le récit se concentre donc sur Hortense, 12 ans, qui tient son journal intime précieusement à l’abri des regards indiscrets. Hortense qui ne sait pas trop que faire de sa vie, et qui décide de s’inscrire dans un cours de théâtre pour combattre sa timidité maladive.

En se baladant sur la falaise près de la Vill’Hervé, elle fait la rencontre de Muguette, une petite fille atteinte de leucémie, avec un drôle de nom et un brin de folie. Le roman met également en scène la rencontre de Bettina avec le livreur magicien de Nanouk Surgelés, qui ne sera plus si laid à ses yeux. Sans oublier la tante Lucrèce qui débarque sans crier gare…

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Ce deuxième tome s’inscrit dans la lignée du précédent et est tout aussi réjouissant. On retrouve l’écriture délicieuse de Malika Ferdjoukh et ses personnages et situations insolites. On est touchés, on sourit et on s’attache vraiment à cette famille farfelue. Un vrai plaisir.

Du coup, j’enchaîne avec la lecture des deux derniers tomes sans perdre une minute !

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Ma chronique sur le 1er tome : Quatre soeurs, Tome 1 : Enid

Malika Ferdjoukh – Quatre sœurs, Tome 1 : Enid ***

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Éditeur : L’Ecole des Loisirs, collection Médium – Date de parution : 2003 – 138 pages

La série Quatre sœurs nous donne à voir une vie familiale un peu particulière! Il n’y a non pas quatre sœurs, comme le titre pourrait nous le faire croire, mais cinq : Charlie, l’aînée qui se débat chaque hiver avec Madame Chaudière, Geneviève qui garde précieusement son secret sous couvert de rendez-vous babysitting, Bettina toujours accompagnée de ses deux copines Béhotéguy et Denise, formant l’inséparable trio DBB (la Division Bête et Méchante), Hortense qui passe des heures à écrire son journal intime et Enid, la petite dernière, 9 ans, qui dort avec ses chats Ingrid et Roberto… Charlie a la charge de la maison et de ses sœurs depuis la mort accidentelle de leurs parents quelques mois plus tôt.

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Le 1er tome de la série est consacré à Enid, la plus jeune des cinq sœurs Verdelaine. Malika Ferdjoukh nous introduit dans un univers absolument délicieux et insolite. Nous découvrons cette vie de famille curieuse, haute en couleurs.

Par une nuit de tempête, Enid sort dans le jardin et manque de se faire écrabouiller par le sycomore géant. Elle va partir à la recherche de Swift, sa chauve-souris, dont elle est persuadée qu’elle est encore en vie. Par la même occasion, elle tâchera de découvrir ce qui se cache derrière ce fantôme dont les cris lancinants et larmoyants terrifient la petite famille.

Un univers drôlement singulier et très inventif, qui mêle habilement petits tracas du quotidien, chronique amoureuse adolescente, aventure et surnaturel, avec beaucoup d’humour et de facétie… Ce roman est un vrai plaisir. L’écriture est facétieuse, délicieuse, toute en jeux de mots. J’aurai adoré lire ça en étant adolescente! Et en refermant ce bouquin, je n’ai qu’une envie : lire la suite!!

Merci à Ynabel pour le conseil lecture 🙂