Mireille Gagné – Le lièvre d’Amérique ***


La Peuplade – août 2020 – 137 pages

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Diane est clouée au lit, le temps de se remettre de l’opération qu’elle vient de subir. Sa tête tourne, ses pensées se font lancinantes. Elle a l’impression que son coeur bat plus vite. Que ses iris sont plus sensibles qu’avant. Ses cheveux deviennent brusquement roux. La jeune femme demeure à l’affût de son corps. Elle dort moins, développe une endurance et une force hors du commun.

Au fil de la narration, les souvenirs de Diane émergent : ceux d’un été de son adolescence sur l’Isle-aux-Grues ; sa rencontre avec Eugène – ce garçon qui la fascinait – et sa passion pour les espèces en voie d’extinction, son désir de braver tous les dangers. Son amour de jeunesse disparu. Et à rebours, nous prenons connaissance des jours qui précèdent l’opération – des phrases longues et sans ponctuation, comme pour figurer sa vie d’avant sous apnée ; sa vie d’employée modèle qui ne semble vivre que pour le travail et pour se surpasser toujours davantage.

Le style poétique de ce roman québécois m’a d’emblée séduite – beauté de cette sauvagerie qui prend le pas sur l’humain. Le Lièvre d’Amérique prend la forme d’une satyre animalière de la société contemporaine où le travail tue l’humain à petit feu ; une société qui nous étrangle avec la sangle du quotidien. La seule échappatoire se trouve dans ce basculement de l’humanité vers l’animalité. Un roman étrangement beau et envoûtant.

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Antoine Dole – Ueno Park ****

9782330108274

Éditeur : Actes Sud Junior – Date de parution : août 2018 – 128 pages

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Huit voix – huit adolescents qui prennent la parole, tour à tour. Huit jeunes en marge de la société japonaise, différents des autres.
Dehors, c’est Hanami – la saison de l’éclosion des fleurs de cerisiers. « Ce moment de l’année où l’impossible se passe, et où des fleurs roses poussent sur des arbres à l’écorce noire. Celui où la nature se réinvente. »
Il y a Ayumi, qui sort de chez elle peu avant l’aube, après être restée cloîtrée dans sa chambre pendant plus de deux ans, devenant comme un fantôme pour ses proches et pour elle-même.
Sora qui renaît sous les traits d’une autre grâce au maquillage. Le maquillage révèle celle qui dort au fond de lui.
Fuko, qui est en fauteuil roulant, son corps comme un tombeau – condamnée par la maladie, c’est son dernier Hanami.
Natsuki qui s’achète des vêtements de luxe grâce à son activité d’escort girl.
Haruto qui a survécu au tsunami qui a ravagé sa ville quand il avait dix ans… et qui lui a pris son père.
Daïsuke a arrêté ses études à seize ans pour travailler dans une petite échoppe de pan-cakes… Il passe ses journées à les faire cuire pour les vendre. Pour la société, il est un perdant.
Aïri attend Makoto afin de lui déclarer sa flamme…
Et Nozomu, qui s’est livré lui-même à la rue, pour sauver sa famille de la misère.
Comme le dit si bien Haruto : « Je suis né sur une île où l’on ne fait pas de vague. » On attend de ces adolescents qu’ils soient à leur place ; à la place qu’on leur a attribué et qu’ils ne sortent pas des clous. Ces voix nous parlent de renaissance, elles célèbrent ensemble la différence et ses richesses.