Cassandre Lambert – L’Antidote mortel ***

Didier Jeunesse – 2021 – 544 pages

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L’Antidote mortel est un roman choral dense, où 3 personnages prennent la parole à tour de rôle au fil des chapitres.

Whisper, une princesse qui aura bientôt 18 ans et que personne n’est autorisé à voir. Enfermée au château, elle ne voit que son père le tyran – et son obsession morbide de la cacher aux yeux du monde – et sa gouvernante qui lui apprend à se comporter comme une princesse. Sa mère est mourante… Depuis le jour de sa naissance. Lorsque son père lui annonce qu’il compte la marier de force le jour de ses 18 ans, Whisper s’enfuit.

Eden, une orpheline hantée par son passé et qui ne vit que pour accomplir sa vengeance

Jadis, un jeune paysan au physique singulier qui a un don incroyable… Il parvient à s’attirer la sympathie des animaux, à entrer en communion/communication avec eux. Sa tante lui confie une fiole mystérieuse qu’il est censé apporter en personne à la reine pour la guérir de ses maux…

Ces 3 personnages partent en quête de quelque chose, ils quittent la vie qu’ils ont toujours connu. Et ils ont chacun un secret

Un roman décapant, au rythme intense – un roman d’aventure et d’initiation qui se dévore. Les personnages sont attachants ; l’écriture est fluide et l’intrigue rondement menée. La lecture devient vite addictive ! Merci à Mes première 68 de m’avoir fait découvrir cette jolie pépite qui flirte avec le surnaturel, je serais sinon passée à côté.

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Bérengère Cournut – De pierre et d’os ***

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Le Tripode – octobre 2020 – 198 pages

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Prise de crampes au ventre, Uqsuralik se glisse dans la nuit du dehors. De façon soudaine et inattendue, la banquise se fracture et sépare la jeune fille inuit de sa famille, endormie. Uqsuralik se retrouve seule face à l’immensité blanche de la banquise, avec quelques chiens affamés et une dent de requin que son père lui jette avant d’être englouti dans le brouillard. La toute jeune adolescente n’a d’autre choix que de marcher, et de survivre, coûte que coûte. Elle se retrouve à affronter les éléments, la famine, à devoir faire des choix… Afin d’aller au devant de son destin et des êtres qu’il mettra sur sa route.

Je mets un peu de temps à me glisser dans cette lecture.

Et puis je me laisse saisir par la beauté de l’écriture, la pureté des paysages, leur dénuement le plus total. Je me retrouve plongée dans un roman onirique et poétique, où la nature et les éléments sont sacrés. Je me laisse séduire par ce monde peuplé de rêves, de chants, de symboles et d’esprits – l’homme-lumière, le géant.

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Ce monde dans lequel il faut chasser et pêcher pour se nourrir, réciter des formules de protections, où la vie et la mort des êtres sont étroitement liées, tout comme l’animal et l’humain.

De Pierre et d’os est un roman empreint de beauté, dont j’ai aimé jusqu’aux dernières pages et ses photographies, qui prolonge l‘immersion dans le monde des Inuits.

« Durant ma longue vie d’Inuit, j’ai appris que le pouvoir est quelque chose de silencieux. Quelque chose que l’on reçoit et qui – comme les chants, les enfants – nous traverse. »

Kate DiCamillo – Louisiana **

Louisiana

Editions Didier Jeunesse – 2019 – 160 pages

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Floride, fin des années 70. La grand-mère de Louisiana Elefante perd un peu la boule. Persuadée que sa famille est porteuse d’une malédiction depuis plusieurs générations, elle embarque sa petite-fille en pleine nuit pour un road-trip des plus singuliers. Il est 3h du matin lorsqu’elle lui annonce que « l’heure du jugement a sonné ». Louisiana se rend vite compte qu’elle ne reverra pas de sitôt sa maison… ni ses meilleures amies, ni Monsieur Chien, ni Archie son chat. Elle en a le coeur brisé.

Quelques heures plus tard, la gamine se retrouve à la frontière entre la Floride et la Géorgie, dans une voiture en panne sèche, avec une grand-mère qui souffre subitement d’une rage de dent et s’écroule sur la banquette arrière. Les aventures ne font que commencer

A travers de courts chapitres, l’écriture de Kate DiCamillo se révèle drôle, impertinente et tendre. Je me laisse prendre dans les filets de cette histoire somme toute bien farfelue.

Louisiana est une ado dégourdie et malicieusement désespérée, qui possède un talent de poids : une voix d’ange lorsqu’elle se met à chanter. Quant à la grand-mère, elle est aussi petite que virulente, elle possède un regard perçant et un tempérament drôlement autoritaire.

L’intrigue qui vire chamallow pleine de bon sentiments m’a finalement un peu agacée. Je ne suis pas certaine que ce roman restera gravé dans ma mémoire, mais ça n’en demeure pas moins une lecture pleine de charme sur la quête des origines, la quête de sens d’une enfant.

Holly Ringland – Les Fleurs sauvages ***

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Le livre de Poche – 2020 – 512 pages

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Alice Hart est une enfant de sept ans, qui vit avec un père violent qui se réfugie dans son atelier et en interdit l’accès aux autres et une mère battue, qui se réfugie dans la contemplation des fleurs. Dans sa chambre, Alice dévore des livres sur le feu, rêvant secrètement d’immoler ce père monstrueux qu’elle ne comprend pas – tantôt lumineux et bon, tantôt sombre et cruel. Elle aime passer du temps avec sa mère, écouter le langage qu’elle emploie pour parler aux fleurs, les cueillir pour en remplir ses poches. Elles oublient toutes deux leurs côtes douloureuses, leurs bras parsemés de bleus.

Jusqu’au jour où le pire se produit, deux ans plus tard. Alice perd sa voix et est alors obligée d’aller vivre à Thornfield chez sa grand-mère June, une femme qu’elle n’a jamais vu. Elle quitte le littoral et l’océan pour la campagne. Elle va y rencontrer ces femmes qui se font appeler les Fleurs ; Twig et sa sagesse, Candy, ses cheveux bleus et sa cuisine exquise. Alice apprendra le langage des fleurs au même titre que la survie à ses blessures, à son passé ; elle apprendra à s’épanouir en tant que femme.

Thornfield est un univers exclusivement féminin ; l’énigmatique June, qui boit du whisky en cachette afin d’anesthésier ses souvenirs et recueille les femmes qui ont besoin d’un refuge ; elles ont chacune une histoire à raconter, ou à cacher. Au milieu des fleurs et de leurs parfums entêtants, trop de non-dits et de secrets planent sur les esprits…

Ce roman australien m’a tout de suite attirée avec ses chapitres aux noms de fleurs sauvages, ornés de dessins, comportant une petite description de chaque fleur. Il s’en dégage un indéfinissable charme. Bon, certains passages sont très – trop – romanesques à mon goût. Les fleurs sauvages demeure un beau roman initiatique, qui tient ses promesses, impétueux et attachant, qui nous offre un voyage à l’autre bout du monde, jusqu’au coeur du bush australien.

À coeur vaillant, rien d’impossible…

Betty Smith – Le Lys de Brooklyn ****

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Belfond [vintage] – 2014 [1946] – 708 pages

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Roman culte dans les années 40, Le Lys de Brooklyn raconte le quotidien de Francie Nolan, une jeune fille de 11 ans qui vit dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn au début du XXème siècle, avec son frère Neeley, leur mère Katie à la bonté infinie qui se tue à faire le ménage chez les gens pour une misère, leur père Johnny qui se saoule avec sa paie et qui chante comme il respire.

Francie est une enfant solitaire et solaire, intelligente et pleine de vie. Je l’ai tout de suite aimée ; cette petite flamme qui brille en elle. C’est un personnage magnifique. Avec son frère Neeley, ils écoutent les joueurs d’orgue et revendent tissus et ferrailles pour se faire quelques sous. Le soir, ils lisent une page de la Bible et une page d’une anthologie de Shakespeare.

Francie grandit puis découvre l’école et sa violence, ses chagrins et brimades. Elle se met à fréquenter avec assiduité la bibliothèque, chérissant le vœu de lire tous les romans que contiennent les étagères. Elle aime s’asseoir sur l’escalier de service pour lire à l’ombre des arbres. Très vite, l’adolescente trouve un exutoire dans l’écriture de contes ; elle se sent irrésistiblement attirée par la fiction.

Le Lys de Brooklyn est un roman dense et lumineux qui dépeint le quotidien d’une famille pauvre et nous offre une plongée vertigineuse dans l’âme d’une enfant qui devient adolescente, ses tourments, ses joies, ses peines, ses espoirs. J’ai dévoré ce roman initiatique et largement autobiographique écrit dans une langue poétique et romanesque.

Tour à tour, je me suis sentie révoltée, émue, transportée – à travers le personnage de Francie, Betty Smith dépeint la société américaine du début de XXème siècle, dans laquelle les femmes n’ont pas encore le droit de vote, où les enfants subissent des violences insidieuses, d’autant plus lorsqu’ils sont pauvres et où l’on doit choisir entre gagner quelques sous ou poursuivre ses études. L’atmosphère de ce roman m’a rappelé ceux de Carson McCullers. Une histoire dans laquelle je me suis sentie comme chez moi, et que je n’ai plus voulu quitter.

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« Parce qu’il faut développer chez l’enfant cette chose si précieuse qui s’appelle l’imagination. L’enfant doit avoir son monde secret où vivent et se meuvent des choses qui n’ont pas existé. Il est nécessaire que l’enfant croie, qu’il commence par croire à des choses qui ne sont point d’ici-bas. Il faut que, lorsque ce monde lui paraîtra trop laid pour pour y vivre, il puisse remonter en arrière et vivre par l’imagination. »

« Francie, qui s’arrêtait de balayer pour écouter, tâchait de coudre ensemble tous ces propos, de comprendre ce monde qui tournait autour d’elle comme une toupie, dans une formidable confusion. »

« J’ai besoin de quelqu’un, se disait Francie, désespérée. J’ai besoin de quelqu’un. J’ai besoin de serrer quelqu’un contre moi. Et, même, besoin de quelque chose de plus que cette étreinte : besoin de quelqu’un qui comprenne comment je suis dans un moment comme celui-ci. Et que cette compréhension se confonde avec son étreinte. »

Philippe Labro – Un été dans l’Ouest ***

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Folio – 1990 – 288 pages

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« Quand j’ai pris la route cet été-là, quand je me suis retrouvé seul face aux cinq mille kilomètres qu’il faudrait franchir en auto-stop pour atteindre mon rendez-vous dans les forêts de l’Ouest, j’ai su que j’étais au seuil d’une aventure nouvelle. »

Nous sommes dans les années 50. Le narrateur – « ce jeune homme ignorant, apeuré mais aventureux et assoiffé de vivre et de savoir » – part à la découverte de l’Ouest américain, dans les pas de Thoreau, l’été de ses dix-neuf ans.

Étudiant français dans une université de l’Est, il part à la conquête d’un summer job ; il est engagé comme ouvrier forestier au camp de West Beaver, dans les montagnes du Colorado. Avec toute une équipe d’hommes, il est chargé de sauver les pins Ponderosa du travail destructeur des insectes…

Avant d’atteindre le camp, il doit prendre la route. Faire du stop. Monter dans une foule de Greyhound. C’est dans l’un d’eux qu’il rencontre Amy, la fille Clark à la voix chaude et aux cheveux fous. La fille à la guitare, dont il croit tomber amoureux. Chanteuse en veste à franges de chasseur, qui écrit des chansons et parcourt le pays à la recherche d’inspiration. Elle lui offre La Loi de la route, après avoir échappé à une tornade.

Arrivé au camp, le Frenchy – comme tout le monde va se mettre à l’appeler – rencontre Wild Bill, le barbu aux bottes noires de motard, et au tatouage intriguant. Qui dort avec un flingue sous l’oreiller… Dick le driver, l’insensé, le suicidaire. Pacheco, le mexicain, son fidèle coéquipier. Mack, qui le guide dans la forêt et lui délivre ses secrets, lui enseigne le langage des arbres, le sens de l’observation…

Avec Un été dans l’Ouest, Philippe Labro nous embarque pour une immersion dans les forêts du Colorado et nous offre un roman initiatique puissant. Nous voyageons aux côtés de ce Frenchy attachant ; avec lui, on est bouleversé par l’Ouest et sa nature – « les fleurs sauvages, les oiseaux et la musique des bêtes dans la nuit au cœur des forêts de l’Umcompaghre ; les signes et messages, pluie, soleil ou tornade, plusieurs fois venus du ciel vers moi. » Mais on est aussi saisi par la sauvagerie humaine… Au cours de cet été singulier et hors du temps, il apprend ce qu’aucun livre ou professeur d’Université ne lui enseignera jamais…

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« Convaincu, comme je l’avais appris en lisant Thoreau, que la seule question qui vaille d’être posée était : « Comment vivre ? Comment obtenir le plus de vie possible ? », je suis parti le cœur ouvert à la recherche de cette vie-là – cette vie de plus qui m’obsédait et que je sentais remuer en moi comme un grondement sourd qui meuble, la nuit, le silence de certaines zones industrielles, dont on ne sait d’où il vient mais qui signifie qu’un haut fourneau, quelque part ne s’arrête pas de brûler. »

Marcus Malte – Le garçon ***

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Folio – août 2018 – 592 pages

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Il n’a pas de nom, ne parle pas et n’a quasiment jamais vu d’autres humains à part la femme qui est sa mère. Cette femme qui finit par mourir, face à la mer – ou cet immense lac qu’elle prenait pour une mer. « Mer, mer » répétait-elle avant de s’éteindre. Ces mots ne cesseront de le hanter.

Nous sommes en 1908 lorsque le garçon se met en chemin et quitte le sud. Il semble avoir dix ou douze ans. Il marche, de jour comme de nuit, séjourne dans un canyon. S’abreuve à la nature. Sur son chemin, il fera des rencontres marquantes qui vont le façonner, l’enrichir ; certains personnages resteront gravés en lui…

Comme ces habitants d’un petit hameau perdu – les premiers humains qu’il rencontre… Parmi eux, l’homme-chêne et Gazou, l’enfant-torrent, l’homme-renard, la femme-mante, l’homme-dindon… Méfiants, ils finissent par l’accueillir parmi eux, mais sans jamais se départir de leurs accusations.

Comme Babrek, l’ogre des Carpates, philosophe et lutteur de foire. Ses longues tirades, ses maximes, ses récits et formules sur la vie… Il ne les oubliera jamais.

Comme Emma Van Ecke, un visage d’une beauté singulière, barré d’une cicatrice… Emma et leurs ébats, Emma son grand amour. « Mon amour, disait-elle. » Pour elle, il sera Félix, en référence à l’émotion qu’il ressent pour chaque morceau de Mendelssohn.

Et puis, la Guerre viendra le chercher – il sera alors Mazeppa, envoyé comme chair à canon sur les champs de bataille, ces brasiers dévastateurs qui révéleront sa face la plus sombre.

Roman initiatique porté par une plume flamboyante et poétique, d’une grande richesse, Le Garçon m’a transportée. J’ai savouré l’écriture de Marcus Malte, non dénuée d’ironie.

La Grande et la petite histoire s’entremêlent. Sur trente ans – de 1908 à 1938 – nous suivons ce garçon dans l’évolution de sa représentation et de sa compréhension du monde, de l’humain – entre noirceur et lumière. Malgré le « il » distant, nous sommes au plus près des sensations et sentiments de l’enfant puis de l’adulte que la vie fait de lui.

Les pages sur la guerre et ses horreurs m’ont fait frôler l’ingestion ; je garde en tête cette liste de disparus et de morts sur plusieurs pages. L’accumulation, l’excès, l’horreur transpirent des mots.

Un de ces grands romans, qui restent en mémoire un moment.

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« Et de grâce faites que le mystère perdure. L’indéchiffrable et l’indicible. Que nul ne sache jamais d’où provient l’émotion qui nous étreint devant la beauté d’un chant, d’un récit, d’un vers. »

« Qu’y a-t-il de précieux en ce monde? Qu’y a-t-il de sacré? »

Glendon Swarthout – Bénis soient les enfants et les bêtes ***

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Éditeur : Gallmeister – Date de parution : février 2017 – 176 pages

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Le Box Canyon Boys Camps. Situé en plein coeur de l’Arizona, ce camp de vacances pour garçons se targue de transformer les gosses de riches en vrais petits cow-boys. C’est dans ce camp que se rencontrent les six adolescents de ce roman.

Cotton. Les frères Lally. Goodenow. Teft. Schecker.

On les surnommes les Inaptes, les Tarés. Délaissés par leurs parents, ils ne peuvent dormir qu’avec leur poste radio allumés au fond de leurs sacs de couchage ; ils grincent des dents la nuit, pissent encore au lit… Cumulant les phobies, ils ne sont bons qu’à remporter le traditionnel pot de chambre lors des épreuves organisées par les moniteurs du camp.

Une nuit, les adolescents décident de s’enfuir du camp, de tenter l’aventure… mais laquelle ? Ils s’échappent à la suite d’un événement dont ils ont été témoins et qui les hante. Ils volent un pick-up et se retrouvent en pleine nuit à sillonner la montagne et le désert pour accomplir la mission qu’ils se sont assignée. Quel qu’en soit le prix à payer, ils iront jusqu’au bout…

Le récit alterne le présent de la fuite et le passé de chacun des adolescents. Une très belle plume, des personnages attachants… Un roman initiatique aux allures de western, court et incisif, qui manie avec talent l’humour, l’émotion et le suspense.

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« Nous naissons les mains souillées du sanf des bisons. Dans notre préhistoire à tous apparait la presence atavique de la bete. Elle broute les plaines de notre inconscient, elle pietine notre repos, et dans nos reves nous crions notre damnation. Nous savons ce sue nous avons fait, nous qui sommes un peuple violent. »

Véronique Ovaldé – Le sommeil des poissons ****

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Éditeur : Points – Date de parution : 2013 – 160 pages

4ème de couverture : « Tout en haut du mont Tonnerre, dans un drôle de village peuplé de femmes, l’une d’entre elles, la mano triste, attend patiemment dans sa maison à courants d’air. Elle attend les hommes qui remontent du fleuve à chaque saison douce, et surtout Jo géant, avec son cœur tout miel… Un voyage aux airs de conte, doux et inquiétant. »

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Le sommeil des poissons est le tout premier roman de Véronique Ovaldé, qui s’est surtout fait connaître grâce à son roman Ce que je sais de Vera Candida, qui a obtenu en 2009 le Prix Renaudot des Lycéens et le Prix France Télévisions. Ce premier roman ouvre le bal d’un univers très singulier et étonnant ; c’est en effet un véritable ovni littéraire : est-ce un conte ? une fable ? un roman ? ou encore, un thriller ?

Tout en haut du mont Tonnerre, il existe un village peuplé essentiellement de femmes, les « madous ». Parmi elles, il y a la mano triste, jeune femme en proie aux idées noires, qui semble toujours au seuil de l’attente dans sa grande maison à courants d’air. Le quotidien de ces femmes est rythmé par le cycle des saisons. Les hommes remontent le fleuve à chaque saison douce et la saison des pluies marque l’arrivée de la maladie grise qui s’empare des femmes trop vulnérables… La mano triste attend, luttant contre la maladie grise qui rampe sur les murs et tente de s’emparer d’elle, dans sa maison absorbée par la pluie, aux remugles de pierres humides, de terre et de mousse. Un jour, Jo le géant débarque au volant de sa Chevrolet jaune citron, « gros insecte acidulé qui bourdonnait sur les routes », avec le Bikiti, petite fouine, petit ragondin qui lui sert de « homme managé ».

A travers ce roman aux accents surnaturels, nous pénétrons dans des contrées inconnues et lointaines ; l’époque et le lieu sont indéterminé, l’intrigue pourrait très bien se dérouler n’importe où dans le monde, ou en dehors du monde… Les personnages comme les lieux sont empreints d’une inquiétante étrangeté. On est immergé dans un univers tout aussi étrange que déroutant, où la folie, la solitude et la sorcellerie hantent ce village perché.

Autant le dire tout de suite, c’est un roman qui peut séduire immédiatement tout comme il peut rebuter et faire fuir  : l’écriture est très particulière. Elle reproduit le style oralisé propre à l’énonciation des conteurs; les marques d’oralité sont nombreuses, les tournures de phrases très familières dans certains cas, et le texte est parsemé de tics de langage, de jeux de mots insolites, de mots qui semblent inventés tellement ils sont curieux. Dans mon cas, ce fut un coup de cœur! De ce roman spectaculaire, il émane une force d’écriture singulière, voire irréelle. On est véritablement saisi et captivé à sa lecture.

Le récit frôle l’horreur, il est empreint de la féerie des contes, de leur folie… Véronique Ovaldé se joue de la noirceur des contes, elle les réinvente à sa façon. L’auteur dépeint un monde très fantaisiste qui reprend le non-sens et les non-lois de l’univers merveilleux, tout en les détournant dans un savant jeu de cache-cache avec le réel.

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« L’été, sous le mont Tonnerre, est une longue saison de tambour et d’hébétude. Les petits sont dehors et se chamaillent en criailleries aiguës. Les plus jeunes gravissent le mont, se mettent en boule et roulent comme des cailloux jusqu’en bas, débargoulant à toute allure en glapissant. Ronds comme des porcs-épics, ils tournent et tournent dans un grand bruit d’apocalypse. »

« Là-bas, dans la forêt, les singes hurleurs honorent leur nom, les arbres s’agitent dans un froussement d’ailes – les ailes multipliées de milliers d’oiseaux envolés, un bruit de plumes et d’effarouches -, là bas, au fond du fleuve, les poissons dorment, les yeux ouverts, et attendent patiemment leur heure. »

Abha Dawesar – Babyji ***

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Éditeur : 10-18 – Date de parution : 2007 – 473 pages

4ème de couverture : « Dans une Inde encore déchirée par la violence des castes et les sanglantes manifestations contre le gouvernement, Babyji, une petite Lolita indienne de Delhi, conjugue la passion du savoir et le plaisir des sens. Entourée de trois femmes que tout oppose, elle cherche sa voie, tiraillée entre un avenir incertain et un passé étouffant. Au travers du jeu des possibles, Abha Dawesar offre, avec ce roman initiatique délicieusement subversif, un voyage sensible au cœur de l’Inde moderne… »

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Lycéenne brillante, la tête pleine d’idéaux et se destinant à une grande carrière d’ingénieur, Anamika voit sa vie bouleversée par la découverte de la sexualité. Découverte qui amène d’autant plus de questions qu’elle se déroule de manière très peu conventionnelle. Ses premières amours sont en effet exclusivement féminines : une femme divorcée, sa nouvelle domestique, appartenant de surcroît à une caste bien inférieure à la sienne, et une de ses camarades d’école. Sa confrontation avec le désir masculin ne se déroulera pas plus sereinement : harcèlement sexuel dans le bus, propos obscènes d’un étudiant de basse caste, assiduités gênantes du père de son meilleur ami. En fait, Babyji rompt en quelques semaines tous les tabous de l’Inde : respect et déférence envers les aînés, séparation stricte des castes, respect des traditions contre le modernisme qui cherche à s’imposer. Ce récit, qui développe tous les attributs du roman initiatique, donne dans un premier temps une impression de légèreté puis, au fil des pages, devient plus grave. L’adolescente se pose beaucoup de questions sur la vie, l’amour, le désir, l’avenir surtout, dans une Inde qu’elle aime plus que tout, mais dont elle a besoin aussi de se défaire. Ce n’est pas un coup de cœur, je ne m’attendais pas à une telle intrigue, mais Anamika et l’ensemble des personnages deviennent au fur a et mesure très attachants. L’écriture de l’auteur est fluide et j’ai beaucoup aimé les nombreuses références à la littérature.

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 » – Je n’arrive pas à comprendre.

– Quoi ? Les systèmes binaires ou les spectres ?

– De quelle façon on doit vivre sa vie, ce qui est bien et ce qui est mal, ce que nous devrions désirer, si notre morale doit s’appliquer à ce que nous désirons ou à ce qui est établi par la société.

J’étais à bout de nerfs.

– Nous sommes encore à l’école, nous ne pouvons pas déjà savoir tout ça, répondit-il, en secouant la tête.

– Il faut que je sache la vérité. La vérité représente tout.

– La vérité sur quoi ?

– La vérité sur la vie et sur l’amour. La vérité sur la vérité.

J’étais au bord des larmes. Pourquoi une personne qui savait tout ne pouvait-elle pas me prendre à part et tout m’expliquer ? Comment se faisait-il que les gens ne sachent rien ? Comment des milliards de personnes avaient-elles pu passer sur cette Terre pendant des milliers d’années sans jamais avoir trouvé la réponse à ces questions ? Je mourrais s’il me fallait encore attendre. C’était la seule chose qui comptait. Tout reposait là-dessus. »