Pauline Delabroy-Allard – Ça raconte Sarah ***

Editions de Minuit – 2020 – 192 pages

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Dès les premiers mots, j’ai senti la puissance de ce texte que j’avais très envie de lire après avoir adoré le recueil poétique Enracinées que Pauline Delabroy-Allard a écrit avec sa sœur.

La narratrice rencontre Sarah dans une soirée. Sarah aux yeux verts et tombants, Sarah si vivante et différente. Sarah dont elle tombe amoureuse.

Un roman qui raconte la passion amoureuse, en deux parties ; la première où l’amour, tel un tsunami, submerge la vie de la narratrice. La seconde, dans laquelle l’absence sature tout l’espace. C’est le temps du deuil, et de l’exil italien – à Trieste. Où elle se rend compte que la beauté du monde est toujours intacte…

Ca raconte Sarah est un texte éminemment poétique et fougueux ; les mots racontent la passion qui chavire et chamboule tout, mais aussi la douleur de la perte, de la fin. Moi qui suis plutôt frileuse quand il est question d’amour en littérature, je me laisse emporter par la plume chatoyante de l’autrice. « Mais comment est-ce possible, que la beauté perdure après la catastrophe, après l’innommable? » Ça raconte la douleur de continuer à vivre après la fin du monde.

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Grégoire Delacourt – Une nuit particulière **

Grasset – 1er mars 2023 – 200 pages

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Au crépuscule, une femme se retrouve seule, dans la rue, en proie au chagrin : son mari la quitte, après 30 ans ensemble. Elle décide alors de suivre le premier inconnu venu et de passer la nuit avec lui. Elle s’appelle Aurore. L’inconnu, Simeone. Ensemble, ils vont marcher dans les rues de Paris, boire du cognac, refaire le monde. Se souvenir. Se séduire.

L’amour et la mort, intimement liés au désir – les mêmes thèmes, qui semblent chers à l’auteur, reviennent à travers ce roman, à la façon d’une entêtante mélodie.

« La mort pouvait être le point d’orgue d’une histoire d’amour. »

Une nuit particulière est un roman court et vif sur la perte d’un amour, qui se lit d’une traite. La plume de Grégoire Delacourt est certes belle – les mots sont toujours habilement choisis. Mais elle est parfois si mélodramatique et grandiloquente que ça en devient agaçant. J’ai trouvé très peu vraisemblable de tomber comme ça sur un inconnu dans la rue, qui aime la poésie, et dont on n’a rien à craindre… Et puis certains passages ont des airs de déjà vu ; ils me font en effet penser à un autre de ses romans, Danser au bord de l’abîme, lu il y a peu – mêmes dialogues, mêmes thèmes – un homme malade qui ne veut pas se soigner puis qui l’accepte finalement. Une femme qui s’éprend d’un inconnu, le désire.

Et vous qu’en avez-vous pensé ?

Barbara Kingsolver – L’Arbre aux haricots ****

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Rivages – 1995 – 288 pages

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Marietta Greer saute dans la voiture offerte par sa mère et quitte son Kentucky natal un matin. Elle quitte cette région où les filles commencent à faire des bébés avant même de connaître leurs tables de multiplication.

Au volant de sa vieille coccinelle Volkswagen, la jeune femme ne désire qu’une seule chose : rouler vers l’ouest jusqu’à ce que sa voiture rende l’âme. Gardant en tête le 1-800-Seigneur, la ligne d’appel de secours qu’elle se remémore comme un mantra, juste au cas où.

Elle se choisit un nouveau nom aussi, au hasard des hameaux qu’elle traverse : ce sera Taylor. À cause de l’arbre de transmission de sa voiture qui tombe en rade, Taylor se retrouve dans un petit coin paumé de l’Oklahoma, en plein milieu des Grandes Plaines. Sur le parking d’un bar miteux, une femme lui dépose un bébé sur le siège passager de la voiture… une petite indienne. A qui elle donnera le nom de Turtle. Et qu’elle va finir par considérer comme son enfant.

C’est un pneu crevé qui les amène à s’arrêter en Arizona, à Tucson, au petit garage Seigneur Jésus, Pneus d’occasion. Elle y rencontre la douce Mattie, garagiste au grand cœur qui héberge des clandestins. Et Lou Ann, originaire du Kentucky comme elle, larguée par son macho d’Angel alors qu’elle était enceinte de son fils, Dwayne Ray. Elles partagent ensemble une maison.

L’Arbre aux haricots est un roman doux et drôle à l’écriture sensitive et magnétique. Comme je l’ai aimé ; émouvant juste ce qu’il faut. Je me suis prise d’affection pour Turtle et Taylor avec son ton toujours à moitié moqueur et bravache ; un délice. Je n’avais pas la moindre envie de les quitter. En fait, tous les personnages de ce roman sont attachants ; ces amitiés, ces liens indéfectibles qui naissent. Ce livre est une douceur ; il nourrit nos réflexions sur la vie, la mort, le destin et la filiation. La perte, aussi. Une petite pépite de littérature américaine que je range sur l’étagère des indispensables.

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Stéphanie Dupays – Comme elle l’imagine ***

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Mercure de France – mars 2019 – 168 pages

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Laure rencontre Vincent sur Facebook. Au détour d’une publication, leurs commentaires se lient. De publiques, leurs conversations deviennent privées. Les nuits d’insomnies s’enchaînent, les mots se déversent d’un compte à l’autre, d’un numéro à l’autre et des liens se tissent, étrangement ténus. Ils s’échangent mille sms par jour et l’éminente professeur à la Sorbonne ne semble vivre que pour le son qu’émet son téléphone lorsqu’elle reçoit un sms de Vincent.

L’auteure analyse le sentiment amoureux dans cette absence de l’être aimé, cette distance et cette correspondance moderne ; analyse de sms, convocation de Proust et de Flaubert pour tenter de décrypter le moindre mot et la moindre virgule… L’absence qui, pour Marcel Proust, est « la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences. » Un roman à la plume sensible et efficace, qui m’a séduite et qui regorge de phrases terriblement justes sur l’amour, le désir. « Être amoureux c’était donner à l’autre la possibilité de blesser. Pouvait-on aimer sans abandonner toutes ses armes? »

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« Ce n’était pas une mélancolie paralysante, plutôt un simple voile gris brouillant son regard et tissé de tous ces scandales banals que sont les parents qui vieillissent, les amis qui s’éloignent, le monde qui devient de plus en plus brutal. »

« Vincent lui manquait, si tant est que l’on puisse ressentir comme un ma que l’absence d’un homme dont on n’a jamais connu la présence et qui n’est qu’une image pixélisée enveloppant un amas de signes. »

Salvatore Basile – Petits miracles au bureau des objets trouvés ***

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Folio – 21 mars 2019 – 400 pages

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Dans la petite gare italienne de Miniera di Mare, Michele collectionne les objets qu’il trouve sur les sièges du train lorsqu’il fait sa tournée le soir. Depuis 30 ans, le jeune gardien n’a jamais quitté cette gare où, enfant, il a vu sa mère disparaître en emportant son journal intime.

Michele est un homme solitaire et naïf qui ne parle quasiment pas. Il demeure marqué à vie par l’abandon de sa mère et par l’idée que les gens – et en l’occurrence les femmes – finissent toujours par s’en aller. Le jeune homme s’est juré de ne jamais plus faire confiance à personne. C’est tellement plus simple de ne faire confiance qu’aux objets, ils ne parlent pas ne pensent pas et ne trahissent pas. Michele est paralysé par la peur d’un nouvel abandon et sa petite routine le rassure.

Un soir, Elena, une jeune femme de 25 ans, frappe à sa porte, à la recherche de sa poupée Milù. C’est un ouragan qui débarque alors dans sa vie. C’est la première femme qui lui parle après tant d’années, la première personne à pénétrer son antre et à faire voler en éclat sa solitude.

Quelques jours plus tard, pendant sa tournée rituelle des wagons, Michele découvre, coincé entre deux sièges, le journal intime de son enfance, ce cahier à la couverture flamboyante.

L’aventure prend Michele à bras le corps ; il va devoir sortir de sa coquille, faire des rencontres, adresser la parole à des inconnus… Il rencontrera une vieille femme aux cheveux violets et un olivier avec une trace d’ongle ; une jeune femme aveugle qui lui apprendra à voir le monde autrement ; un vieux Grec un peu fou qui voyage depuis le toit-terrasse de sa maison, en quête du Paradis Terrestre… A l’image de cet homme qui abandonne femme et enfant pour se lancer à la poursuite de l’ours polaire.

Le roman de Salvatore Basile est profondément bienveillant, on y rencontre des personnages auquel on ne peut que s’attacher. J’aurais pu le trouver trop niais, trop attendu… être déçue par l’écriture, qui ne m’a pas toujours convaincue – pas mal de répétitions, certaines lourdeurs…

Mais l’impression que je garderais est celle d’un roman lumineux – un vraie bouffée d’oxygène – qui offre une belle réflexion sur l’amour, la confiance et l’abandon. Un roman qui a un petit côté bouleversant. Je me suis finalement laissée émouvoir par son message optimiste et j’ai simplement savouré ces petits miracles, je m’en suis nourris et délecté.

Isabelle Arsenault & Fanny Britt – Louis parmi les spectres ***

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Éditeur : La Pastèque – Date de parution : octobre 2016 – 160 pages

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« Je me souviens qu’en dehors des voitures de police banalisées, rien, nulle part, dans ma vie, n’est simple. »

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Après avoir eu un coup de ❤ pour Jane, le renard et moi, c’est avec bonheur que j’ai retrouvé le duo créateur Isabelle Arsenault & Fanny Britt. Dès les premières pages, l’émotion était au rendez-vous, encore une fois.

On découvre l’histoire de Louis et de son petit frère Truffe – l’innocence incarnée. Des parents qui se séparent. Deux frères qui se trouvent alors ballotés entre un père alcoolique et une mère angoissée.

 

Louis est amoureux de Billie, une « sirène à lunettes, une tempête de pluie, une fontaine à chocolat, une reine muette » qu’il n’ose pas aborder. Elle parle peu, défend les opprimés de la cour de récré et lit un livre par semaine.

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Des dessins en noir et blanc – l’intervention de la couleur symbolisant l’espoir et ces petits bonheurs qui font irruption dans un quotidien souvent terne et triste. Crayon et aquarelle. Délicatesse, douceur et poésie composent ce roman graphique. Un vrai moment de poésie, une lecture en suspension.