Nastasia Rugani – Tous les héros s’appellent Phénix ****

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Ecole des loisirs – 2014 – 205 pages

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Phénix et sa petite sœur Sacha rentrent de cours à pieds. Ce soir-là, la voiture de monsieur Smith s’arrête sur le bas côté. Monsieur Smith n’est autre que le professeur le plus fascinant et séduisant du lycée, charismatique à souhait, il a plus de connaissances qu’un Trivial Poursuit. A bord de sa Chevrolet immaculée, il propose aux deux sœurs de les raccompagner chez elles.

Quand ils arrivent devant leur maison, ils découvrent Erika, la mère, devant un brasier composé des meubles du père. Ce père parti sans donner de nouvelles, les abandonnant du jour au lendemain, un 1er juillet devenu maudit. Ce père complice, avec lequel les deux sœurs faisaient les 400 coups. Qui aimait les livres et les plantes. De lui, il ne reste que sa serre, somptueuse. Phénix en garde la clé, précieusement attachée à son cou.

Le quotidien d’Erika et des sœurs Coton va changer radicalement le jour où Jessup Smith entre dans leurs vies. Il réussi à conquérir le coeur de Sacha, puis celui d’Erika. Seule Phénix demeure un peu sur ses gardes. Les étranges sautes d’humeur autoritaires et cassantes sans raison de Jessup ne lui échappent pas et lui mettent la puce à l’oreille… Cet homme aux faux airs de Gregory Peck va rapidement faire partie de la famille, et révéler un tout autre visage.

Comme j’ai aimé ces deux sœurs, les liens si forts qui les unissent. Phénix, l’aînée, solitaire, amoureuse d’un beau blond qu’elle attend secrètement chaque vendredi au détour d’un couloir au lycée. Et Cha, petite fille de huit ans très sensible, plus intelligente que la normale, fan de films d’horreur. Les sœurs dévorent les livres et sont déjà incollables sur Gatsby, Tchekhov…

Une lecture intense qui m’a fait renouer avec la plume si singulière et poétique de Nastasia Rugani, nourrie de nombreuses références littéraires. Une lecture effectuée comme en apnée, le ventre noué, le coeur lacéré pour ces deux gamines livrées au Diable.

J’avais déjà eu un beau coup de ❤ pour Milly Vodovic.

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Denis Rossano – Un père sans enfant ****

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Allary Editions – Août 2019 – 368 pages

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Le père, c’est Douglas Sirk, metteur en scène de théâtre dans les années 20 et l’un des réalisateurs fétiches de Goebbels dans les années 30 en Allemagne. Marié à une juive, il doit fuir l’Allemagne nazie… Il trouvera refuge à Hollywood.

L’enfant, c’est Klaus Detlef Sierck, le fils que Douglas a eu avec sa première femme, une actrice déchue qui plonge la tête la première dans les méandres du nazisme. Lorsqu’ils divorcent en 1928, Lydia lui interdit de revoir Klaus, qui n’a alors que quatre ans.

Pour nous raconter son histoire, Denis Rossano se glisse dans la peau d’un étudiant en cinéma des années 80 qui rencontre Douglas Sirk. Il fait le voyage jusqu’à Lugano, en Suisse, pour le voir. Sirk est alors un vieil homme de quatre-vingts ans. Ensemble, ils se retrouvent au bord du lac et ils discutent. De cinéma bien sûr. Mais aussi de littérature, de théâtre, de philosophie…. L’étudiant est animé d’une insatiable soif de savoir. A travers les dialogues, le vieil homme se dévoile, livre des pans de son passé et c’est le Berlin des années 30 qui revit, la propagande, son ascension fulgurante dans le cinéma allemand de la propagande, son exil américain avec Hilde…

Le cinéaste de génie ne livre quasiment rien sur Klaus, le fils perdu, l’enfant aux yeux bleus et aux cheveux blonds comme les blés, qui fut l’égérie du cinéma nazi… Cet enfant dont l’absence est intolérable et qui hante l’oeuvre cinématographique du père.

Une des seules fois où ce sujet brûlant est abordé, le cinéaste aura ces mots : « Klaus, c’est ce qui continuera de me briser jusqu’à mon dernier souffle. Il est ma débâcle, ma dévotion, ma tendresse, ma honte, mon regret. Klaus est l’enfant des souvenirs qui ne cesseront jamais de faire mal. » Une déclaration d’amour vibrante.

Un Père sans enfant est un roman vrai, écrit avec beaucoup de pudeur et d’émotions. Un récit abouti qui dégage une force romanesque rare et qui m’a tout à la fois bouleversée et fascinée.

Jonglant entre réalité et imagination, Denis Rossano nous livre le portrait magnifique d’un père torturé par son histoire et hanté par ce fils qu’il n’a pu sauver et qu’il n’a jamais revu, sinon sur un écran de cinéma.

Vous l’aurez compris, ce roman est un coup de ❤ et je ne peux que vous le recommander…

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« Un lac dans les montagnes de Bavière. L’eau a gelé dans la nuit ; maintenant, c’est l’aube et le ciel s’éclaircit. Une brume d’aurore flotte encore, elle va se dissiper lentement. Un homme se tient debout sur la rive, chaudement vêtu. Il serre contre lui un tout petit garçon. – Regarde Klaus. C’est la nature qui respire. »

Frédéric Boudet – Surf ***

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Editions MeMo – Grande Polynie – Août 2019 – 224 pages

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Adam, étudiant parisien, revient plus tôt que prévu à Brest, chez sa mère, ce petit bout du monde qu’il atteint après un long voyage en stop. Quelques jours auparavant, il a reçu une lettre d’une femme lui apprenant la mort de son père d’un cancer, il y a deux mois. La lettre provenait de Flagstaff en Arizona. Ce père qui est parti étudier les Navajos et qu’il n’a pas revu depuis ses huit ans. La lettre n’est pas arrivée seule : avec elle, un petit paquet de lettres enveloppées dans un plastique épais et poussiéreux… des lettres que son père lui écrivait sans jamais les envoyer.

À Brest, Adam retrouve son ami d’enfance Jack, ce géant de deux mètres avec ses éternelles Ray-Ban, ce fou émotif fan de surf et de bruits avec qui, adolescent, il communiquait par télépathie et qui l’accompagnait dans ses flâneries dans les rues en disséminant des autocollants aux slogans philosophiques et nébuleux, propageant ses petits manifestes littéraires hallucinés. Aux cotés de Jack, il y a désormais l’étrange Aeka, une jeune japonaise qui enregistre le moindre son, le moindre bruit pour nourrir ses compositions acoustiques spéciales, à la recherche du son de l’angoisse sacrée.

Depuis qu’Adam a reçu la lettre, les souvenirs de son père affluent ; leurs baignades, leurs balades dans les champs et les forêts de la lande bretonne, les histoires à dormir debout qu’il inventait… De chacune des lettres, la voix du père résonne. Adam se questionne : pourquoi l’a-t-il abandonné ? Pourquoi n’a-t-il jamais donné de signe de vie ?

Quand il n’est pas occupé à questionner le souvenir de son père, Adam se retrouve avec Katel, qu’il a rencontré sur la route. Katel et son grain de beauté sur la lèvre. Katel et ses mots comme des pansements.

« Chaque jour le présent dévaste ce qui fut. » Cette phrase, Adam l’a collée dans toute la ville. Il est hanté par le temps qui file sans prévenir ; le temps qui nous dévore peu à peu. Il conserve la moindre chose, vivant dans la peur que tout disparaisse un jour, parce qu’il sait que la mémoire n’enregistre pas tout – « ça ne t’a jamais paru insensé que la plupart des gens soient incapables de se débarrasser des objets qui composent leur passé ? »

Surf est un portrait de jeune homme saisissant et émouvant, à la recherche de ce père qu’il n’a jamais revu. Hanté par ses souvenirs d’enfant et les images qu’il conserve de lui dans sa mémoire. Un roman poignant et juste, parsemé de poésie« écouter le sang de l’être rouler dans les veines de la voie lactée » -, qui nous fait réfléchir sur la mémoire, la perte, le temps, la folie des uns et des autres… A lire et relire. ❤

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« Adam murmure, il murmure et le vent , l’air sont une compresse douce contre ses lèvres, un pansement de silence. Il ouvre la bouche, ses yeux, sa poitrine, et il est presque aussi grand que le terrain dénudé autour de lui, presque aussi grand que le quartier, la ville, la rade, il devient la rade, l’océan et la houle – il y a quelque chose qui se tient là, quelque chose ou quelqu’un. »

 

 

Richard Lange – La dernière chance de Rowan Petty ***

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Albin Michel – février 2019 – 416 pages

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Rowan Petty est un escroc en fin de parcours : ses arnaques commencent à s’essouffler. Quand il n’arnaque pas les petits vieux et les veuves esseulées, il triche au poker pour joindre les deux bouts. Sa femme l’a quitté pour un autre il y a dix ans, sa fille ne lui adresse plus la parole depuis des années…

Et puis un jour, il reçoit l’appel de Don, un vieil ami de son père qui lui propose une mission de la dernière chance : filer à Los Angeles où seraient planqués 2 millions de dollars détournés en Afghanistan par des soldats américains. Le souci, c’est que l’info provient d’un détenu complètement camé… Alors y croire ou pas ?

Los Angeles, ville de tous les fantasmes, ville qui miroite dans ses yeux… C’est aussi celle de tous les camés et paumés. Mais Los Angeles, c’est surtout la ville où vit sa fille, Sam. Alors Rowan accepte de se lancer dans l’aventure, avec l’aide de Tinafey, une prostituée black croisée dans la rue, et en profite pour revoir sa fille. Il ne sait pas encore que c’est sa vie qu’il engage.

Le dernier roman de Richard Lange réunit tous les ingrédients pour en faire une lecture addictive. Une intrigue parfaitement menée qui tient en haleine, un escroc attachant pour lequel on ressent énormément d’empathie et un roman aux forts accents de thriller. La dernière chance de Rowan Petty, c’est aussi un roman sur la parentalité ; Rowan et le sentiment de honte qu’il le hante face à l’abandon de sa fille, sa culpabilité, ses petites trahisons mesquines. La relation de Rowan et Sam met aussi en lumière le système de santé américain catastrophique.

Lecture faite dans le cadre du #PicaboRiverBookclub

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« Ils n’en finissaient plus de monter quand, brusquement, ils sortirent du canyon et se retrouvèrent sur une route où chaque virage révélait une vue différente sur Los Angeles et son quadrillage orangé s’étalant à l’infini. Le spectacle de la ville tentaculaire enchanta Petty. Tant de rues, connectant tant de gens. »

Timothée de Fombelle & Isabelle Arsenault – Capitaine Rosalie ****

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Gallimard Jeunesse – 2018 – 64 pages

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Avant même d’ouvrir cet album, je sais que j’ai affaire à un petit bijou… Timothée de Fombelle et Isabelle Arsenault sont pour moi deux belles personnes, deux artistes que j’admire énormément.

Rosalie, c’est cette enfant de 5 ans et demi aux cheveux roux, planquée au fond de la salle de classe, à demi cachée par les manteaux des grands, qui dessine dans son cahier du matin au soir. Une enfant qui cache une âme de capitaine et qui a une mission à accomplir… « Chaque jour, je suis à mon poste, capitaine Rosalie, au fond de la classe en embuscade sous les manteaux. » Sa mère travaille à l’usine depuis le début de la guerre et son père est au combat. Nous sommes en 1917.


 

Je n’en dis pas plus pour vous laissez le plaisir de découvrir cet album sublime.

 


Poésie, délicatesse, malice. Et flamboyance des illustrations. Ombre et lumière s’épousent. Force et douceur se dégagent des illustrations : cette lecture m’a donné des frissons et m’a émue à un point... Timothée de Fombelle est un conteur hors pair et Isabelle Arsenault une magicienne. Définitivement. ♥️

 

Patrick Poivre d’Arvor – La Vengeance du loup ***

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Grasset – 9 janvier 2019 – 320 pages

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Charles n’a que douze ans lorsque sa mère meurt d’un cancer. Elle était tout pour lui, mère, confidente, femme de sa vie, idole. Avant de mourir, elle lui confie l’identité de son vrai père : c’est un acteur connu. La monde de Charles vacille. Pour survivre à la perte de sa mère, il s’accroche férocement à son ambition et ses études. Après l’obtention du bac, le fils abandonne le père adoptif taiseux et misanthrope qui n’a jamais su faire preuve d’affection, pour monter à Paris faire ses études de droit.

Il entre à Sciences Po avec en tête son rêve d’enfant : devenir président de la République. Lorsqu’il rencontre enfin son père, à l’âge de dix-huit ans, il lui confie cette folie. Ce dernier lui confie à son tour l’histoire de son propre père – le grand père de Charles. Nous sommes propulsé en pleine Algérie coloniale des années 1940. Le grand-père Guillaume fait ses études de droit à Alger ; en 1940 il a dix-huit ans. Son histoire est celle d’un amour interdit et clandestin ; celle aussi d’une famille déshonorée et brisée…

En entamant la lecture de ce roman, je n’avais aucune attente particulière.

Charles est un curieux personnage. Ni attachant ni antipathique. Mais j’aime cet enfant qui vit encore en lui, alors même qu’il est ce jeune loup ambitieux qui tentent de se faire une place dans ce monde sans pitié et qui accepte de venger son grand-père Guillaume, avec la complicité de son père, Jean-Baptiste d’Orgel.

La Vengeance du loup est une lecture addictive, portée par une très belle écriture ; j’ai littéralement été happée par cette histoire de vengeance qui se transmet comme un héritage et cette plongée dans le pouvoir politique, sa quête et ses échelons. Un roman initiatique passionnant, dévoré avec délectation ; romanesque et entêtant. J’ai même souri en reconnaissant une ou deux figures politiques sous les traits de certains personnages. Mais qui me laisse sur ma faim ! On attend la suite…

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« Ne regrette jamais rien dans la vie. Tente, ose, casse-toi la figure, mais essaie au moins d’aller jusqu’au bout de tes rêves. Il n’y a rien de plus détestable que la rancœur et la frustration. »

Gabriel Tallent – My Absolute Darling ***

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Éditeur : Gallmeister – Date de parution : mars 2018 – 464 pages

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Mendocino. Turtle – alias Julia Alveston – est le personnage central de ce roman. Quatorze ans, les yeux bleus et froids, l’adolescente est sous la coupe malsaine d’un père fou, possessif, violent et incestueux. Malgré – et sans doute à cause de – cette relation abusive, Turtle demeure très attachée à lui ; leur relation est aussi fusionnelle que malsaine – « Toi et moi, lâche Turtle. Contre le monde entier. » Une relation faite de crainte autant que d’amour.

Les seuls contacts que Turtle peut avoir avec les autres, c’est grâce à l’école où elle s’ennuie ferme. L’adolescente, très méfiante, repousse quiconque cherche à percer sa carapace. Ce qu’elle aime par dessus tout, c’est errer dans les bois de la côte Nord de la Californie, marcher sur des kilomètres sans ressentir aucune fatigue, avec son couteau et son pistolet pour seuls compagnons.

Turtle a un caractère bien singulier, façonné par l’éducation de son père qui n’a eu de cesse de lui farcir la tête avec ses idées de fins du monde, ses mises en garde incessantes contre la dangerosité du monde. L’adolescente a une si mauvaise opinion d’elle même : intérieurement, elle passe son temps à se traiter de pouffiasse, connasse… Au cours de l’une de ses errances sauvages, Turtle rencontre sur Brett et Jacob, deux adolescents perdus alors que la nuit tombe. Elle s’attache à eux, et devant cette amitié naissante, elle va peu à peu larguer les amarres par rapport à son père.

Un roman terrible et hallucinant, que j’ai dévoré à une vitesse effroyable. Je l’ai trouvé tout simplement grandiose. Ce style acéré… Certaines scènes et descriptions sont insoutenables et la langue de Gabriel Tallent est parfois tellement crue et violente. My Absolute darling est un roman que l’on ne peut oublier, un roman sombre qui nous révèle une héroïne atypique et attachante, qui nous émeut profondément.

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« Elle reste assise à contempler la plage et elle pense, Je veux survivre à tout ça. Elle est surprise par la profondeur et la clarté de son désir. »

Guy Boley – Quand Dieu boxait en amateur ****

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Éditeur : Grasset – 29 août 2018 – 192 pages

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Besançon. Le père de Guy Boley y est né, dans un quartier périphérique, loin des
Notaires et des godasses, près d’un no man’s land de locomotives. Ce quartier, il ne l’a jamais quitté ; il y est mort.

Guy Boley écrit sur cet homme qui l’a tant marqué ; il nous raconte ce père aimé et admiré ; ce père qui fut champion de boxe, acteur, chanteur, acrobate et forgeron. Enfant, il craignait que son père ne souffre trop sur scène lorsqu’il interprétait Jésus crucifié. A l’époque, son père c’est Dieu. Et il y croit dur comme fer. « Roi sur un ring, Jésus sur scène, Zeus dans la forge, il était monté bien trop haut pour se permettre de descendre comme un simple mortel… »

Au début des années 90, il fait un AVC, devenant hémiplégique et perdant l’usage de la parole. Après sa mort, Guy fait la découverte d’un petit carnet – remplis de chansons, poèmes, mots farfelus. Le fils décide de raconter le père, ce héros – son héros. « Il me faut désormais le recoudre, ce passé déchiré, assembler pièce par pièce le manteau d’Arlequin… »

L’écriture de Guy Boley fait mouchevirtuose, elle mêle poésie, humour et émotion brute. L’écrivain sublime la figure paternelle par la fiction.

Il ne m’a suffit que de quelques mots pour être embarquée dans ce roman biographique. Les personnages ont pris vie sous mes yeux presque instantanément, grâce à une langue poétique et imagéeFils du feu m’avait bluffée ; la magie opère à nouveau avec ce nouvel opus… Un gros coup de cœur et un incontournable de cette rentrée littéraire ! ❤ ❤ ❤

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« Quand on se façonne un destin sur l’enclume ou sur le ring, forgeron ou boxeur, qu’importent les matériaux : ferraille ou chair humaine c’est du pareil au même. »

Valentine Goby – Un paquebot dans les arbres ***

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Editeur : Actes Sud – Date de parution : août 2016 – 272 pages

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Mathilde Blanc erre en lisière de l’ancien sanatorium où son père fut interné il y a une cinquantaine d’années. Lentement, elle remonte le fil du passé, se souvient de son enfance à La Roche Guyon, avec ses parents, sa sœur Annie, et son frère Jacques. Nous sommes dans les années 50, Mathilde a neuf ans ; ses parents tiennent un bar, Le Balto, où chaque samedi soir son père organise un bal qui fait sensation dans toute la ville. Au milieu de la foule, Paulot fait danser et chanter, son harmonica rivé aux lèvres. Tout prend fin le jour où il se retrouve atteint de pleurésie. Dès lors, les mauvaises langues se délient et tout le monde évite la famille Blanc, par peur de la contagion. Les dettes s’accumulent, les séjours au sanatorium et les soins coûtent cher lorsqu’on n’a pas la sécurité sociale… La famille quitte le Balto, puis La Roche. Paulot devient méconnaissable. Lorsque les deux parents sont diagnostiqués tuberculeux, Mathilde et son frère se retrouvent placés en famille d’accueil.

Mathilde est une héroïne terriblement attachante, au caractère fougueux. C’est un vrai garçon manqué ; elle n’en loupe pas une pour impressionner son père. Elle est « la fille en short jaune prête à se rompre le cou pour arracher un regard à Paulot, qui marche en funambule sur les murs du donjon, fait craquer la glace de la Seine, peut mourir pour lui. » Inlassablement, à travers les risques qu’elle prend, Mathilde cherche l’amour de ce père qui aurait tant désiré un fils. Envers et contre tout, elle aime ce père qui l’appelle « mon p’tit gars ».

Ce roman m’a rappelé par moments Profession du père de Chalandon, pour l’époque – guerre d’Algérie – et l’amour sans concession d’un enfant pour son père. Un roman terriblement marquant et émouvant, dominé par le spectre de la tuberculose et par une figure paternelle que je ne suis pas prête d’oublier.

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« Elle accompagne le mouvement du soleil de minute en minute, une invisible migration vers l’ouest. C’est le plus grand amour, cet amour-là, elle se répète. Oui, le plus grand amour. »

Sorj Chalandon – Profession du père ***

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Éditeur : Le Livre de Poche – Date de parution : août 2016 – 281 pages

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Emile assiste à l’enterrement de son père. C’est pour lui l’occasion de se souvenir de ce père autoritaire, mythomane, violent, cruel et extrême dans ses émotions & ses attitudes, obsédé par la guerre et l’Algérie. Emile remonte le temps, se retrouve petit garçon de neuf ans, dans les années 60, sous le régime du Général de Gaulle, dans un climat singulier.

On découvre un père hanté les fantômes de la guerre d’Algérie, l’OAS… Un père espion, mais aussi Compagnon de la Chanson, professeur de judo, parachutiste à la guerre, footballeur professionnel, pasteur américain, conseiller du Général…

La figure du père mise sur un piédestal, ce grand affabulateur, qui bat femme et enfant, qui fait croire qu’il est agent secret et parvient à embrigader son fils. Ce fils qui fait confiance à la figure paternelle complètement folle et qui, même une fois adulte, veut encore y croire. Croire à cette vie de fiction démesurée que son père s’est inventée. La personnalité du père est à la fois fascinante et dangereuse. Un roman poignant, terrible, porté par une très belle plume.

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« Il m’appellerait au secours. Moi, le rebelle, le petit Frenchie, le prisonnier de son placard. Je serais triste et seul. Infiniment seul. Je serais malheureux. Tout chagrin de lui. Et je m’en voudrais tellement de toujours l’aimer. »