Pauline Claviere – Les Paradis gagnés ***

Grasset – avril 2022 – 400 pages

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Quel plaisir de retrouver la plume de Pauline Claviere avec ce nouveau roman. J’ai beaucoup aimé les retrouvailles avec ses personnages, découverts dans Laissez-nous la nuit, un premier roman étonnant et puissant. Max, sorti de prison, qui cherche à retrouver une vie normale mais demeure hanté par son séjour carcéral. Ilan, toujours rongé par la quête de son frère et de son père. Marcos, son acolyte de cellule, hospitalisé pour son cancer, fidèle à lui-même. La lumineuse Laure, qui va se lancer dans un combat pour se venger de son passé.

Une galerie de personnages secondaires toujours aussi attachants, tous en quête de quelque chose, tous rattrapés par le désir de s’en sortir. Une intrigue bien ficelée et haletante. Une lecture fluide qui se dévore, savant mélange de suspense et de poésie, de tendresse et de violence. Une réussite, encore une fois, pour ce roman dont on a du mal à se défaire.

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Franck Bouysse – Né d’aucune femme ****

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Le Livre de Poche – août 2020 – 336 pages

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Le père Gabriel a l’habitude des confessions. Dans le petit village où il vit, il connaît la voix de tous ses habitants ; quotidiennement, ils viennent absoudre leur péchés. Mais un jour, la voix d’une femme qu’il ne reconnaît pas se fait entendre derrière la cloison du confessionnal. « Mon père, on va vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile. » Une voix qui hésite à parler. Et qui finit par lui confier le secret des carnets de Rose ; ces carnets cachés sous la robe de ce corps sans vie. Ces carnets qui vont hanter le père jusqu’à sa mort.

Les carnets de Rose s’ouvrent à nos yeux et commence alors un roman à l’atmosphère lourde de mystère, épaisse comme la pois. Qui est Rose, cette femme dont on dit qu’elle a tué son enfant ? D’abord hésitante, la voix entame son récit et imprime immédiatement les esprits. Rose, c’est cette adolescente de quatorze ans, que son père, en proie aux démons de la pauvreté, vend à une famille aussi mauvaise qu’impénétrable.

Né d’aucune femme est un roman qui nous immerge dès les premières pages dans une spirale de noirceur. Au fil des mots de Rose, on s’enlise dans la douleur et l’obscurité, saisis d’effroi par la confession de la jeune fille. C’est noir de chez noir, aucune chance ne semble laissée à l’espoir…

Beauté fulgurante de ce roman – qui nous serre le coeur comme un étau, qui nous le serre jusqu’à le briser. Qui nous maintient en alerte jusqu’au dernier mot. Quelle puissance ! Les mots me manquent pour parler de cette lecture dont on ne sort pas indemne.

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« La seule chose qui me rattache à la vie, c’est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce mot existe il me convient. Au mois, les mots, eux, ils me laissent pas tomber. Je les respire, les mots-monstres et tous les autres. Ils décident pour moi. Je désire pourtant pas être sauvée. »

Fernanda Melchor – La saison des ouragans **

9782246815693-001-T

Grasset – 20 mars 2019 – 288 pages

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« Ils progressaient sous le chant du passereau recruté pour jouer les sentinelles dans les arbres, dans leur dos, sous le tintement des feuilles violemment écartées, ou le bourdonnement des pierres fendant l’air tout près d’eux, ou encore sous la brise chaude pleine d’urubus éthérés se découpant sur un ciel presque blanc, dans une puanteur plus redoutable encore qu’une poignée de sable jetée au visage, une véritable infection qui donnait envie de cracher pour éviter quelle ne s’enfonce jusque dans les tripes et qui leur ôtait l’envie d’avancer. Mais le chef montra le bord du ravin et tous les cinq, à quatre pattes sur l’herbe sèche, ne faisant ensemble qu’un seul corps, dans un nuage de mouches vertes, finirent par reconnaître ce qui émergeait au dessus de l’écume jaune de l’eau : c’était le visage putréfié d’un mort entre les joncs et les sacs en plastique que le vent ramenait de la route, un masque sombre où grouillaient une myriade de couleuvres noires, et qui souriait. »

Aux abords du village de La Matosa, dans un canal d’irrigation, des enfants font une macabre découverte : ils tombent sur le corps sans vie de celle que l’on appelait la Sorcière, depuis toujours, sans même jamais avoir connu son vrai prénom – peut être n’en avait-elle même pas, sa propre mère proclamant à qui voulait l’entendre qu’elle était née du Diable. Les hommes avaient l’habitude de se rendre chez elle pour vendre leurs corps ; les femmes pour y chercher un remède et des réponses à leurs maux.

Au fil des chapitres, nous remontons le fil des événements pour comprendre le sens de ce meurtre et découvrir la vie d’hommes et de femmes misérables : Luismi, toxico tout rachitique, dont la petite amie se retrouve aux urgences après d’importants saignements survenus après l’une de ses visites chez la Sorcière. Norma qui est abusé à l’âge de douze ans par Pepe, son beau-père. Munra qui était au volant du camion qui a transporté le cadavre de la Sorcière. Et Brando, un adolescent pervers et misogyne.

Un roman mexicain dont l’écriture très travaillée m’apparaît au début un peu hermétique – des phrases à rallonge, qui n’en finissent plus… Je finis pourtant par me laisser porter par les mots de Fernanda Melchor, envoûtants ; mais je suis effarée par la noirceur de ce roman ! C’est noir de chez noir…

L’auteure peint le portrait d’une société mexicaine qui se débat avec ses démons les plus odieux ; misère, drogue, folie et abus en tous genres sont monnaie courante dans cette région où les rumeurs et les fantômes vous guettent à chaque coin de rue. Fernanda Melchor nous plonge dans les profondeurs de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus laid. C’est cru, violent, sanglant et pervers. Certains passages m’ont révulsés, d’autres m’ont carrément donné la nausée… Les chapitres défilent et le sentiment de malaise grandit, jusqu’aux derniers mots. Un roman ambitieux et étonnant, que je referme avec soulagement. A lire, le cœur bien accroché.