Joe Meno – La Crête des damnés ***

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Le Livre de Poche – août 2020 – 448 pages

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Nous sommes à Chicago, en 1990. Brian Oswald a 17 ans – loser à binocles et acné persistante – il rêve de devenir star du rock et passe ses heures de cours au lycée catho à imaginer des noms de groupes, des noms de chansons. Rien ne va plus dans sa vie : ses parents sont sur le point de se séparer et il se rend compte qu’il tombe amoureux de sa meilleure amie Gretchen, fan de punk et de bagarres aux poings, cheveux roses, surpoids et caractère bien trempé. 

Le temps d’une année on suit Brian, ses hésitations face au futur, ses tâtonnements pour se trouver, sa peur au fond de quitter l’adolescence, de devenir adulte, sérieux. Ses déboires. 

Le ton du roman m’a tout de suite plu. La voix de Brian est attachante – ce gamin un peu paumé qui s’évade par la musique. « C’était comme si la musique pouvait changer les choses. » La musique rythme sa vie, l’aide à se définir, à s’accomplir. « Pendant toute cette période, je ressentais exactement ce que disais le titre de chaque chanson, aussi désaxé sur cette terre qu’un adolescent venu de Mars. » 

La Crête des damnés est un roman initiatique traversée par la fougue et la révolte adolescente. Joe Meno analyse avec tact et acuité les sentiments qui traversent Brian – ses premières fois, son coeur brisé, ses parents qui s’engueulent, son lycée catholique qui lui lave le cerveau – et nous offre un récit à la première personne emplit d’espoir et de noirceur, mais aussi de mélancolie, qui fait la part belle à la musique. A lire !

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Gilles Marchand – Un funambule sur le sable ****

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Éditeur : Aux forges de Vulcain – Date de parution : 2017 – 354 pages

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Stradi est né avec un violon coincé dans le cerveau. Cette étrange anomalie ne se voit pas de l’extérieur, Stradi pourrait être un petit garçon comme les autres. Mais il ne peut ni courir, ni aller à l’école, ni sauter… Car l’on ne sait comment réagirait le violon dans sa tête. Alors à la place, l’enfant lit. Il dévore des livres. La lecture devient un de ses besoins les plus fondamentaux.

Quand Stradi rêve ou cauchemarde, son violon s’anime et joue de la musique. Quand son esprit vagabonde, son violon joue aussi de la musique. L’instrument qui fait partie de lui joue au gré des humeurs et des émotions qui le traversent… Il lui permet également de communiquer avec les oiseaux.

À l’école primaire à laquelle il finit par être accepté, Stradi se lie d’amitié avec Max, un garçon qui boite. Tous deux différents, tous deux marginaux, à cause d’une jambe ou d’un violon mal placé, les deux garçons ne se quitteront plus. Un jour, il rencontre Lélie, l’amour de sa vie.

Son amour pour Lélie, son amitié avec Max, la lecture, les oiseaux… autant de choses qui l’aident à s’accepter comme il est, à oublier plus ou moins la douleur avec qui il a rendez-vous pendant des années chaque 25 du mois – une piqûre dans l’oreille nécessaire pour l’entretien des cordes de son violon.

Un roman initiatique décalé, poétique, absurde – drôle et triste à la fois – qui m’a complètement charmée. Des personnages un peu fous – mais qui peut vraiment affirmer qu’il est sain d’esprit ? – mais si attachants. Les mots de Gilles Marchand sont un délice, ils se lisent et se relisent, se savourent… Je referme ce roman absolument conquise. ❤

 

Benedict Wells – Le Dernier été **

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Éditeur : Slatkine & Cie – Date de parution : 20 août – 416 pages

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Fin des années 90. Robert Beck enseigne l’allemand et la musique dans un lycée où il ne supporte plus ses collègues. Approchant de la quarantaine, il accuse le coup d’une carrière ratée de musicien ; son rêve s’est brisé le jour où il s’est fait virer de son groupe comme un malpropre. Deux rencontres vont venir s’inscrire dans sa routine et le détourner de son enlisement dans le quotidien. Il y a Rauli, cet élève lituanien brimé par les autres et qui se révèle être un prodige de la musique. Beck va le prendre sous son aile pour en faire la nouvelle star montante… Et Lara, cette serveuse qu’il surprend en pleine rupture amoureuse au téléphone dans la rue. Qu’il drague alors qu’elle n’est pas du tout son genre.

Le dernier été c’est l’été 99. L’été durant lequel Beck, Rauli et Charlie – son meilleur ami afro-allemand maniaco-dépressif et toxicomane échappé de l’hôpital psychiatrique – prennent la route, direction Istanbul.

Robert Beck est un personnage très antipathique, égoïste et ironique qui ne pense qu’à lui, qui peut lancer de sacrées vacheries à ses amis puis le regretter aussitôt – ou pas… C’est un homme lâche, menteur et vaniteux qui se rend compte qu’à trente-sept ans il n’a toujours pas vécu et qu’il est peut-être en train de rater sa vie.

Une drôle d’écriture, un peu maladroite parfois (mais peut-être est-ce dû à la traduction ?) Un roman qui m’a tour à tour attendrie, agacée, laissée de marbre pour finalement m’émouvoir sur les dernières pages. J’ai eu un mal fou à ressentir de l’empathie pour Beck… Une lecture donc relativement mitigée pour moi. J’ai de loin préféré son premier roman paru en France, La Fin de la solitude.

Et vous, qu’en avez-vous pensé ?

Sylvain Prudhomme – Les Grands **

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Éditeur : Folio – Date de parution : juillet 2016 – 249 pages

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Guinée-Bissau, 2012. Couto vient d’apprendre la mort de Dulce, la femme qu’il a aimée autrefois. Ensemble ils ont chanté au sein du groupe le Mama Djombo ; ils ont brillé sur scène il y a trente ans, le public les adulait. Alors que le climat politique est en train de changer et qu’un coup d’état se prépare dans l’ombre, Couto déambule dans la ville, au rythme des rencontres et des souvenirs fugaces qui refont surface.

Des mots en créole parsèment le texte, où les dialogues ne se distinguent pas du reste du texte, ils se fondent l’un dans l’autre, ce qui peut au début perturber le lecteur. Un roman à l’écriture déroutante, auquel je n’ai pas accroché, mais qui ne m’a pas pour autant déplu. J’ai aimé l’atmosphère et la fin très émouvante. Un texte dénué de pathos, où la douleur est présente, mais en demi-teinte, avec pudeur.

Je remercie les éditions Folio pour cette lecture que je n’aurai certainement pas faite de moi-même.

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« Couto les avait regardés. Pensant ces gosses sont la vie. La vie comme moi aussi j’ai été la vie autrefois, impétueuse,  impatiente, non lestée encore de regrets, trop pressée d’aller de l’avant pour se retourner et concevoir même qu’un jour elle ne détestera pas se retourner. »