Emily Ruskovich – Idaho ***

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Gallmeister – juin 2019 – 384 pages

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Idaho, 1995. Wade est mariée à Jenny ; ils ont deux filles, June et May, âgées de 6 et 9 ans. Par une belle journée d’été, la petite famille se rend dans une clairière de montagne pour ramasser du bois – le soleil tape, les bourdons taquinent. Brusquement, l’impensable se produit. Ils ne rentreront pas indemnes…

Neuf ans plus tard, Wade a refait sa vie avec Ann – ils mènent une vie paisible. Mais depuis quelques temps, il perd la tête. Sa mémoire vacille et ses vieux démons le hantent, il a des accès de violence. Et Ann devient davantage obsédée par la tragédie qui a touché son mari, par son passé si obscur à ses yeux. Au point qu’elle ne peut s’empêcher de romancer la tragédie, d’imaginer, de combler les zones d’ombre avec les indices qu’elle découvre.

Un roman intriguant, encensé par certains, détesté par d’autres

La narration effectue des allers-retours dans le temps ; on fait des bonds dans le passé et le futur. Des années 2000 aux années 90 – puis aux années 2020. Du passé d’Ann à celui de Wade, celui de Jenny en prison… Des fantasmes d’Ann à la réalité.

Idaho possède une écriture ciselée. Emily Ruskovich nous offre des personnages dotés d’une belle épaisseur psychologique – une plongée vertigineuse dans les tréfonds de leur âme.

J’ai eu du mal à quitter cet étrange et dérageant roman sur la mémoire et le traumatisme… Certains s’attendaient sans doute à un vrai thriller, avec une mise en lumière finale. Ce n’est pourtant pas ce qu’il faut retenir. Le roman d’Emily Ruskovich est avant tout une belle et lancinante mélopée qui nous entraîne dans les méandres d’un drame familial, avec pour toile de fond les montagnes de l’Idaho, abruptes et sauvages. On termine cette lecture une pointe d’amertume et des questions qui demeureront sans réponse.

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Philippe Labro – Rendez-vous au Colorado ***

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Folio – 1998 – 262 pages

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Le Colorado… Ce pays bleu, cela fait 40 ans que l’écrivain l’a quitté. Il ne l’a jamais oublié. Ce sont les images de ce voyage qui l’ont aidé à survivre lorsqu’il était dans le coma.

Un ami américain l’invite pour quelques jours fin août dans son ranch en plein coeur du Colorado. C’est l’occasion de retrouver l’Uncompahgre, sa forêt ; là où il fut manœuvre dans une scierie – Un été dans l’ouest. Il va pouvoir confronter ses souvenirs au présent ; retrouver ces terres empreintes de l’histoire des Indiens, aux pieds des forêts et montagnes, avec pour guide les aphorismes de Santos-Montané, le poète sans visage. L’auteur se dit « chercheur de bleu » à l’instar des chercheurs d’or qui envahirent la région il y a plus d’un siècle.

Parallèlement au récit de l’écrivain, il y a celui de cette jeune femme au visage grêlé ; serveuse, de mère en fille, qui décide de quitter le plat pays pour les montagnes et les forêts du Colorado – s’immerger dans la beauté de la nature pour oublier l’ingratitude de son visage et de sa vie de servitude. Qui est-elle ?

Philippe Labro retrouve l’ivresse des Grands Espaces. Il se saoule de vent et d’espace, son coeur se met à battre plus vite. Il s’approche des élans, des ours. Parcourt la Vallée Vance et ses mystères. Il écoute le pouls de la nature qui bat à l’unisson du sien – le chant des arbres. Son récit est odorant, émerveillé et émaillé de légendes du peuple Ute et de ses souvenirs du coma.

Un beau livre de nature writing porté par une écriture lyrique et sensitive qui nous offre des réflexions sur le souvenir, la mémoire et les réminiscences.

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« La nuit s’empare de tout et de chacun, le seul crépitement du feu, maintenant, remplit le silence de la montagne et des forêts, laissant la nature continuer ses mystérieux et perpétuels enfantements. »

Philippe Labro – Un été dans l’Ouest ***

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Folio – 1990 – 288 pages

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« Quand j’ai pris la route cet été-là, quand je me suis retrouvé seul face aux cinq mille kilomètres qu’il faudrait franchir en auto-stop pour atteindre mon rendez-vous dans les forêts de l’Ouest, j’ai su que j’étais au seuil d’une aventure nouvelle. »

Nous sommes dans les années 50. Le narrateur – « ce jeune homme ignorant, apeuré mais aventureux et assoiffé de vivre et de savoir » – part à la découverte de l’Ouest américain, dans les pas de Thoreau, l’été de ses dix-neuf ans.

Étudiant français dans une université de l’Est, il part à la conquête d’un summer job ; il est engagé comme ouvrier forestier au camp de West Beaver, dans les montagnes du Colorado. Avec toute une équipe d’hommes, il est chargé de sauver les pins Ponderosa du travail destructeur des insectes…

Avant d’atteindre le camp, il doit prendre la route. Faire du stop. Monter dans une foule de Greyhound. C’est dans l’un d’eux qu’il rencontre Amy, la fille Clark à la voix chaude et aux cheveux fous. La fille à la guitare, dont il croit tomber amoureux. Chanteuse en veste à franges de chasseur, qui écrit des chansons et parcourt le pays à la recherche d’inspiration. Elle lui offre La Loi de la route, après avoir échappé à une tornade.

Arrivé au camp, le Frenchy – comme tout le monde va se mettre à l’appeler – rencontre Wild Bill, le barbu aux bottes noires de motard, et au tatouage intriguant. Qui dort avec un flingue sous l’oreiller… Dick le driver, l’insensé, le suicidaire. Pacheco, le mexicain, son fidèle coéquipier. Mack, qui le guide dans la forêt et lui délivre ses secrets, lui enseigne le langage des arbres, le sens de l’observation…

Avec Un été dans l’Ouest, Philippe Labro nous embarque pour une immersion dans les forêts du Colorado et nous offre un roman initiatique puissant. Nous voyageons aux côtés de ce Frenchy attachant ; avec lui, on est bouleversé par l’Ouest et sa nature – « les fleurs sauvages, les oiseaux et la musique des bêtes dans la nuit au cœur des forêts de l’Umcompaghre ; les signes et messages, pluie, soleil ou tornade, plusieurs fois venus du ciel vers moi. » Mais on est aussi saisi par la sauvagerie humaine… Au cours de cet été singulier et hors du temps, il apprend ce qu’aucun livre ou professeur d’Université ne lui enseignera jamais…

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« Convaincu, comme je l’avais appris en lisant Thoreau, que la seule question qui vaille d’être posée était : « Comment vivre ? Comment obtenir le plus de vie possible ? », je suis parti le cœur ouvert à la recherche de cette vie-là – cette vie de plus qui m’obsédait et que je sentais remuer en moi comme un grondement sourd qui meuble, la nuit, le silence de certaines zones industrielles, dont on ne sait d’où il vient mais qui signifie qu’un haut fourneau, quelque part ne s’arrête pas de brûler. »

Valentina D’Urbano – Acquanera ***

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Éditeur : Points – Date de parution : février 2017 – 405 pages

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Après dix années d’absence, Fortuna revient à Roccachiara, petit village perdu dans les montagnes. Elle avait pourtant juré ne plus jamais y mettre les pieds. Mais des ossements ont été retrouvés dans les bois ; peut-être s’agit-il de ceux de Luce, son amie d’enfance qui a disparu le jour de ses vingt et un ans.

Valentina d’Urbano met en scène trois générations de femmes, Elsa, Onda, Fortuna. « Je suis née dans une famille étrange, une famille de femmes. » Elsa, la grand-mère, avait la réputation d’être une sorcière – elle faisait des rêves prémonitoires, annonçant les catastrophes et les morts. Quant à sa mère Onda, née le jour où le lac s’est déversé dans la vallée, elle a le don de voir les morts – les disparus viennent la visiter et lui parler. Cette figure odieuse de mère qui n’a jamais voulu l’être m’a secouée – haïr à ce point son propre enfant. Et Fortuna, élevée par sa grand-mère, à qui l’on souhaite de n’avoir aucun don. En Luce elle trouvera une alliée précieuse.

Ce roman m’a rappelé l’univers de Véronique Ovaldé – ces générations de femmes qui accouchent de filles – mais également Le Cœur des louves. C’est une belle lecture, dont l’atmosphère surnaturelle et mystique m’a beaucoup plu. Mais une lecture également terrible sur l’amour, la filiation & la mort. La plume de Valentina d’Urbano donne vie à des personnalités fortes et flamboyantes.

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« Maintenant tu auras, toi aussi, quelqu’un. Quelqu’un qui te restera, que tu porteras pour toujours en toi, y compris quand je ne serai plus là. Ton enfant te rappelleras qui tu es. »

« A qui ressemblais-je ? Qui étais-je ? On n’est jamais ce que l’on prétend être. »

« L’amour d’un enfant est le sentiment le plus obstiné qui soit. Il dure une éternité, il va à l’encontre de tout. Il est bête et incorruptible. »