Chroniques oubliées #4

Ce sont ces chroniques pour lesquelles on manque de mots, ces romans qui nous ont marqué, à leur façon, et dont on souhaite malgré tout garder une trace… Pour cette 4ème session, je vous présente trois bouquins pour lesquels je ne consacrerai donc pas de chronique entière : une déception avec le Goncourt 2018, un récit de voyage autobiographique très fort et un petit roman jeunesse au charme singulier.

*

CVT_Leurs-enfants-apres-eux_2834

Août 1992. Dans une petite vallée de l’Est de la France, c’est la canicule. Anthony a quatorze ans ; il passe l’été avec son cousin. Poussés par l’ennui, ils volent un canoë et traversent le lac pour aller voir de plus près la fameuse plage des « culs nus »… Ce qu’ils y découvrent, les rencontres qu’il y feront, vont façonner leur avenir, de façon dramatique. Une paire de fesses en short, une goutte de sueur qui zigzague sur une clavicule, une famille qui vole en éclat – et l’adolescence, vive et flamboyante. Quatre étés se succèdent. Quatre récits. De Smells Like Tee Spirit à la Coupe du Monde 98. Un roman empli d’une langueur adolescente, exacerbée par la chaleur. Je ressors de cette lecture déçue ; je n’ai ressenti aucune empathie pour les personnages et l’écriture n’a rien de transcendant. La 4ème de couverture est bien plus réussie que le livre en lui-même…« On s’aimait, on crevait aussi, on était maître de rien, pas plus de ses élans que de sa fin. »

Actes Sud – août 2018 – 425 pages

***

51nHqKG1TDL._SX195_

Renaud et son fils Tom, dix-sept ans, ont du mal à communiquer, à se comprendre… Leur relation est faite de coups d’éclats, de violence verbale et d’incompréhension chronique. L’adolescent semble sur une mauvaise pente ; drogue, résultats scolaires en chute libre, accès de violence. Son père est convaincu que Tom doit rompre pour un temps avec son environnement toxique et ses fréquentations… Il lui propose alors un voyage de trois mois au Kirghizstan ; une traversée à cheval, seuls tous les deux, au cœur des steppes d’Asie centrale. Pendant ces trois mois, père et fils ré-apprennent à se connaître, à travers des rencontres insolites, des traversées incroyables, des paysages somptueux ; ils franchissent des montagnes, dépassent leurs différends, retrouvent un langage commun en même temps qu’ils tentent de communiquer avec un autre peuple, sans parler leur langue. Une aventure humaine qui va les transfigurer, l’un et l’autre. Ce n’est pas seulement le fils qui va changer, mais le père aussi. Chacun, à la rencontre de l’autre, à la rencontre de l’inconnu aussi. Un récit touchant, sensible et puissant qui m’a beaucoup émue et m’a fait voyager.

Pocket – 2017 – 256 pages

***

9782211085373

Quel délice de plonger à nouveau dans l’univers de Martin Page. Dans ce petit roman qui ne paie pas de mine, nous faisons la connaissance de Clémence, une ado qui désire plus que tout quitter le collège, prendre le large, larguer les amarres... bref, rompre avec cette vie monotone qui est la sienne. Elle a pour tuteur Oscar, un fantôme en surpoids qui est ambassadeur du Groenland ; ils vivent ensemble dans son manoir, à deux pas de la Butte Montmartre. Ses parents sont des cambrioleurs chevronnés spécialisés dans les œuvres d’art. Le jour de la rentrée scolaire, il y a un nouveau. Un étrange garçon qui fascine immédiatement : il a le corps couvert de taches de couleurs. Clémence en oublie ses désirs de fuite et est prête à tout pour percer le mystère de Simon. Clémence se heurte à l’idiotie des adultes, leur incompréhension, leurs mensonges, leur cupidité… Une écriture belle, dans sa simplicité et son imagination. Comment transformer la douleur en beauté, c’est ce dont il est question dans ce petit roman où l’on rompt le silence à coup de fusil de chasse.

école des loisirs – 2007 – 92 pages

 

Publicité

Martin Page – Manuel d’écriture et de survie ****

manuelecritureetsurvie1-173x300

Editeur : Seuil – Date de parution : 2014 – 171 pages

*

Dans ce Manuel d’écriture et de survieMartin Page répond aux lettres d’une jeune écrivaine du nom de Daria. À travers cette correspondance, l’auteur nous livre des réflexions sur l’écriture, l’art, l’écrivain et la condition d’écrivain.

Ces lettres sont aussi l’occasion pour Martin Page de se livrer ; au fil des échanges, on en apprend davantage sur lui, son quotidien, ses habitudes littéraires. Ces lettres sont comme une fenêtre ouverte sur une part de son intériorité. On découvre un regard sur le monde, une pensée ; ses influences artistiques et humanistes. Martin Page convoque des auteurs, peintres, artistes, scientifiques pour étayer ses propos. Un petit bouquin truffé de références littéraires, de conseils, de culture ; riche d’enseignements sur l’écriture, mais aussi la vie, tout simplement.

Un petit bijou qui nous offre de belles réflexions sur la fiction, l’imaginaire et qui regorge de conseils de lecture. Un texte essentiel pour tout amoureux de l’art et des livres, dont la lecture nous enrichit.

***

« L’art est un crime contre la réalité. Par ses incessantes transformations, il remet en cause l’intégrité du monde et de la société, comme le meurtre remet en cause l’intégrité du corps d’une personne. Un œuvre d’art coupe le souffle, accélère notre cœur, nous transforme, enrichit notre rapport aux formes, aux couleurs et aux sons. Nous ne sommes pas changés au point d’en mourir, mais la réalité jusque-là connue meurt pour être remplacée par une autre, plus complexe, plus étrange. »

« Nous naissons avec mille bras et mille cœurs, et nous n’arrêtons pas d’en perdre tout au long de notre vie. On nous déforeste sans cesse, c’est douloureux, mais nous sommes vastes, personne n’arrivera à bout de nous. »

« Un écrivain ne braque pas de banques, il braque le réel. L’art m’a permis de vivre, dans tous les sens du terme.

 

Martin Page – Plus tard je serai moi ***

2048x1536-fit_plus-tard

Éditeur : Le Rouergue – Date de parution : 2013 – 72 pages

Je vous présente ce soir un petit roman jeunesse de Martin Page, dans lequel j’ai immédiatement retrouvé l’écriture drôle et douce que j’affectionne tant ! Dans ce court récit, on fait la connaissance de Séléna, dont les parents sont un peu farfelus. Un soir, ils lui font comprendre qu’ils aimeraient qu’elle soit artiste. Pas médecin, avocate ou professeur, non. Artiste ! Séléna tombe des nues. Ses parents sont prêts à tout pour réveiller sa fibre artistique, même aux trucs les plus fous… 

Un roman complètement décalé, à la Martin Page, qui inverse les choses et se moque de la réalité, mais toujours avec inventivité et poésie.

***

« Les cerfs-volants représentaient, entre autres, une chouette, une fraise, une abeille, un dragon, un fer à repasser… C’était un moment doux. Les créatures légères et fragiles apportaient un peu de beauté à un monde qui en manquait. Les deux amies emmagasinaient des réserves de poésie : ça les aiderait à affronter l’école, les parents, et toutes les petites humiliations du quotidien. »

« Elle était à une époque de sa vie où elle ne décidait pas de grand-chose mais où la possibilité du choix se dessinait doucement. Elle rêvait du jour où elle pourrait habiter seule. Mais elle avait aussi peur de grandir, car cela voulait dire être maîtresse de son destin, et c’était une responsabilité immense dont parfois elle aimerait être déchargée. »

Martin Page & Coline Pierré – La folle rencontre de Flora et Max ***

E150641

 

Éditeur : L’Ecole des Loisirs – Date de parution : septembre 2015 – 199 pages

*

Flora est dans une prison pour mineurs, après avoir violemment frappé une élève de sa classe. Un jour, elle reçoit une lettre de Max, un drôle de garçon qui est persuadé qu’ils ont des points communs. C’est ainsi que débute la correspondance entre ces deux adolescents.

Max est enfermé à sa façon : il ne sort plus de chez lui car le monde extérieur l’angoisse. « J’ai l’impression que la vie quotidienne passe son temps à me tabasser ». Il passe ses journées enfermé dans sa chambre, entouré de son monde familier : ses livres, ses films, son ukulélé. D’une certaine manière, il se sent proche de Flora.

A travers les lettres qu’ils s’échangent, les deux adolescents partagent par petits bouts leur vie, leurs espoirs et leurs angoisses. Leurs mots sont plein d’humour, de fantaisie et par moment ils sont d’une grande sagesse. Ces lettres aident Flora à tenir le coup en prison, et elles aident Max à tordre les barreaux de sa propre prison.

J’ai été charmée par ce curieux roman épistolaire où deux adolescents des temps modernes échangent des lettres, cette pratique qui semble maintenant hors du temps. On retrouve au détour de ces lettres, des références à Sylvia Plath, à Fernando Pessoa et son Livre de l’intranquilité, qui trône depuis quelques mois sur ma table de chevet…

C’est une lecture à quatre mains vraiment réjouissante et qui met du baume au cœur.

***

« Je pensais à notre correspondance l’autre jour et je me disais que c’était incroyable qu’il ait fallu que je sois emprisonnée et que tu quittes le lycée pour qu’on se parle. Nous vivons tout de même dans une société étrange : comment est-il possible que nous ne nous soyons pas trouvés alors que nous étions chaque jour à quelques mètres l’un de l’autre ? On dirait que les vraies rencontres ne sont possibles que par accident. »

Martin Page – Je suis un dragon ***

je suis un dragon

Éditeur : Robert Laffont – Date de parution : janvier 2015 – 283 pages

4ème de couverture : « Margot est une jeune orpheline timide et solitaire. Un jour, elle découvre sa véritable nature : elle est douée de capacités extraordinaires. Ces pouvoirs la terrifient, elle les dissimule jusqu’à ce qu’un événement tragique la contraigne à se dévoiler. On lui demande alors de mettre ses dons au service de l’humanité. Sa vie se partage désormais entre son quotidien de jeune fille espiègle et des missions d’une grande violence. Adulée et crainte, elle devient une icône. mais peut-on sauver le monde si l’on s’y sent étranger ? »

***

J’adore l’univers de Martin Page. Les pieds sur terre mais la tête dans les étoiles, il a une imagination folle et irrésistible! J’ai dévoré tous ses romans… Je ne pouvais donc pas passer à côté de celui-ci, écrit sous le pseudonyme-anagramme de « Pit Agarmen ».

Dans ce roman, l’auteur s’inspire de l’univers des super héros, en se réappropriant les codes du genre.
On fait la connaissance de Margot, jeune adolescente orpheline, qui se découvre invincible : personne ne peut la blesser, elle ne saigne jamais, n’est jamais malade, elle a une force surhumaine et elle vole.

Victime de harcèlement au collège, Margot tue par accident trois élèves dont elle était le souffre-douleur. Elle se retrouve placée sous la tutelle des services secrets français et américains qui décident de l’utiliser pour régler de nombreux problèmes humanitaires et politiques dans le monde. L’ONU ne tarde pas à vouloir également profiter de ses pouvoirs, elle devient en quelque sorte une arme de destruction massive nouvelle génération !

Aux yeux du monde entier, elle est Dragongirl et, vêtue de son costume et de son masque, elle sauve l’humanité. L’adolescente tente de se construire et de grandir avec le poids de son passé, ses pouvoirs extraordinaires, et la lourde tâche de sauver l’humanité… Ce qui n’est pas forcément évident lorsque l’on a quinze ans….

C’est avec énormément de plaisir que j’ai retrouvé l’écriture délicieuse de Martin Page, dans ce récit fantastique.

On découvre page après page un roman surprenant, savoureux et intelligent, parsemé de discrètes références littéraires, philosophiques, et poétiques, de Montaigne à Nietszche, en passant par Bashō… Un vrai régal. Et on découvre en Margot un personnage de super héros résolument féministe et terriblement attachant, qui trouve un exutoire dans la création.

« Comment une fille si normale pouvait être si anormale? »
« Quand elle s’élança dans les airs, il lui sembla non pas quitter la terre mais faire corps avec le monde. Difficile d’obéir aux lois humaines quand on a des capacités extraordinaires. »

« Elle allait ou elle désirait aller. Elle se promena en haut de l’Everest, elle s’assit sur les bords de l’Amazone à Belém, elle marcha parmi les troupeaux d’éléphants dans la savane, elle se promena à San Francisco. Le monde s’offrait à elle et elle avait faim. »

« – Tu ne vois pas que la magie est partout? Le simple fait que l’être humain existe est un miracle.
Pour qui la regarde avec précision, la nature est une magie perpétuelle. Xanadu regardait un oiseau voler, le soleil se lever, ses propres yeux dans un miroir, et ça l’émerveillait. La plupart des gens ne comprennent pas que le monde, les hommes, les animaux, les plantes, tout est surnaturel. On s’est habitué, on ne remarque plus le caractère insensé de la vie. »