Rachel Corenblit – Les enfants du Lutetia ***

Editions du Mercredi – 2021 – 136 pages

*

Cela fait 3 ans que Léopold vit chez Juliette, la meilleure amie de sa mère. Il y a 3 ans, ses parents sont partis, laissant un enfant de neuf ans bouillonnant de rage. « C’est là que je me suis dit que ne pleurerai plus jamais. » Du jour au lendemain, Léopold est devenu le neveu de Juliette.

Aujourd’hui, nous sommes en mai 1945 et la guerre est finie. Le Général de Gaulle arrive. L’humeur est à la fête. Juliette et Léopold attendent le retour des parents ; leur réapparition. Ils font leur valise et sautent dans le premier train pour Paris. Ils ont entendu dire que les rescapés des camps de concentration atterrissaient tous à l’hôtel Lutetia.

Ils se mettent donc à passer leurs journées au Lutetia. Léopold reste sans voix devant les murs recouvert de photos des disparus ; puis ils en voit revenir, par vagues : les rescapés – les survivants, les fantômes, livides, hagards. Léopold semble jusqu’à présent avoir été protégé de l’abominable vérité. Il va la découvrir, petit à petit, notamment à travers ses échanges avec d’autres enfants qui attendent eux aussi des membres de leur famille : Marie-Antoinette, fille de magiciens, André, l’américain qui dit toujours « merde » et qui a des doigts d’or… Et Michel, dont la mère fut arrêtée en pleine rue. Ces enfants de disparus vont passer leurs journées ensemble au Lutetia, entre attente interminable, angoisse et confidences. Ils se partagent leur histoire, leur espoir et leur désespoir.

Les Enfants du Lutetia est un roman court et percutant, écrit à la première personne ; c’est le Je de Léopold, le Je d’un enfant qui prend conscience d’une des pires atrocités du monde. L’écriture de Rachel Corenblit est implacable. L’autrice nous offre un roman profondément humain, entre espoir et noirceur, qui se lit d’une traite, le cœur battant.

Publicité

Joachim Schnerf – Le Cabaret des mémoires ****

Grasset – 24 août 2022 – 140 pages

*

Un roman qui se déroule le temps d’une nuit. Une nuit, durant laquelle Samuel ne trouve pas le sommeil. Une nuit de mémoire et d’insomnie. En attendant le retour de sa femme et de son fils de la maternité. Une dernière nuit avant le grand plongeon dans une nouvelle vie.

Samuel se souvient de Rosa, sa grande-tante qu’il n’a jamais vraiment connu mais dont l’histoire a hanté son enfance et le hante encore aujourd’hui. Rosa, la dernière rescapée des camps encore vivante. Après elle, il n’y aura plus personne pour témoigner de l’horreur de vive voix.

Rosa qui traversa l’Atlantique pour arriver au coeur du désert texan et y établir son cabaret, loin de l’enfer des camp, loin du passé douloureux. Chaque soir, elle monte sur scène et raconte son histoire, mise à distance par le rire.

« Quand demain reviendra la lumière… » Cette phrase comme une lancinante mélopée va revenir tout au long du roman pour scander cette nuit de souvenirs. Cette nuit durant laquelle un homme se retrouve au seuil de la paternité.

Dans l’obscurité, Samuel se souvient de son enfance avec sa sœur et son cousin ; leurs jeux pour se raconter encore et encore l’histoire de Rosa, et la retrouver dans l’Ouest, dans leur désert imaginaire. L’obscurité, si propice aux résurgences ; l’obscurité qui est aussi celle du passé en souffrance.

Le Cabaret des mémoires est un roman sur la transmission ; comment devenir père quand le passé familial hante à ce point ; comment transmettre l’innommable ? « Peut-être ne suis-je pas prêt. À être père et à partager ce spectre qui me pourchasse depuis toujours. »

Un roman envoûtant et bouleversant sur la mémoire traumatique, la nécessaire transmission, mais aussi sur le pouvoir de la fiction – je ne suis pas prête d’oublier Rosa et son cabaret… C’est également un portrait de femme incroyable porté par une écriture poétique et lumineuse.

« Un vertige générationnel, comme lorsqu’on perd sa mère et, avec elle, le secret de notre essence. Qui sommes-nous quand les aînés ne sont plus là pour désigner le passé ? »

Sophie Adriansen – Lise et les hirondelles ***

9782092576069

Nathan – 2018 – 176 pages

*

En cet été 1942 à Paris, Lise Bimbam est une jeune adolescente de treize ans. Cela fait deux ans déjà que les Allemands occupent la capitale. Sur sa robe-chemise, l’étoile jaune s’épanouit parmi les fleurs du tissu. Dessus est inscrit « JUIF » comme un avertissement, un blâme. Ses parents ont été contraints de fermer leur atelier de couture. Les juifs ne peuvent plus tenir de commerce. Depuis que deux officiers allemands l’ont repéré, la jeune fille se cache dans la buanderie de leurs voisins, les Juillard. Peu de temps après, ses parents et ses frères se font arrêter.

Moi qui ne suis habituellement pas férue de romans qui se déroulent pendant la Seconde Guerre mondiale, j’ai tout de suite accroché avec ce roman, lu avec plaisir et émotions.

Lise est une héroïne attachante, au caractère affirmé. Une adolescente éprise de lecture – elle lit et relit Les Misérables – et plutôt mâture pour son âge – bien obligée de grandir avant l’heure. Sans nouvelles de ses parents, elle continue d’espérer« Si je cesse d’espérer, je cesse de vivre. » Les hirondelles ne cessent de la fasciner. « C’est un miracle de la nature qu’avec de si maigres réserves, un oiseau de vingt grammes puisse parcourir une si longue distance, traverser tant de pays, voler ainsi au-dessus de la mer et du désert. Un miracle, et un exemple dont je dois m’inspirer. » 

Lise et les hirondelles est un roman très juste, qui file la métaphore de l’hirondelle et où aucun mot n’est de trop ; une écriture sensible et forte ; l’émotion finit par me gagner, les yeux par me piquer. Sophie Adriansen aborde les thèmes de la guerre, l’occupation et la déportation avec justesse dans ce roman très accessible pour les plus jeunes et qui leur parlera certainement beaucoup.

***

« Comme les oiseaux, nous avons des racines. Et si les racines partent en fumée? Rien ne nous empêche de continuer à les faire pousser – mais à l’intérieur. »