Adèle Bréau – L’odeur de la colle en pot ***

Le Livre de Poche – 2019 – 288 pages

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En 1990, Caroline a treize ans. Elle débarque dans son nouveau collège ; se lie tout de suite avec Vanessa.

Chez elle, rien ne va. Son père passe son temps à les fuir, sa mère à pleurer, sa petite sœur est une teigne qui joue encore aux poupées. Et son corps, qui change, qu’elle ne reconnaît plus. Ses humeurs, ses émotions. Et ces adultes qui ne comprennent rien à rien.

Heureusement, il y a Vanessa et le téléphone à cadran grâce auquel elles s’échangent confidences et scoops.

L’Odeur de la colle en pot est la chronique douce amère d’une ado des années 90. Adèle Bréau nous plonge dans cette époque avec brio. On s’attache à Caroline, sa vision du monde. Ses coups de blues et de coeur, ses espoirs. Sa vision du monde si ténue. Un roman au ton si juste que j’ai été happée de la première à la dernière page.

« C’est pourtant lors de l’un de ces atroces samedis matin que ma vie a réellement commencé. Disons que c’est comme ça que j’interprète ce moment, à la lueur de ce que j’ai vécu depuis, car rien de ce qui l’avait précédé n’avait la même saveur, le même parfum d’interdit. Oui, c’est sans doute à partir de ce jour-là que je me suis enfin délestée de l’enfance. »

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Joe Meno – La Crête des damnés ***

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Le Livre de Poche – août 2020 – 448 pages

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Nous sommes à Chicago, en 1990. Brian Oswald a 17 ans – loser à binocles et acné persistante – il rêve de devenir star du rock et passe ses heures de cours au lycée catho à imaginer des noms de groupes, des noms de chansons. Rien ne va plus dans sa vie : ses parents sont sur le point de se séparer et il se rend compte qu’il tombe amoureux de sa meilleure amie Gretchen, fan de punk et de bagarres aux poings, cheveux roses, surpoids et caractère bien trempé. 

Le temps d’une année on suit Brian, ses hésitations face au futur, ses tâtonnements pour se trouver, sa peur au fond de quitter l’adolescence, de devenir adulte, sérieux. Ses déboires. 

Le ton du roman m’a tout de suite plu. La voix de Brian est attachante – ce gamin un peu paumé qui s’évade par la musique. « C’était comme si la musique pouvait changer les choses. » La musique rythme sa vie, l’aide à se définir, à s’accomplir. « Pendant toute cette période, je ressentais exactement ce que disais le titre de chaque chanson, aussi désaxé sur cette terre qu’un adolescent venu de Mars. » 

La Crête des damnés est un roman initiatique traversée par la fougue et la révolte adolescente. Joe Meno analyse avec tact et acuité les sentiments qui traversent Brian – ses premières fois, son coeur brisé, ses parents qui s’engueulent, son lycée catholique qui lui lave le cerveau – et nous offre un récit à la première personne emplit d’espoir et de noirceur, mais aussi de mélancolie, qui fait la part belle à la musique. A lire !

Maria Pourchet – Champion ***

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Folio – novembre 2019 – 256 pages

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Sur des cahiers à petits carreaux, Fabien raconte à sa psychiatre son quotidien dans une pension catholique en 1992. Il noircit les pages de ces cahiers, les uns après les autres, depuis un centre de repos, dont il ne pourra sortir que lorsqu’il aura raconté les événements qui l’y ont conduit

Fabien nous livre aussi ses weekend chez ses parents ; sa mère qui passe son temps à l’engueuler et à le battre, son père toujours absent, qui se tue au boulot. Une ambiance familiale exécrable et violente ; des parents qui semblent n’avoir jamais voulu de cet enfant. Mais l’adolescent ne s’en formalise ; il a décidé de devenir un « crack » en anglais pour s’envoler jusqu’à Manhattan, loin de ce bled pourri. Son seul ami c’est Champion, un loup. Son ami imaginaire – son versant animal – sa part d’ombre.

Cahier après cahier, l’on découvre la personnalité de Fabien, un adolescent solitaire, subversif et moqueur, grossier et provocateur – très pince-sans-rire, ses écrits n’épargnent personne. Très vite, on se rend compte qu’il se donne un genre ; tout n’est qu’apparence. Fabien a choisi le rire pour ne pas chialer, comme il dit. Il écrit comme il parle, ne fait pas attention au style, aux mots grossiers qu’il emploie. Il écrit avec son coeur. Ses tripes, il les met sur la table.

Un roman aussi bluffant que poignant sur l’adolescence, le deuil et le refoulement

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« J’ai ricané, et on est pas passés loin que je réponde ‘quel coeur?’. Je me suis retenu. Ce sont des répliques à balancer droit dans ses bottes, la main sur le colt. En robe de chambre, ça vous ferait vite passer pour un con. »

Faïza Guène – Millénium Blues ***

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Éditeur : Fayard – Date de parution : janvier 2018 – 234 pages

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Zouzou a le Millénium Blues... C’est le blues des années 90. Zouzou se souvient de cette époque et laisse les souvenirs affluer dans un ordre plus ou moins chronologiqueDe la fin des années 90 à nos jours, nous la suivons dans ses souvenirs d’enfant, d’adolescente et de femme, de mère aussi… et c’est un peu de notre propre histoire qui refait surface ; de près ou de loin l’histoire intime de Zouzou se mêle aux événements de ces années-là.

Les pages de ce roman éminemment nostalgique mettent en relief ces événements qui constituent notre mémoire collective. La victoire des Bleus en 98, le résultat du second tour des présidentielles en 2002, le 11 septembre 2001… 

Le roman s’ouvre sur la canicule infernale de l’été 2003, Zouzou a dix-sept ans. Elle est avec sa meilleure amie Carmen quand l’accident survient.

J’étais moi-même enfant dans les années 90 alors, forcément, ce roman m’a touchée et beaucoup parlé – je n’ai que quatre ans de différence avec Zouzou. Au fils des mots, la nostalgie s’est emparée de moi et j’ai eu ma petite larme aussi.

Millénium Blues, c’est l’histoire d’une génération mais c’est surtout l’historie d’une amitié indéfectible, qui survit coûte que coûte, malgré les épreuves de la vie – Carmen c’est la sœur que Zouina aurait rêvé d’avoir. L’auteure développe une belle réflexion sur le passé – ce présent qui se transforme si vite en passé – et les liens qui nous unissent les uns aux autres.

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« Avant l’an 2000, tout paraissait possible. Les seules frontières étaient celles de notre imagination. Le nouveau millénaire apportait avec lui sont lot de promesses. »

« J’aime pas les fêtes parce qu’à peine ça commence, je pense déjà au moment où va falloir s’arrêter de danser… » Si on considère que la vie est une fête, c’est la meilleure définition de la nostalgie qu’il m’ait été donné d’entendre. »

« La nostalgie nous consume, on donnerait tout pour y revenir, à cette époque, c’était l’apogée. C’était quelque chose de grandir dans les années 90. Ça a été une chance d’appartenir à cette génération. On a le vague à l’âme en repensant à ce billet de 20 francs froissé, planqué au fond de notre banane Lacoste, aux épisodes d’Hélène et les garçons qu’on se lassait pas de regarder… »

« L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe. » Gustave Flaubert

Cathy Ytak – D’un trait de fusain ****

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Éditeur : Talents Hauts – Date de parution : septembre 2017 – 253 pages

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Nous sommes en janvier 1992Monelle, Marie-Ange, Julien et Sami sont dans le même lycée, ils suivent les mêmes cours de dessins pour lesquels des hommes et des femmes posent, nus. C’est comme ça que le petit groupe fait la connaissance d’un de ces modèles grandeur nature : Joos. Un jeune homme drôle et pétillant, qui ne laisse personne indifférent, surtout Marie-Ange. Marie-Ange qui déteste son prénom, qui dessine des autoportraits au fusain, devant sa glace, nue, sans concession. Dont les parents sont hyper conformistes, étroits d’esprit et réac’. Elle compte les jours jusqu’à ses dix-huit ans pour pouvoir enfin les quitter.

Les quatre adolescents sont inséparables. Au printemps, ils décident de partir à Saint Malo, le temps d’un week-end. Des amours naissent, Monelle et Julien. Sami et Joos, qui les a rejoint. Joos dont Marie-Ange tombe aussi amoureuse… Un amour qu’elle doit réprimer.

« Une vie d’adulte avant l’âge, peut-être, qui oscille sans cesse entre la fête et le désespoir. » – Et puis au retour des vacances d’été, Marie-Ange devient Mary. Et elle apprend que Joos est séropositif. C’est le choc. Et l’incompréhension. Mary décide de s’engager aux côtés d’autres jeunes, au sein d’Act Up. Elle descend dans la rue.

Un roman fougueux et percutant, qui m’a noué la gorge et fait battre le coeur. J’ai aimé cette héroïne qui se lance dans le militantisme – une lutte contre les préjugés d’une époque – avec la rage et l’envie d’en découdre avec la maladie qui s’est attaquée à ses amis, s’immiscant sans ménagement dans leur amitié.

Une lecture émouvante que je n’oublierai pas de sitôt ; à l’image de cette scène en plein Paris où cinquante personnes s’allongent dans la rue, comme mortes, pour dénoncer l’indifférence des autres au mépris des uns.

 

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« Mary pense que tout ce qui vient de se passer n’est pas vrai. Elle a eu une hallucination. Parce que ce genre de chose, ça n’arrive pas à des gens comme eux, Sami ou Joos. Ils sont trop jeunes, trop ordinaires, trop… quelconques., Ce genre de chose, ça ne peut arriver qu’à des… dépravés. La pensée est si forte qu’elle la fait sursauter. »

« S’habituer… S’habituer à passer du rire aux larmes en quelques secondes. De la plaisanterie la moins fine à la peur la plus forte. Avec la mort infiltrée. Mais sérieusement, quand on a dix-sept ou dix-huit ans, ça veut dire quoi, mourir, si on n’a rien vécu ? »