Betty Smith – Le Lys de Brooklyn ****

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Belfond [vintage] – 2014 [1946] – 708 pages

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Roman culte dans les années 40, Le Lys de Brooklyn raconte le quotidien de Francie Nolan, une jeune fille de 11 ans qui vit dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn au début du XXème siècle, avec son frère Neeley, leur mère Katie à la bonté infinie qui se tue à faire le ménage chez les gens pour une misère, leur père Johnny qui se saoule avec sa paie et qui chante comme il respire.

Francie est une enfant solitaire et solaire, intelligente et pleine de vie. Je l’ai tout de suite aimée ; cette petite flamme qui brille en elle. C’est un personnage magnifique. Avec son frère Neeley, ils écoutent les joueurs d’orgue et revendent tissus et ferrailles pour se faire quelques sous. Le soir, ils lisent une page de la Bible et une page d’une anthologie de Shakespeare.

Francie grandit puis découvre l’école et sa violence, ses chagrins et brimades. Elle se met à fréquenter avec assiduité la bibliothèque, chérissant le vœu de lire tous les romans que contiennent les étagères. Elle aime s’asseoir sur l’escalier de service pour lire à l’ombre des arbres. Très vite, l’adolescente trouve un exutoire dans l’écriture de contes ; elle se sent irrésistiblement attirée par la fiction.

Le Lys de Brooklyn est un roman dense et lumineux qui dépeint le quotidien d’une famille pauvre et nous offre une plongée vertigineuse dans l’âme d’une enfant qui devient adolescente, ses tourments, ses joies, ses peines, ses espoirs. J’ai dévoré ce roman initiatique et largement autobiographique écrit dans une langue poétique et romanesque.

Tour à tour, je me suis sentie révoltée, émue, transportée – à travers le personnage de Francie, Betty Smith dépeint la société américaine du début de XXème siècle, dans laquelle les femmes n’ont pas encore le droit de vote, où les enfants subissent des violences insidieuses, d’autant plus lorsqu’ils sont pauvres et où l’on doit choisir entre gagner quelques sous ou poursuivre ses études. L’atmosphère de ce roman m’a rappelé ceux de Carson McCullers. Une histoire dans laquelle je me suis sentie comme chez moi, et que je n’ai plus voulu quitter.

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« Parce qu’il faut développer chez l’enfant cette chose si précieuse qui s’appelle l’imagination. L’enfant doit avoir son monde secret où vivent et se meuvent des choses qui n’ont pas existé. Il est nécessaire que l’enfant croie, qu’il commence par croire à des choses qui ne sont point d’ici-bas. Il faut que, lorsque ce monde lui paraîtra trop laid pour pour y vivre, il puisse remonter en arrière et vivre par l’imagination. »

« Francie, qui s’arrêtait de balayer pour écouter, tâchait de coudre ensemble tous ces propos, de comprendre ce monde qui tournait autour d’elle comme une toupie, dans une formidable confusion. »

« J’ai besoin de quelqu’un, se disait Francie, désespérée. J’ai besoin de quelqu’un. J’ai besoin de serrer quelqu’un contre moi. Et, même, besoin de quelque chose de plus que cette étreinte : besoin de quelqu’un qui comprenne comment je suis dans un moment comme celui-ci. Et que cette compréhension se confonde avec son étreinte. »

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Juliana Léveillé-Trudel – Nirliit ***

Nirliit

La Peuplade – octobre 2015 – 184 pages

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Québec. La narratrice divague en s’adressant à Eva, la disparue – l’absente qui hante ces lignes. La narratrice nous décrit la toundra qui émeut et donne envie de brailler. Elle nous raconte ce besoin qu’elle a de se donner aux autres et de venir en aide aux plus démunis du Nord. Chaque été, elle fait le voyage vers le Nord et ses peuples inuits. Irrésistiblement attirée par ces terres et leurs aurores boréales. Chaque été elle répond à son irrésistible besoin de réparer les injustices du monde. Elle n’en a jamais assez, malgré, la fatigue, malgré le manque d’un mari et d’enfants, le manque d’une famille à elle. Elle se confronte ainsi au froid du Nord, et à son extrême pauvreté, son alcoolisme, son délitement.

Ce Nord qui brise des cœurs, ce Nord où il fait 5 degrés en plein mois de juillet… L’Arctique canadien où les caribous envahissent les pistes d’atterrissage. La narratrice cette année y cherche désespérément son amie Eva, portée disparue. Que personne ne cherche.

Nirliit est un récit plutôt court, écrit dans une langue poétique et rugueuse, mêlant québécois et français. Une langue qui m’a dépaysée et happée.

Isabelle Arsenault & Fanny Britt – Louis parmi les spectres ***

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Éditeur : La Pastèque – Date de parution : octobre 2016 – 160 pages

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« Je me souviens qu’en dehors des voitures de police banalisées, rien, nulle part, dans ma vie, n’est simple. »

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Après avoir eu un coup de ❤ pour Jane, le renard et moi, c’est avec bonheur que j’ai retrouvé le duo créateur Isabelle Arsenault & Fanny Britt. Dès les premières pages, l’émotion était au rendez-vous, encore une fois.

On découvre l’histoire de Louis et de son petit frère Truffe – l’innocence incarnée. Des parents qui se séparent. Deux frères qui se trouvent alors ballotés entre un père alcoolique et une mère angoissée.

 

Louis est amoureux de Billie, une « sirène à lunettes, une tempête de pluie, une fontaine à chocolat, une reine muette » qu’il n’ose pas aborder. Elle parle peu, défend les opprimés de la cour de récré et lit un livre par semaine.

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Des dessins en noir et blanc – l’intervention de la couleur symbolisant l’espoir et ces petits bonheurs qui font irruption dans un quotidien souvent terne et triste. Crayon et aquarelle. Délicatesse, douceur et poésie composent ce roman graphique. Un vrai moment de poésie, une lecture en suspension.

Lee Clay Johnson – Nitro Mountain **

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Éditeur : Fayard – Date de parution : septembre 2017 – 292 pages

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Ce curieux roman met en scène une galerie de personnages tous plus tordus et torturés les uns que les autres, dans une petite ville pauvre des AppalachesLeon est un jeune homme complètement paumé qui vient de se faire larguer par sa copine Jennifer, une jeune femme torturée et manipulatrice. Il est engagé par Jones Young, un musicien bluegrass pour jouer de la basse au sein de son groupe dans des bars glauques comme le Misty’s.

Après avoir quitté Leon, Jennifer tombe sous la coupe d’Arnett, un truand sociopathe aux multiples trafics, reconnaissable grâce au tatouage Daffy Duck qu’il a dans le cou. Turner, un ex-flic, se met en tête d’arrêter ce dernier, afin de regagner son insigne…

Un roman noir de chez noir qui transpire le glauque… L’atmosphère particulière de ce roman m’a tout à la fois repoussée et fascinée. J’ai été déroutée par cette lecture ; une langue âpre, et une ambiance malsaine et violente – rendant compte de la crasse humaine – qui tranche avec la beauté des paysages.

Une lecture faite dans le cadre des Matchs de la Rentrée littéraire #MRL17