Delphine Bertholon – Celle qui marche la nuit ****

Albin Michel – 2019 – 236 pages

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Malo vient d’emménager dans une vieille petite bicoque, en pleine campagne, entourée de forêts, quelque part près de Nîmes. Son père et sa belle-mère sont aux anges, leur rêve se réalise. Mais Malo a dû quitter son meilleur ami Pop’ et ses virées en skate dans les rues parisiennes, ses weekend au cinéma ; Paris et les Buttes Chaumont lui manquent.

En plus, depuis qu’ils sont arrivés, malgré la canicule, une sueur glacée lui colle au dos… Cette maison, il ne la sent pas du tout. Tout ces bruits, ces craquements, ce silence trop dense. Sa petite sœur de cinq ans se met à hurler la nuit et il ne la reconnaît plus – elle parle toute seule et son regard n’est plus le même. Elle semble s’être liée d’amitié avec une fille qu’elle est la seule à voir. Mais le pire dans tout ça, c’est que ses parents ne se rendent compte de rien.

Pour passer le temps, Malo explore la maison, de la cave au grenier, bien décidé à en percer le mystère. Il enfourche son vélo chaque jour et parcourt les forêts à la façon du petit poucet, pour ne pas se perdre. C’est comme ça qu’il tombe sur une maison en ruines, aux airs inquiétants… Dans laquelle il va découvrir une cassette audio et exhumer une histoire vieille de 30 ans.

Le roman de Delphine Bertholon est terriblement bien écrit et l’intrigue, sous la forme du journal intime de Malo, est bien ficelée et accrocheuse ; tous les ingrédients sont réunis pour faire frissonner et ménager le suspense. L’atmosphère est gluante et angoissante. Ça se dévore, le cœur battant !

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Tracy Chevalier – Le récital des anges ****

Folio – 2003 – 448 pages

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Londres, janvier 1901. La Reine Victoria vient de mourir. Selon la coutume, les familles se rendent au cimetière pour lui rendre hommage. À cette occasion, deux familles découvrent que leurs tombes sont voisines ; les Waterhouse et les Coleman. Si leurs filles se lient d’amitié immédiatement, les parents restent plutôt distants ; leurs différentes sautent aux yeux. Lavinia et Maude, quant à elles, vont sceller leur amitié au cimetière.

Le cimetière qui devient le lieu central du roman, le lieu de leurs jeux enfantins, mais aussi le lieu de jeux d’adultes – entre trahison, secrets et non-dits. Les fillettes se lient d’amitié avec Simon, le fils d’un fossoyeur un peu porté sur la bouteille. Simon n’est pas de leur monde et ne le sera jamais, malgré ses rêves. Maud est rationnelle comme son père quand Lavinia est romanesque à l’excès, elle voit le monde à travers le prisme de l’imagination, il y a en elle tant de candeur. Si Lavinia est élevée dans le respect des valeurs, qu’elles soient morales ou religieuses – famille traditionnaliste – Maude est quant à elle assez livrée à elle même. Sa mère aspire à une autre vie, à une certaine liberté. Elle ne semble pas faite pour la vie domestique. Elle finira pas trouver une raison de vivre grâce au combat des suffragettes.

Le Récital des anges est un roman choral, les personnages prennent la parole à tour de rôle. La multiplicité des points de vue apporte une richesse narrative exaltante. La plume de Tracy Chevalier m’a conquise et ses personnages ont trouvé une résonnance particulière en moi. Comme ses précédents romans que j’ai découvert – A l’orée du verger, La brodeuse de Winchester – j’ai trouvé celui-ci somptueux, puissant, émouvant.

Sandrine Collette – On était des loups ****

JC Lattès – juillet 2022 – 208 pages

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Cela fait plusieurs année que Liam a fait le choix de vivre seul, au fond des bois. À plusieurs dizaines de kilomètres de la ville. Pas le moindre voisin aux alentours. La nature, les loups, et rien d’autre. Ava, sa compagne, l’a suivi et vit avec lui. Ils ont un garçon de cinq ans, Aru.

Un soir, en rentrant d’une journée de chasse dans la forêt, Liam découvre le corps sans vie d’Ava ; vraisemblablement attaquée par un ours. Sous elle est blotti Aru, bien vivant.

Liam décide alors de se séparer de son enfant ; il décide que la vie sauvage n’est pas faite pour lui, c’est trop dangereux. Père et fils se mettent en route, à travers la forêt, en direction de la ville… Liam a prévu de déposer Aru chez de la famille éloignée. Mais rien ne va se passer comme prévu.

On était des loups est un roman âpre, qui nous plonge dans les méandres des pensées d’un homme qui a tout quitté pour les forêts, le silence, la nature ; un homme qui ne peut se résoudre à la mort de sa femme. Qui ne peut se résoudre à être père, seul. Un homme qui a souffert enfant. Qui ne sait pas ce que c’est qu’être tendre avec un enfant. Qui n’a jamais connu ça. Un homme, enfin, empli de désespoir et de fureur.

Un roman terrible sur la nature humaine avec en toile de fond les montagnes, les forêts qui peuvent se révéler tout à la fois hostiles et enivrantes. La langue est rustre, brutale, spontanée, ce sont les mots de cet homme, sans filtre ; certains passages sont de la poésie brute – comme celui sur la peau du monde, somptueux et féroce ! Il y a tellement de rage dans le cœur de cet homme, la douleur de la perte est telle qu’il va se retrouver aux frontières de la folie. Le chemin à parcourir se révélera être en lui tout autant qu’à travers la nature… Le chemin pour devenir un père pour Aru et pour accepter la vie sans Ava.

Le roman de Sandrine Collette m’a bouleversée. C’est un récit violemment poétique, acéré – entre rage et humanité. Une lecture immersive et prenante, dont on ne sort pas indemne.

Brit Bennett – Le cœur battant de nos mères ***

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Nadia n’a pas encore dix-huit ans mais elle a déjà perdu sa mère et avorté sans en parler à personne… Elle s’apprête à passer un dernier été dans sa ville natale avant de tout quitter pour l’université : son père meurtri, son amant Luke qui l’a abandonné au moment où elle en avait le plus besoin, et Aubrey, sa seule amie.

Le Cœur battant de nos mères est un roman où les mères sont absentes ; celle de Nadia s’est tirée une balle en pleine tête, sans prévenir, celle d’Aubrey ne l’a pas protégée quand elle était enfant et l’a abandonnée. Un roman où l’avortement occupe toute la place ; ce bébé avorté ne va cesser de hanter Luke – l’avortement ne bouleverse pas seulement les femmes… – Nadia, elle, ne digère pas la trahison de Luke. Chacun va grandir avec ses propres blessures, ses non-dits, ses rancœurs. C’est une histoire de mères mais aussi une histoire de trahison. De chacun des trois personnages principaux – Luke, Aubrey, Nadia – on se sent intimement proche. Le roman de Brit Bennett m’a bouleversée.

Anna Hope – Le Rocher blanc ***

Le bruit du monde – août 2022 – 336 pages

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« Il y a un rocher blanc là-bas, dans l’océan, où les Indiens disent que le monde est né. »

Ils sont tout un petit groupe entassé dans un minibus, à sillonner les routes mexicaines, en compagnie d’un chaman. Des Mexicains, une Française, une Allemande, une Sénégalaise et sa fille, des Anglais et un Colombien. Et l’écrivaine, avec sa fille de trois ans. Et son mari, qui ne sera bientôt plus son mari mais son ex-mari.

Qui sont-ils, tous? Pourquoi sont-ils ici, alors que le coronavirus touche le monde entier. Ils font route vers un rocher blanc, situé dans la mer, lieu de culte de la tribu des Wixárikas.

L’écrivaine est au Mexique pour l’écriture de son roman, trouver des pistes, l’inspiration. Elle est au Mexique aussi pour remercier la terre d’avoir eu sa fille, après sept années d’essais, à plus de quarante ans.

Ce rocher blanc est un personnage à part entière, il est le témoin précieux et mystérieux – maudit ou béni ? – de l’Histoire et des histoires…

(1969) Comme celle de ce chanteur hippie porté sur la boisson, qui abandonne son groupe pour trouver ce fameux rocher blanc. (1907) Comme celle de cette fille et de sa sœur Yoemem, déportées sur un bateau avec pour unique destination : la mort. (1775) Ou encore celle de ce lieutenant qui assiste à la folie/prise de conscience d’e son ami d’un de ses compagnons.

Le Rocher blanc est un roman qui traverse les siècles. Ce rocher qui émerge des profondeurs maritimes intrigue et fascine ; il est le témoin des humains, de leur déchéance, de leurs péchés. Témoin de l’extermination des Indiens. Des déportations de Yoemems. Tous les personnages qui se retrouvent devant ce rocher blanc ont en commun, à travers le temps, d’être arrivés à un moment charnière de leur vie : ils ferment une porte, tournent une page, disent adieu à celui ou celle qu’ils ont été, aux croyances qu’ils ont eues.