Tess Sharpe – Mon territoire ***

9782266300742ORI

Pocket – octobre 2020 – 592 pages

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Harley n’a que 8 ans lorsqu’elle perd sa mère et voit son père assassiner un homme de sang froid. Son père n’est autre que Duke McKenna, un des barons de la drogue les plus brutaux de la côte californienne, toujours en guerre contre les Springfield, eux aussi plongés jusqu’au cou dans le trafic des précieux cristaux.

Harley aime passer des heures en forêt ; son enfance est parsemée de fusillades et règlements de compte – à 12 ans elle sait déjà tenir un revolver pour se défendre, et quelques années plus tard, elle apprend à se débarrasser d’un corps. Son père l’a élevée de façon à ce qu’elle lui ressemble ; il lui apprend à survivre dans n ‘importe quelle situation.

Devenue jeune femme, Harley vadrouille, fusil en main, afin de collecter les recouvrements de dettes ; elle possède un don inné pour le tir, ne ratant jamais sa cible. Elle tient de son père, pour sa force de caractère et son instinct de chasseur, mais aussi de sa mère, pour son implication et son dévouement dans la lutte contre les violences faites aux femmes ; elle dirige le Ruby, une maison qui vient en aide aux femmes battues.

Harley n’a pas vraiment eu d’adolescence et n’a pas la même jeunesse que les gens de son âge. Son destin est tout tracé par son père, par son clan. La vengeance, elle l’a reçue en héritage. Bien décidée à ne jamais devenir comme son père, elle est prête à tout pour sauver ceux qu’elle aime et pour prendre son destin en mains.

Mon Territoire est un thriller à l’écriture aussi acérée que la lame d’un couteau ; l’intrigue est habilement ficelée et la narration possède un rythme soutenu – alternant souvenirs et présent – sans fausses notes. Je me suis rapidement attachée à cette héroïne au caractère incroyable, qui n’a pas froid aux yeux. Gros coup de coeur pour ce thriller féministe intelligent et ébouriffant ! Une lecture excellente du début à la fin, dont je suis sortie conquise.

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« Et je le vois dans ses yeux, le moment où il se rend compte qu’il est foutu. Qu’il n’est rien. Qu’il n’y a rien de plus fort qu’une femme qui s’est relevée des cendres du feu allumé par un homme. »

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Joyce Carol Oates – Le Ravin ***

9782290230152

J’ai Lu – 2006 – 384 pages

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Weymouth, New Jersey. Au moment de la disparition de Marcey Mason il y a 21 ans, Matt McBride n’avait que 15 ans. Mais il s’en souvient comme si c’était hier. Les recherches, la découverte du corps atrocement mutilé de l’adolescente dans les marais. Marcey avait 17 ans, elle était une populaire pom-pom girl. L’avenir lui souriait.

Matt, désormais marié et père de deux enfants, agent immobilier le jour et photographe la nuit, sous le nom d’Oiseau-de-nuit, en fait encore des cauchemars.

Aujourd’hui, impossible de ne pas faire le lien avec Diana Zwolle, une jeune artiste qui vient de disparaître à son tour. La police l’interroge et le soupçonne car il est mentionné dans le journal intime de la jeune femme. Alors qu’ils ne se connaissaient même pas, s’étant juste croisés quelques fois. D’après ses dires…

Matt ne peut s’empêcher de se sentir coupable. Mais de quoi?

Obsédé par la disparition de la jeune femme, Matt décide de mener sa propre enquête, en secret. « Comment convaincre la police qu’un autre était l’assassin quand elle vous soupçonnait, vous? »

L’écriture évocatrice et hypnotique de Joyce Carol Oates fait rapidement son effet. Un thriller psychologique qui nous fait plonger dans la noirceur de l’âme humaine. On connaît déjà le meurtrier donc il n’est pas question de suspense mais l’atmosphère terriblement noire et poisseuse comme l’eau des marais nous saisit à la gorge… Le Ravin nous offre une plongée saisissante dans la psyché d’un meurtrier. Un excellent moment de lecture.

Célia Garino – Les Enfants des Feuillantines ****

Sarbacane – mai 2020 – 512 pages

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Les Feuillantines, c’est le nom qui a été donné au grand manoir normand aux allures peu accueillantes, perché sur une falaise battue par les vents à l’extérieur de la ville ; un petit escalier permet d’accéder directement à la plage.

Les Feuillantines, comme le poème de Victor Hugo.

Les Feuillantines, un immense manoir dans lequel grouille toute une tribu d’enfants disparate, issus des Triplées, trois femmes – trois mères – au destin plutôt tragique. Les enfants Mortemer ; des frères et soeurs, des cousins. Tout ce petit monde vit sous la direction de Désirée, l’aînée. À 24 ans, elle a déjà 7 enfants à sa charge ; Brunehilde sa soeur de 14 ans, Isidore et Honoré, ses cousins jumeaux de 16 ans, leur petite soeur métisse Calliope 6 ans, leur cousine Hermeline 13 ans, son frère Warren 7 ans et la petite dernière, Pernelle, 2 ans et demi. Ça va vous me suivez toujours ? Oups, j’allais oublier Granny, leur arrière-grand-mère de cent-six ans, Justin le petit cochon nain, Pirate le perroquet et Fricassée le lapin.

Le roman de Célia Garino me rappelle un peu les Quatre soeurs de Malika Ferdjoukh et possède indéniablement un charme fou. Dès les premiers mots, je suis embarquée dans cette histoire familiale ô combien délicieuse. L’éctriture, l’intrigue : tout est addictif. Les Enfant des Feuillantines se révèle être un roman haut en couleurs et en émotions, au rythme effrené. Les chapitres courts de dégustent à toute allure. C’est frais, criant de vérité, drôle, émouvant : un grand bonheur de lecture. On a du mal à s’en défaire, à se résoudre à quitter ces Enfants Perdus. ❤

Gabriella Zalapì – Antonia. Journal 1965-1966 ***

Le Livre de Poche – août 2020 – 160 pages

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« Il paraît qu’un jour on se réveille affamé de ne pas avoir été ce que l’on souhaite. »

Palerme, années 60. Voici le journal d’une jeune femme qui n’a même pas 30 ans. Sur près de deux ans, Antonia tient son journal et lui confie, jour après jour, ses regrets, son mal-être, l’échec de son mariage avec Franco. Cette vie d’épouse ne lui va pas, elle est pleine de mondanités, de vacuité. Elle s’ennuie. « J’ai 29 ans. Mes désirs tombent, s’enfoncent dans l’insonore. Impossible d’envisager une vie de perfect house wife pour le restant de mes jours. J’aimerais abandonner ce corset, cette posture de femme de, mère de. Je ne veux plus faire semblant. »

Franco l’ignore ; il est froid, distant. Même son Vati, son grand-père adoré ne la comprend pas. Elle a une famille, vit dans l’opulence, elle a tout pour être heureuse, comblée. Pourquoi se plaindre.

Un journal criant de vérité. La vérité toute nue de cette femme qui étouffe dans sa vie. L’écriture est tranchante, implacable. « Le temps qui passe ressemble à du mercure. »

Parallèlement, Antonia rend compte de son enquête familiale ; à la mort de sa grand-mère Nonna – qui l’a prise sous son aile à l’adolescence – la jeune femme reçoit des cartons de lettres, de papiers, de carnets qui « dégagent une odeur d’éternité. » Au fur et à mesure de ses fouilles, les souvenirs refont surface. Antonia semble chercher dans le passé un sens à ce qu’elle vit au présent. Elle éprouve le besoin d’assembler les morceaux épars de son histoire familiale.

« Mon imagination demandait à féconder la réalité. »

Gabriella Zalapì nous livre le portrait émouvant et percutant d’une femme qui cherche à s’émanciper, à s’extraire du carcan de cette société patriarcale impitoyable. Un roman implacable et magnifique. Et cette beauté, cette poésie dans l’écriture…

Sandrine Collette – Et toujours les Forêts ****

 JC Lattès – janvier 2020 – 334 pages

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Corentin, personne n’a jamais voulu de lui. Son père, il ne l’a pas connu, il s’est tué sur la route. Malchance, chagrin. Sa mère, elle rêve depuis toujours de le faire disparaître. Depuis qu’il s’est implanté en elle, petite graine qu’elle diabolisait. Elle l’abandonne régulièrement chez des amies, des connaissances. Elle le maudit d’exister. Un jour, elle le dépose chez la vieille Augustine. En plein coeur des Forêts. Là où tout a commencé.

Les Forêts, « un territoire à part, colossal, charnu d’arbres centenaires, de chemins qui s’effaçaient chaque saison sous la force de la nature. » Au creux de ce territoire hostile, Augustin renaît peu à peu, grandit, s’épanouit.

Il poursuit ses études à la Grande Ville ; comme un papillon de nuit, il est attiré par les lumières et se laisse dévorer par les fêtes permanentes ; il rencontre toute une bande de potes avec laquelle il se lie et s’attache, à travers des soirées toujours plus alcoolisées, toujours plus hallucinées. Ensemble, ils sont insouciants. Transis.

« Engloutis dans la terre, engloutis dans l’alcool et les rêves »… Ils ne se rendent pas compte que la terre brûle et se dessèche anormalement. La chaleur s’éternise et les saisons se dérèglent inéluctablement. La fin du monde arrive. Corentin y survit miraculeusement et se lance à la recherche d’Augustine et des Forêts.

L’écriture hypnotique et ciselée de Sandrine Collette m’a captivée. Je me suis plongée dans ce roman incroyable et terriblement prenant ; les descriptions de ce monde post-apocalyptique sont saisissantes. Et toujours, les Forêts est un roman à la fois lumineux et désespéré ; d’une telle beauté. Depuis que je l’ai refermé, les images se sont imprimées sur ma rétine et les mots de l’autrice ne quittent plus mes pensées. ♡

Kate DiCamillo – Louisiana **

Louisiana

Editions Didier Jeunesse – 2019 – 160 pages

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Floride, fin des années 70. La grand-mère de Louisiana Elefante perd un peu la boule. Persuadée que sa famille est porteuse d’une malédiction depuis plusieurs générations, elle embarque sa petite-fille en pleine nuit pour un road-trip des plus singuliers. Il est 3h du matin lorsqu’elle lui annonce que « l’heure du jugement a sonné ». Louisiana se rend vite compte qu’elle ne reverra pas de sitôt sa maison… ni ses meilleures amies, ni Monsieur Chien, ni Archie son chat. Elle en a le coeur brisé.

Quelques heures plus tard, la gamine se retrouve à la frontière entre la Floride et la Géorgie, dans une voiture en panne sèche, avec une grand-mère qui souffre subitement d’une rage de dent et s’écroule sur la banquette arrière. Les aventures ne font que commencer

A travers de courts chapitres, l’écriture de Kate DiCamillo se révèle drôle, impertinente et tendre. Je me laisse prendre dans les filets de cette histoire somme toute bien farfelue.

Louisiana est une ado dégourdie et malicieusement désespérée, qui possède un talent de poids : une voix d’ange lorsqu’elle se met à chanter. Quant à la grand-mère, elle est aussi petite que virulente, elle possède un regard perçant et un tempérament drôlement autoritaire.

L’intrigue qui vire chamallow pleine de bon sentiments m’a finalement un peu agacée. Je ne suis pas certaine que ce roman restera gravé dans ma mémoire, mais ça n’en demeure pas moins une lecture pleine de charme sur la quête des origines, la quête de sens d’une enfant.

Elizabeth Jane Howard – Étés anglais ***

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La Table Ronde – mars 2020 – 576 pages

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Après en avoir entendu parler pendant des mois, j’ai enfin succombé au charme des chroniques de la famille Cazalet

Nous sommes en 1937, c’est l’été au coeur du Sussex en Angleterre. Toute la famille Cazalet et les pièces rapportées s’apprêtent à se rassembler à Home Place, la maison familiale au bord de la mer. Trois frères et leurs femmes et enfants respectifs. Leur sœur, Tante Rachel, célibataire. Et toute la clique de domestiques.

On découvre les membres de cette famille, des personnages tous aussi bien croqués les uns que les autres ; certains m’ont interpellée, m’ont touchée plus que d’autres.

Comme la jeune Louise, quatorze ans, qui se sent à la fois encore enfant et déjà profondément vieille. Qui peut citer du Shakespeare pour n’importe quelle situation et rêve de devenir comédienne. Son père Edward qui se délecte d’avoir une double vie, dont personne ne soupçonne l’existence. Sa mère Villy qui cherche en vain un sens à sa vie conjugale à laquelle elle prend si peu goût au fond ; pour laquelle elle a dû abandonner sa passion pour la danse.

L’oncle Hugh qui est revenu meurtri par la guerre et appréhende celle qui semble se profiler… Sa femme Sybil, enceinte jusqu’aux yeux. Leur fille Polly, inséparable avec sa cousine Louise. La pauvre Clary, mal dans sa peau, dont la mère est morte en donnant naissance à Neville son frère. Leur père Rupert qui s’est remarié, avec Zoé, une jeune femme aussi séduisante que décérébrée, que personne ne semble apprécier.

Je me suis délectée de ces chroniques d’une famille de l’aristocratie anglaise de la fin des années 30, entre journées à la plage, dîners, parties de tennis, commérages et mensonges. Drames chuchotés derrière les portes. Et le spectre de la guerre qui plane insidieusement.

Etés anglais est un roman absolument savoureux, qui fourmille, qui jongle entre subtile ironie et drame, dont j’ai aimé l’écriture légère et truculente, imagée et évocatrice. Un roman qui se déguste avec une tasse de thé brûlante.

Elizabeth Jane Howard nous livre une analyse fouillée de l’âme humaine, entre légèreté et profondeur. L’autrice révèle un certain génie pour nous livrer le portrait aiguisé de ces personnages, leurs désarrois, leurs atermoiements, leurs excès et leurs joies. Dès les premiers mots, on plonge vertigineusement entre ces pages. Etés anglais est le premier tome d’une saga qui s’annonce mémorable.

Gisèle Halimi avec Annick Cojean – Une farouche liberté ***

9782246824237-001-T

Grasset – août 2020 – 160 pages

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Dans ce – trop – court livre, Annick Cojean nous livre la parole de Gisèle Halimi, à travers leur entretien. C’est une femme fascinante et extraordinaire qui se confie et nous raconte son enfance ; sa soif de justice qui très tôt s’éveille ; son sentiment de révolte grandissant face aux rapports différenciés entre hommes et femmes, aux différences d’éducation, face à l’injustice de cette société patriarcale écrasante. Sa prise de conscience qu’être née femme allait lui poser problème. Très tôt, Gisèle Halimi ressent le besoin d’indépendance et d’émancipation, c’est presque viscérale chez elle ; « échapper à cette malédiction des femmes qui les plaçait en situation d’obligées ». La jeune femme deviendra avocate, pour défendre le droit des femmes, faire entendre sa voix, faire changer les choses. Sachant toujours très bien s’entourer, elle consacrera sa vie entière à défendre la cause des femmes, à dénoncer les injustices.

Un ouvrage nécessaire, à lire et relire. Une femme qui a marqué l’histoire du féminisme par son engagement sans limite, son tempérament tempétueux et impétueux.

« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » René Char.