Sophie Divry – Trois fois la fin du monde **

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Éditeur : Notabilia – Date de parution : août 2018 – 240 pages

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Joseph Kamal se retrouve en prison après un braquage qui tourne mal ; son frère y trouve la mort. Inculpé pour complicité, il est incarcéré à la prison de F. Exiguïté de la cellule, puanteurs des couloirs, violences quotidiennes… C’est un véritable enfer. Gardes et détenus rivalisent de violences et d’humiliations. L’explosion d’une centrale nucléaire va le libérer de ce cauchemar.

Le jeune homme, transfiguré par la prison, trouve refuge dans une cabane au fond des bois, seul au milieu de l’immensité végétale. En pleine zone contaminée. Après la violence de l’enfermement, Joseph découvre l’intensité de la solitude et trouve réconfort et affection auprès d’un mouton et d’un chat.

Le silence de cette nature dépeuplée, de nouveau rendue à la sauvagerie, dépourvue de toute présence humaine, a quelque chose de fascinant. Ces maisons abandonnées telles quelles. Joseph tente de s’oublier dans la nature et l’accomplissement de ses tâches, jour après jour. Il tente de maintenir à distance l’angoisse. Mais la solitude va peu à peu le submerger, jusqu’à la folie… 

Un roman qui avait tout pour me plaire : une fin du monde, une immersion en pleine nature… Et ce Robinson Crusoé d’un nouveau genre m’intriguait. Mais je n’ai pas accroché plus que cela. J’ai cherché en vain l’émotion et suis restée bien hermétique à la poésie que l’on m’avait tant vantée.

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Maryam Madjidi – Marx et la poupée ***

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Éditeur : Le Nouvel Attila – Date de parution : 2017 – 202 pages

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Maryam a quitté sa terre natale à l’âge de six ans. Déracinée, elle connaît l’exil et ses blessures – de Téhéran à Paris. Une enfance entamée. Une nouvelle langue à apprendre pour effacer l’ancienne, l’enterrer, la recouvrir de terre. De ce roman, je garde en mémoire cette image très forte des lettres de l’alphabet persan qui sont enterrées dans la terre. Maryam souffre de cet exil et va mettre un certain temps à se rendre compte de cette souffrance et à se l’approprier. L’exil c’est ne se sentir chez soi ni en France ni en Iran ; c’est être considérée comme une Française à Téhéran et une Iranienne à Paris…

L’auteure passe de la première à la troisième personne sans crier gare. Du personnel à l’impersonnel, de l’intérieur à l’extérieur comme pour se mettre à distance, se mettre en perspective, adopter un regard différent, emprunter un autre point de vue. Un récit autobiographique écrit dans une langue poétique et pudique, qui m’a profondément touchée.

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« Enfin, je t’attrape dans mes bras. Je plonge ma tête dans ton cou et je respire mon enfance. Nous sommes toutes les deux debout, et c’est toi qui me soutiens. »

Vehlmann & Kerascoët – Jolies ténèbres ***

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Éditeur : Dupuis – Date de parution : 2017 – 112 pages

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C’est l’histoire d’une petite femme, Aurore, qui prend le thé avec un jeune prince distingué. Soudain, le monde autour d’eux s’effondre, coule, les englue, les noie. Ils parviennent à s’échapper… ils se retrouvent à l’extérieur, dans une clairière. On découvre alors qu’il s’agit d’une multitude de petits êtres qui sortent d’un cadavre de fillette. Hé oui, la demeure d’Aurore n’était rien d’autre que le cadavre d’une enfant gisant abandonnée dans les sous-bois. Normal quoi !

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Mélange d’horreur et de naïveté, de glauque et de merveilleux… Frissons de dégoût ou mignonitude, on passe de l’un à l’autre de ces sentiments en quelques secondes. Une BD on ne peut plus dérangeante et déroutante qui prend les traits d’un conte cruel.

La beauté des images tranche avec la cruauté de beaucoup de scènes. Il y est question de mort, de meurtre, d’abandon ; c’est sanglant et purulent et pourtant les personnages sourient et ont la banane. C’est glauque aussi. En refermant ce roman graphique, je n’ai qu’un mot à la bouche : terrible ! Jolies Ténèbres est un véritable ovni graphique.

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Benedict Wells – Le Dernier été **

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Éditeur : Slatkine & Cie – Date de parution : 20 août – 416 pages

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Fin des années 90. Robert Beck enseigne l’allemand et la musique dans un lycée où il ne supporte plus ses collègues. Approchant de la quarantaine, il accuse le coup d’une carrière ratée de musicien ; son rêve s’est brisé le jour où il s’est fait virer de son groupe comme un malpropre. Deux rencontres vont venir s’inscrire dans sa routine et le détourner de son enlisement dans le quotidien. Il y a Rauli, cet élève lituanien brimé par les autres et qui se révèle être un prodige de la musique. Beck va le prendre sous son aile pour en faire la nouvelle star montante… Et Lara, cette serveuse qu’il surprend en pleine rupture amoureuse au téléphone dans la rue. Qu’il drague alors qu’elle n’est pas du tout son genre.

Le dernier été c’est l’été 99. L’été durant lequel Beck, Rauli et Charlie – son meilleur ami afro-allemand maniaco-dépressif et toxicomane échappé de l’hôpital psychiatrique – prennent la route, direction Istanbul.

Robert Beck est un personnage très antipathique, égoïste et ironique qui ne pense qu’à lui, qui peut lancer de sacrées vacheries à ses amis puis le regretter aussitôt – ou pas… C’est un homme lâche, menteur et vaniteux qui se rend compte qu’à trente-sept ans il n’a toujours pas vécu et qu’il est peut-être en train de rater sa vie.

Une drôle d’écriture, un peu maladroite parfois (mais peut-être est-ce dû à la traduction ?) Un roman qui m’a tour à tour attendrie, agacée, laissée de marbre pour finalement m’émouvoir sur les dernières pages. J’ai eu un mal fou à ressentir de l’empathie pour Beck… Une lecture donc relativement mitigée pour moi. J’ai de loin préféré son premier roman paru en France, La Fin de la solitude.

Et vous, qu’en avez-vous pensé ?

Zeruya Shalev – Douleur ***

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Éditeur : Folio – Date de parution : septembre 2018 – 464 pages

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« Tu te souviens quel jour on est, aujourd’hui? » … Ce matin, avant de partir travailler, il suffit d’une seule question de son mari Micky pour qu’Iris se souvienne de la douleur. Que la douleur enflamme à nouveau son corps au souvenir de ce jour infernal. Ce jour où un bus explosa à côté d’elle. Ce jour où des corps volèrent en éclat et des vies se brisèrent, dans une gerbe de flammes. Dix ans plus tard jour pour jour, la douleur est toujours vive. Bassin fracturé – vie brisée. Iris a mal comme si l’accident venait de se produire.

Lorsqu’elle se rend à l’hôpital pour passer des examens, elle tombe sur son amour de jeunesse, devenu médecin de la douleur. Amour premier et fatal – amour dont elle ne s’est jamais remise, restant alitée des semaines entières, sans boire ni manger, ne désirant que mourir. Cette directrice d’école très réputée se met à revivre son adolescence à l’âge de quarante-cinq ans. La vacuité de sa vie pendant ces trente années sans lui semble lui sauter aux yeux. C’est l’amour de sa vie. Elle enregistre son numéro de portable sous le nom de Douleur

L’insouciance de ses quinze ans s’empare d’elle sans crier gare ; c’est sans compter le comportement de plus en plus inquiétant de sa propre fille, Alma… Alma qui lui file entre les doigts ; installée depuis quelques mois à Jérusalem, la jeune fille abandonne ses études pour travailler dans un bar bien curieux où, d’après la rumeur, elle serait tombée sous la coupe sectaire d’un patron manipulateur.

Un roman qui nous prend par surprise. Douleur commence avec une banale intrigue amoureuse, deux anciens amants qui retombent dans les bras l’un de l’autre… Et pourtant, c’est bien plus que cela.

Zeruya Shalev nous brosse le portrait d’une femme tiraillée entre le violent amour qu’elle ressent et la culpabilité envers sa famille – un mari présent mais qui semble plus amoureux de son échiquier que de sa femme et des enfants qui quittent le nid familial et semblent avoir de moins en moins besoin de leur mère. Douleur est un roman prenant et obsédant qui nous délivre une réflexion sur la culpabilité, la maternité, la famille et questionne ces secondes chances que la vie peut nous offrir.

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« Qu’elle avait été pénible cette séparation, même si elle avait débouché sur une rencontre, qu’elles sont dures les séparations attendues que nous impose la nature, ce compte à rebours toujours enclenché, un temps pour la grossesse, un temps pour élever les enfants, un temps pour la vie elle-même et parfois, un temps pour l’amour. »

Brad Watson – Miss Jane **

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Éditeur : Grasset – Date de parution : septembre 2018 – 384 pages

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(Je n’ai pas pu m’empêcher d’afficher la couverture de la version originale du roman, tellement je la trouve sublime…)

Jane Chisolm vient au monde en 1915, dans une petite ferme du Mississippi. Le docteur Thompson, qui assiste à sa naissance, se rend compte qu’elle a une malformation. Malgré tout, cette belle enfant blonde aux yeux bleus, d’un caractère enjoué et insouciant, va survivre et grandir, toujours dans les jupes de sa sœur Grace, sa mère ayant besoin de temps pour souffler.

C’est vers l’âge de six ans que Jane se rend compte qu’elle est différente des autres. Elle a besoin de couches, et ne peut se retenir quand une envie pressante survient. L’enfant vagabonde et crapahute dans les bois et les pâturages alentours, suit les cours d’eau, aux côtés de son chien Manitou. Elle s’évade ainsi et semble oublier sa différence, pour un temps. Envers et contre tous, elle désire aller à l’école.

Un roman étrange et beau. Profondément triste aussi. Je ne saurais en fait pas comment le définir… J’ai aimé cette lecture, même si au fond, il ne s’y passe pas grand chose. Jane est cet oiseau, inaccessible, insaisissable, pour qui l’amour n’est pas possible et qui se résigne à la solitude.

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« À la fin du printemps, l’année de ses six ans, une conscience plus complexe d’être différente des autres avait commencé à se former dans son esprit, telle la racine d’une plante étrange au plus profond des bois. À certains moments, elle avait l’impression d’être une créature étrange et silencieuse m, un être invisible, davantage un fantôme qu’une personne, un enfant, une petite fille. »

Gaëlle Nohant – L’Ancre des rêves ***

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Éditeur : Le Livre de poche – Date de parution : 2017 – 336 pages

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Benoît, Lunaire, Guinoux et Samson. Quatre frères dont la mère – Enogat – leur a toujours interdit de s’approcher de la mer et qui, chaque nuit, font un cauchemar, toujours le même. Chaque frère se débat avec les tentacules de son propre cauchemar dès lors qu’il ferme les yeux pour la nuit.

Lunaire a le sentiment étrange que les personnages de son rêve existent ou ont existé… Pour en avoir le cœur net, l’adolescent va mener son enquête dans le plus grand secret et faire la connaissance d’Ardélia, une vieille femme qui va lui livrer son passé… Un passé empreint de bateaux, de marées, de marins qui partent et se font avaler par les océans.

Cette lecture nous transporte dans des contrées marines fascinantes ; elle me rappelle par moments l’ambiance du Grand Marin de Catherine Poulain. Il se dégage de ce roman une magie certaine, un charme magnétique et une ambiance qui nous fait frissonner.

Un roman somptueux qui dresse le portrait d’une famille singulière et nous raconte son histoire, hantée par les tragédies du passéUne famille pleine de fantômes. Gaëlle Nohant, dont je découvre pour la première fois la plume, nous parle de ces secrets enfouis qui défigurent une famille sur plusieurs générations, leur empreinte silencieusement violente sur l’enfance. « Les blessures et les tragédies pouvaient-elles se transmettre d’une branche à l’autre de l’arbre généalogique, à travers les rêves ? »

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« Peut-être les rêves ressemblaient-ils à ces pelotes de réjections que les oiseaux de proie abandonnent dans leur nid en s’envolant, quelque chose que la nuit recrachait pour qu’on soit plus léger au lever du jour. »