Ta-Nehisi Coates – Le Grand combat **

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Éditeur : J’ai Lu – Date de parution : mai 2018 – 252 pages

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Nous sommes dans les années 80 à West Baltimore, la ville des gangs, du crime et du crack. Ta-Nehisi grandit dans cet univers impitoyable où l’activité la plus banale – rentrer de l’école à pieds, faire ses courses – peut dégénérer. Un de ses amis se fait massacrer un soir en rentrant chez lui.

Ta-Nehisi pourrait plonger, mais son père, ancien Black Panther passionné de littérature  l’abreuve de ses lectures sur la culture noire et de son expérience passée. Dès l’âge de treize ans, l’adolescent se met à dévorer les ouvrages qui composent la bibliothèque paternelle.

Le Grand combat est un récit autobiographique poignant aux accents hip-hop, qui nous livre le parcours initiatique d’un enfant, puis d’un adolescent, avec en fond sonore le son d’un djembé ; instrument dont il apprend à jouer et qui donne un sens à sa vie.

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Marie Pavlenko – Je suis ton soleil ****

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Éditeur : Flammarion – Date de parution : mars 2017 – 472 pages

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Déborah démarre son année de terminale avec aux pieds ses bottes à tête de grenouille parce que Isidore le chien-clochard a dévoré ses chaussures. Selon le théorème de la scoumoune, si un pigeon se balade au dessus de 300 personnes, c’est forcément sur sa tête qu’il va se soulager.

Ces derniers temps, Déborah préfère être au Clapier – le lycée où les élèves s’entassent tous comme des lapins en batterie – plutôt qu’à l’appartement avec ses parents… En effet, sa mère passe ses journées en pyjama à broyer du noir et son père n’est jamais là. Elle en comprend la raison le soir où elle le croise en train d’embrasser à pleine bouche une femme qui n’est pas sa mère – « une grue à moumoute bouclée ». Et puis il y a ce mystérieux numéro de téléphone qui apparaît sur plein de post-it dans l’entrée…

Mais ce n’est pas tout ; Éloïse, sa meilleure amie, la délaisse peu à peu pour vivre une passion avec Erwann, un adolescent au crâne un peu vide. Heureusement, il y a Carrie, sa libraire préférée, chez qui Déborah se réfugie pour consoler son âme avec des mots. En cette rentrée chaotique, ce sera Victor Hugo et ses Misérables. Avec un tel pavé en deux tomes, il y a de quoi assommer tous les soucis. L’adolescente se rapproche aussi d’un autre Victor, beau barbu déjà pris et de Mygale-man, l’étrange adolescent qui collectionne les araignées (coucou Gertrude velue).

Les chapitres se succèdent, ponctués de coquillettes. Dès les premières pages, le ton est donné : d’expressions loufoques en métaphores à hurler de rire, Déborah déroule la bobine de son quotidien qui dérape…

Comme j’ai aimé ce personnage adolescent ! Son langage très imagé et truffé de métaphores toutes plus cocasses les unes que les autres. On se poile toutes les deux minutes, au détour des pages, on pleure aussi.

Un roman sans faux-semblants, désopilant et émouvant, qui nous livre une tranche de vie, sans fioriture. Qui nous fait connaître de beaux personnages, avec une vraie présence, une épaisseur psychologique complexe. Aucun cliché, aucun manichéisme et c’est ce qui fait la force de ce roman : on est de plain-pied dans la réalité, dans le quotidien de Déborah, souvent terne et fadasse mais duquel l’adolescente se sauve par le rire et l’amitié.

Un joli petit pavé doré, drôle et impertinent, que l’on quitte à regret !

Mathieu Menegaux – Je me suis tue ***

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Éditeur : Points – Date de parution : 2017 – 144 pages

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La voix de Claire résonne dans sa cellule de prison. Son procès touche à sa fin et dès le début, tout est joué d’avance – elle est condamnée. Avant de passer de l’autre côté, de partir, elle désire écrire la vérité. Ne pas se justifier mais juste témoigner. « Vous êtes ma dernière conversation avant que je disparaisse. »

Tout commence par un soir d’hiver, il y a deux ans ; Claire et son mari ont un dîner d’affaire chez un associé ; un de ces dîners barbants où l’on va parler boulot, enfant… alors que Claire et Antoine n’ont jamais réussi à en avoir. Claire s’ennuie alors elle décide de rentrer seule à vélo. Elle ne sait pas encore que sa vie est sur le point de basculer. Tapi dans l’ombre, le destin aux yeux noirs et sombres lui saute dessus. Ces yeux, ils vont la hanter. « Chaque soir, au moment de m’endormir, je voyais ses yeux. Juste au moment où je fermais les miens. Ils étaient là. Ils se posaient sur moi, me transperçaient, pas longtemps, juste assez pour me rappeler que rien, plus rien ne serait jamais comme avant. »

Claire est un personnage féminin pour lequel on ne peut ressentir aucune empathie… À mesure que le récit avance, je comprends de moins en moins cette femme et la tension est telle que j’ai le ventre qui se noue de plus en plus. On étouffe sous les mots de Claire, on se sent oppressé. L’horreur se dessine peu à peu et l’effroi nous saisit. Ces yeux noirs qui la hante. Et ce silence dans lequel elle s’est enlisée à cause de ce mensonge qui prend des proportions incroyables.

Le choix du silence va se révéler dramatique. La nausée prend le relais de l’effroi et je lis le reste du roman dans un état d’hébétude. Je suis littéralement sonnée – frissons et larmes aux yeux. En tournant la dernière page, je me suis sentie complètement abattue, lessivée, le souffle court.

Ce ne sera pas un coup de ❤ mais une vraie claque… Un roman brillant et terrifiant que je vous recommande sans vous le recommander non plus…!

Margaret Atwood – La Servante écarlate ****

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Éditeur : Robert Laffont – Date de parution : 2017 [1985] – 544 pages

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La république de Gilead a vu le jour après une chute drastique de la fécondité causée par la pollution, la toxicité de l’air et le mode de vie d’un peuple perverti. L’atmosphère se retrouvant saturée de produits chimiques, enfanter est devenu une chose rare, un trésor inespéré…

Au sein de cette république fondée par des fanatiques religieux, les quelques femmes encore fertiles sont réduites au rang d’esclaves sexuelles – vêtues de rouge, avec des œillères blanches pour avoir le visage dissimulé le plus possible.

La voix de ce roman est celle de Defred, servante écarlate parmi les autres, qui met son corps au service du Commandant et de son Épouse. Sa voix résonne comme un témoignage de son époque. Elle nous livre son histoire, sans rien omettre, tâchant de la raconter au plus près de la vérité.

Le récit fait basculer le présent dans le passé – cette époque pas si lointaine où Defred était encore une femme libre et une mère… – à travers une chronologie éclatée. La nuit, ses pires cauchemars viennent la hanter ; elle ne peut s’empêcher de penser à Luke et sa fille. Elle imagine leur vie : sont-ils morts ? Ou bien imaginer leur mort est-elle une façon pour elle de survivre ? « Le temps est un piège, je suis prise dedans. » 

La Servante écarlate est un roman foisonnant qui nous immerge dans les méandres des pensées de cette femme privée de liberté, d’amour, de passé, de moi, de prénom, qui va tenter de fuir.

L’écriture de Margaret Atwood m’a immédiatement conquise : cinématographique et ciselée, elle m’a fait frémir et sursauter. Une scène m’a particulièrement marquée : celle de la cérémonie de la naissance, où les esclaves écarlates entrent en transe avec la femme en train d’accoucher… La voix de Defred est de celles qui marquent durablement les esprits. Un roman terrible, d’une grande noirceur, dont on ne ressort pas indemne et qui nous laisse surtout l’impression qu’un jour il pourrait se réaliser.

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« Je suis couchée dans mon lit, encore tremblante. On peut mouiller le bord d’un verre, faire courir le doigt tout autour, et il émettra un son. C’est ainsi que je me sens : je suis ce son de verre. Je me sens comme le mot briser. J’ai envie d’être avec quelqu’un. »

« Je voudrais que cette histoire soit différente. Je voudrais qu’elle soit plus civilisée. (…) Je voudrais qu’elle parle d’amour, ou d’illuminations soudaines importantes pour ma vie, ou même de couchers de soleil, d’oiseaux, d’ouragans ou de neige. »

« Je regrette qu’il y ait tant de souffrance dans cette histoire. Je regrette qu’elle soit en fragments, comme un corps pris sous un feu croisé ou écartelé de force. Mais je ne peux rien faire pour la changer. »