Eric Pessan – Dans la forêt de Hokkaido ***

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Éditeur : l’école des loisirs – Date de parution : août 2017 – 132 pages

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Quand elle s’endort, Julie se retrouve dans la peau d’un petit garçon perdu dans une forêt sur l’île d’Hokkaido, au Japon. À 10000 km de chez elle. A son réveil, des mots en japonais lui viennent naturellement en tête alors qu’elle n’a jamais appris cette langue.

Et si ce n’était pas qu’un simple rêve ? Quel lien existe-t-il entre ces deux êtres ?

Julie est une adolescente de quinze ans, à l’existence à peu près banale, si ce n’est qu’elle a quelques dons : elle parvient à retrouver les objets perdus et à deviner les notes de ses contrôles à l’avance.

Le je de Julie devient le il du petit garçon perdu en pleine forêt, puis ils fusionnent pour donner le nous – deux êtres dans un même corps. De façon très habile, le texte bascule de la réalité au rêve, d’un monde à l’autre, de la chambre de l’adolescente à la forêt japonaise… « Nous sommes un pauvre garçon famélique et sans force qui vient de voir un ours. »

Un court roman poétique qui mêle réel et surnaturel de façon hypnotique, nous entraînant dans une quête singulière. La forêt, lieu fantasmagorique, cristallisation de toutes les peurs, semble être un personnage privilégié de l’univers d’Eric Pessan, découvert avec son recueil de textes sur la chasse La Hante.

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Ina Mihalache – Autoportrait en chienne **

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Éditeur : L’Iconoclaste – Date de parution : mars 2018 – 200 pages

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Ina Mihalache a la trentaine, elle aborde l’âge où sa mère est tombée enceinte d’elle. Pour pallier l’angoisse et la pression qui s’emparent d’elle, la jeune femme décide d’adopter un chien. Un désir de chien plutôt qu’un désir de bébé. Et pourquoi pas ? Un être qui l’aimera pour ce qu’elle est, quoi qu’il arrive. Ainsi, la jeune femme adopte Truite.

Parler de sa chienne c’est aussi un moyen pour l’auteure de se confier, d’écrire sur soi. Évoquer ses souvenirs d’enfance et d’adolescence au Québec. Depuis toujours, Ina rêve de la France, elle peaufine son français dans l’espoir ardent d’y vivre plus tard, reniant carrément ses origines québécoise, toujours honteuse de la prononciation de ses parents. Elle travaille son vocabulaire, tchatte avec des inconnus français au milieu de la nuit.

Un curieux roman, sorte d’autobiographie animale – confessions intimes et réflexions sur l’attachement animal – qui m’a tour à tour agacée, fait sourire et attendrie. Une écriture pêchue, vive et alerte, bourrée d’humour, qui se déguste sans déplaisir.

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« Or, j’aime que ses cinq kilos de Truite pèsent de tout leur poids sur moi. Le temps s’arrête, je suis son sanctuaire. Je sais qu’elle ne s’y attardera pas longtemps parce que je ne suis pas d’un parfait moelleux. Mais tant qu’elle y reste, je suis vernie. Elle est à moi, je suis à elle, je la contiens, elle me captive. Notre fusion inter-espèces me donne une raison d’être. »

Elizabeth Brundage – Dans les angles morts ****

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Éditeur : La Table Ronde – Date de parution : janvier 2018 – 528 pages

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1979. En rentrant chez lui un soir de tempête de neige, George Clare retrouve sa femme Catherine assassinée dans leur chambre, encore en chemise de nuit. Leur fille Franny, qui n’a que trois ans, est restée seule dans sa chambre toute la journée. Pour le shérif Lawton, le mari a tout du coupable idéal…

Cette vieille ferme, entourée de champs à perte de vue, ils l’ont eu pour une bouchée de pain, huit mois plus tôt lors d’une vente aux enchères. Ce que le mari a caché à sa femme, c’est que la ferme fut le théâtre du suicide d’un couple de fermiers criblé de dettes ; les parents des frères Hale, Eddy, Wade et Cole. Ils se sont suicidés dans la chambre où George et Catherine dorment. Cette même chambre où la jeune femme sera retrouvée assassinée à coup de hache.

Elizabeth Brundage déroule les quelques mois qui précèdent la mort de Catherine ; la rencontre, le mariage, l’arrivée de la famille à Chosen suite à la prise de poste de George à l’université. La façon dont Catherine s’est tout de suite sentie épiée dans cette ferme, ne s’y sentant pas à sa place. Les courants d’air froid dans certaines pièces – comme si des fantômes hantaient les lieux. Le caractère singulier de George, qui nous est dévoilé à travers les gens qui le côtoient. On en apprend davantage aussi sur l’histoire des frères Hale.

Dans les angles morts est une belle surprise. Un roman profondément beau et complexe, aux allures trompeuses de thriller. En effet, il s’agit davantage d’un roman psychologique aux accents surnaturels, dont l’écriture poétique et ciselée m’a émue et transportée. J’ai aimé ces deux histoires familiales qui se lient l’une à l’autre à travers leurs fantômes ; et notamment l’histoire de ces deux femmes qui rêvaient d’une autre vie, l’une d’air et l’autre de chair.

Au fil des chapitres, l’auteure fait défiler les personnages pour nous permettre de comprendre ce qui s’est passé. Une lecture lente et dense, qui prend son temps pour se dévoiler – on retient son souffle jusqu’aux derniers mots, jusqu’aux derniers instants. Un livre puissant sur les amours contrariées, la culpabilité et le mensonge, aux personnages tantôt attachants tantôt repoussants, dont la psychologie demeure très travaillée.

Un coup de ❤

Découvrez les avis de Jostein & Céline.

Gaet’s, Luciani & Munoz – Un léger bruit dans le moteur ***

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Éditeur : Petit à Petit – Date de parution : avril 2017 – 124 pages

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Le héros – ou devrais-je dire l’anti-héros – de ce roman graphique est un enfant seul, furieusement seul, qui aime tuer les gens… oui, vous avez bien lu. Son passe-temps favoris est d’assassiner les villageois tous aussi bêtes et porcins, sans jamais éveiller le moindre soupçon ; « Parce qu’à force de tuer le temps, on finit par tuer vraiment. » Cet enfant tueur vit avec son père et sa nouvelle mère dans une petite et sinistre communauté villageoise où l’on ne s’arrête jamais sauf si l’on tombe en panne d’essence…

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De son propre point de vue, avec ses fautes de langage, le gamin nous expose son plan machiavélique et sanguinaire, dans les moindres détails, faisant preuve d’une imagination cruelle et malsaine. Pour ne pas perdre la main, il s’entraîne sur les animaux.

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Les dessins rendent compte parfaitement de l’ambiance sordide et miséreuse de ce village, ainsi que du caractère abjecte de ses habitants. Les personnages sont d’une laideur incroyable – aussi laids à l’extérieur qu’à l’intérieur.

C’est un roman graphique sombre et glauque qui m’a vraiment fait froid dans le dos ; j’ai été dérangée et dégoûtée et pourtant je l’ai dévoré… Il faut avoir le moral et le cœur bien accroché, l’humour est noir de chez noir, j’ai rarement lu un truc pareil ! Un ovni littéraire qui m’a fait frissonner, m’a donné la nausée et dont je ne sais qu’en penser une fois ma lecture finie…

BD repérée sur le blog de Fanny 😉

 

Angélique Villeneuve – Maria ***

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Éditeur : Grasset – Date de parution : février 2018 – 180 pages

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Maria aime s’occuper de son petit-fils de trois ans, Marcus, qu’elle aime comme son propre enfant. Leur relation est très fusionnelle. Ensemble ils observent les oiseaux, réinventent le monde… C’est décidé, plus tard Marcus volera.

Marcus n’est pas élevé comme tous les enfants. Un jour il porte une robe à volants, le jour suivant ses ongles sont peints en rouge. Pour leur deuxième enfant, la fille de Maria a fait un choix radical : nul ne connaîtra le sexe de l’enfant. C’est un bébé. Un bébé qui s’appelle Noun. Libre à Noun de choisir son genre comme on choisit un pays.

Maria est une grand-mère touchante et singulière ; elle perçoit le monde de façon synesthésique ; les personnes qui l’entourent, les sons, les événements ont une couleur. « Maria sait la couleur des gens, la couleur des sons et celle des odeurs. Les couleurs invisibles sont son secret et son privilège. »

La naissance de Noun cause une petite révolution – si ce n’est un raz-de-marée – dans sa vie : elle perd son emploi de coiffeuse et William la quitte en laissant ces quelques mots sur la table « C’est trop difficile. » La naissance de cet enfant est aussi la naissance d’un chagrin pour Maria, il fait émerger « sa honte, sa rage inexprimable », tout comme sa crainte de mal faire ou mal dire.

Je découvre l’écriture d’Angélique Villeneuve, riche et sensorielle. Un roman délicat et poétique, qui évoque la question du genre et ses extrêmes, sans aucun jugement.

Cathy Ytak – D’un trait de fusain ****

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Éditeur : Talents Hauts – Date de parution : septembre 2017 – 253 pages

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Nous sommes en janvier 1992Monelle, Marie-Ange, Julien et Sami sont dans le même lycée, ils suivent les mêmes cours de dessins pour lesquels des hommes et des femmes posent, nus. C’est comme ça que le petit groupe fait la connaissance d’un de ces modèles grandeur nature : Joos. Un jeune homme drôle et pétillant, qui ne laisse personne indifférent, surtout Marie-Ange. Marie-Ange qui déteste son prénom, qui dessine des autoportraits au fusain, devant sa glace, nue, sans concession. Dont les parents sont hyper conformistes, étroits d’esprit et réac’. Elle compte les jours jusqu’à ses dix-huit ans pour pouvoir enfin les quitter.

Les quatre adolescents sont inséparables. Au printemps, ils décident de partir à Saint Malo, le temps d’un week-end. Des amours naissent, Monelle et Julien. Sami et Joos, qui les a rejoint. Joos dont Marie-Ange tombe aussi amoureuse… Un amour qu’elle doit réprimer.

« Une vie d’adulte avant l’âge, peut-être, qui oscille sans cesse entre la fête et le désespoir. » – Et puis au retour des vacances d’été, Marie-Ange devient Mary. Et elle apprend que Joos est séropositif. C’est le choc. Et l’incompréhension. Mary décide de s’engager aux côtés d’autres jeunes, au sein d’Act Up. Elle descend dans la rue.

Un roman fougueux et percutant, qui m’a noué la gorge et fait battre le coeur. J’ai aimé cette héroïne qui se lance dans le militantisme – une lutte contre les préjugés d’une époque – avec la rage et l’envie d’en découdre avec la maladie qui s’est attaquée à ses amis, s’immiscant sans ménagement dans leur amitié.

Une lecture émouvante que je n’oublierai pas de sitôt ; à l’image de cette scène en plein Paris où cinquante personnes s’allongent dans la rue, comme mortes, pour dénoncer l’indifférence des autres au mépris des uns.

 

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« Mary pense que tout ce qui vient de se passer n’est pas vrai. Elle a eu une hallucination. Parce que ce genre de chose, ça n’arrive pas à des gens comme eux, Sami ou Joos. Ils sont trop jeunes, trop ordinaires, trop… quelconques., Ce genre de chose, ça ne peut arriver qu’à des… dépravés. La pensée est si forte qu’elle la fait sursauter. »

« S’habituer… S’habituer à passer du rire aux larmes en quelques secondes. De la plaisanterie la moins fine à la peur la plus forte. Avec la mort infiltrée. Mais sérieusement, quand on a dix-sept ou dix-huit ans, ça veut dire quoi, mourir, si on n’a rien vécu ? »

Mohamed Bajrafil – Réveillons-nous ! ***

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Éditeur : Plein Jour – Date de parution : 2018 – 173 pages

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« Cette lettre vise à te réconcilier à la fois avec ton temps et ta religion. »

Mohamed Bajrafil a fait des études de théologie, il est imam. Dans cette lettre ouverte, il s’adresse à la jeunesse musulmane française, déployant le « tu » au détour des pages. L’auteur passe par le questionnement pour transmettre sa pensée et il met l’accent sur les mauvaises lectures possibles du Coran, dénonçant la bigoterie de certains musulmans qui concourent à donner une mauvaise image de l’islam.

Un ouvrage que je trouve indispensable à l’heure actuelle, qui permet de remettre les pendules à l’heure et qui nous apprend une foule de choses, nous offrant matière à réflexion sur une religion dont l’image s’est fortement dégradée ces dernières années. Mohamed Bajrafil évoque la foi comme droit et non comme devoir, la liberté de croire ou non ; il lève également le voile sur certains interdits absurdes.

Une lecture très érudite et nourrie de références, qui peut apparaître un peu difficile d’accès par moment, mais qui mérite qu’on s’y attarde. Pour étayer ses propos, l’auteur s’appuie sur le Coran, les hadiths et les textes de penseurs musulmans ; il nous démontre chapitre après chapitre que l’islam n’est pas cette religion faite essentiellement d’interdits et insiste sur le fait que la méconnaissance engendre intolérance et haine« par notre ignorance nous contribuons à enlaidir [l’islam] aux yeux des nôtres et des non-musulmans. »

Lu dans le cadre d’une Masse critique Babelio

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Eric Tourville – Chimaeris ***

Chimaeris

Editeur : Slatkine & Cie – Date de parution : février 2018 – 480 pages

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« Les gènes sont notre part d’éternité. »

Nous sommes dans le Vermont, pas loin de Salem. A la suite de l’appel d’un chasseur, Alex Fremont se rend dans une vieille ferme délabrée où il découvre quatre corps de gamines carbonisés. Sur la porte, un pentagramme peint en rouge. Une cinquième fillette semble s’être enfuie.

Quelques jours après cette macabre découverte, les fermiers qui vivent aux alentours de la ferme Higgins retrouvent leurs chiens éviscérés. On ne trouve plus d’oiseaux ni de gibier dans un rayon de vingt kilomètres autour de la ferme et les récoltes pourrissent sur pieds. Il faut dire que la vieille bâtisse a très mauvaise réputation – elle a été notamment le lieu d’un massacre en 1968.

La découverte de ces quatre cadavres et la façon dont les gamines ont trouvé la mort fait renaître les superstitions de chacun et semble mettre à mal les croyances des uns et des autres. Fremont se lance dans cette enquête, aidé de son vieil ami Edward Todd, médecin légiste très réputé.

Fremont est un flic attachant, qui tente avec les mots de maintenir le réel à distance, afin de survivre à l’insoutenable horreur de son métier. Son quotidien lui a apprend tous les jours que, bien souvent, les criminels n’ont pas besoin de prétexte pour faire le mal. J’ai aimé ce personnage de flic un peu torturé par son histoire personnelle – une histoire somme toute banale : une rencontre un enfant un divorce, l’usure du temps.

Un bouquin qui commence à la façon de n’importe quel thriller et qui peu à peu gagne en épaisseur et en intérêt. C’est bien simple, une fois commencé je n’ai pu le lâcher ! Eric Tourville manie habilement les codes du roman noir et la lecture se révèle haletante et fascinante. Un thriller qui aborde des questions de sciences et d’exobiologie, déploie des réflexions sur la destinée génétique, le déterminisme biologique – est-on programmé par son ADN pour ressembler à ses parents ? Peut-on changer ? Le comportement humain est-il essentiellement gouverné par le patrimoine génétique ? C’est également la criminalité et l’origine de la violence qui sont questionnées au travers de cette lecture.

Une enquête qui mêle peu à peu les « terreurs archaïques face au Démon et aux sorcières et des peurs plus modernes touchant à la radioactivité et aux extraterrestres ». Ajoutez à cela un suspense savamment étudié – arrivée à la page 300 le mystère reste entier, et ce jusqu’aux dernières pages… Chimaeris est un thriller intelligent et addictif qui m’a fait aller de surprise en surprise.